CANALETTO-GUARDI / Musée Jacquemart-André
Deux grands noms de la veduta à Paris...
Antonio Canal et Franscesco Guardi sont jusqu’au mois de janvier au Musée Jacquemart-André. Ne les manquez pas. En entrant dans le musée, vous serez accueilli par Tiepolo qui trône au dessus du monumental double escalier de marbre avec sa fresque célébrant la visite d’Henri III à Venise. Difficile de ne pas s’arrêter devant. La fresque, mise en scène comme une scène de théâtre, vous happe. Vous ne regardez plus un mur mais une comedia. La demeure haussmanienne en impose. Le lion endormi dans la cour de gravillons peut continuer paisiblement sa sieste. L’architecture règne, massivement, avec panache, et la peinture l'anime.
Après une traversée des différents salons, on est alors stoppé par un vigile équipé de l'incontournable talkie-walkie. Moins paisible que le lion, il veille. On regrette qu'il ne soit pas endormi. Le flux. Il faut attendre. Puis soudain, le signal. Il lâche alors un cordon de visiteurs, amateurs, touristes, anglophones, francophones, peinturophones. Les gens sourient. Lui, régule. La visite commence.
L’exposition est construite autour de deux axes. Un axe chronologique autour de l’art des védustistes. Gaspar van Wittel, Luca Carlevarijs, Michele Marieschi, Canaletto en passant par Belloto et Guardi s'en donnent à cœur-joie. La place St Marc, les palais, les églises, les lagunes, le rialto, les festivités. Puis un axe imaginaire en fin de parcours est développé au travers de quelques caprices et d'une veduta rêvée.
Le parti pris fonctionne. L’idée de mettre face à face les deux styles respectifs de Canaletto et Guardi permet assurément d'en distinguer les forces. Les tonalités sombres et le toucher presque pré-impressionniste de Guardi se heurte à la verticalité et à la construction méthodique de Canaletto, de plusieurs années son prédécesseur. L'affiche de l'exposition est en cela une jolie pirouette. On croirait voir un tableau de Guardi. C'est un Canaletto. Un jeune Canaletto. Ce jeune dont Guardi s'inspirera pour apprendre la liberté et apporter un nouveau style à la veduta. Un style plus personnel. Canaletto s'incline devant la ville en la magnifiant de ciels surréalistes et en lui donnant une perspective infinie, Guardi lui donne un réalisme plus sombre, parfois plus délavé, plus noir. Une Venise obscure. Une ville sensible sur laquelle passent le temps et les sentiments.
Parmi les réussites, les deux vues du Campo Santi Giovanni e Paolo qui montrent le décalage de point de vue et la différence de palette. Guardi prend le risque du désordre , de la touche hasardeuse, quand Canaletto, cartésien, ordonne, pour renforcer la liberté de ses improbables ciels qui lui ont donné ses lettres de noblesse. Mais rapidement Guardi en impose, notamment quand il s'empare des caprices. Il finit par trouver des couleurs, des compositions poétiques originales comme la superbe et aérienne gouache sur papier Caprice avec un campiello vénitien. Pour le reste, les nouvelles compositions architecturales et romanesques envahies de végétation restent bien en deçà de la puissance évocatrice de la réelle architecture vénitienne.
Très technique, l'exposition nous apprend à regarder autrement la Sérénissime et à comprendre l'origine de la veduta, cet art de la valorisation architecturale qui finira par être développé grâce aux commandes de l'aristocratie européenne qui voyage et aime rapporter dans ses valises ces tableaux carte postale. On comprend dès lors comment la couronne royale anglaise a réussi à collectionner autant d'œuvres de Canaletto. Celle-ci prête d'ailleurs pour l'évènement une œuvre originale célébrant le vendredi saint, des tonalités lugubres contrastant totalement avec l'image d'un Canaletto lumineux.
Inexorablement, cette exposition invite au voyage et au retour à Venise, la vraie. L'exposition au travers de Guardi et de Canaletto résume à elle seule le paradoxe de la Sérénissime. Une forme qui reste stable, immuable et presque éternelle dans un environnement naturel qui pousse à l'imaginaire, au désordre, à l'improbable. Une confrontation du sensible et de l'intelligible. A voir.
http://www.musee-jacquemart-andre.com/fr/home
Sébastien Mounié © Etat-critique.com - 07/12/2012
Dancing with the sound hobbyst, Zita SWOON GROUP et Simon MAYER
Un concert « rock tropical » chorégraphié par Simon Mayer, danseur de Rosas (Anne Teresa de Keersmaecker) : une proposition extrêmement énergique du belge Stef Kamil Carlens (ex dEUS).
Zita Swoon Group est un collectif de musiciens aux origines sonores les plus disparates, un laboratoire rythmique où cohabitent l’orgue, la guitare, les percussions, les xylophones, la basse, la contrebasse, le piano, les claviers, ainsi que les voix de deux choristes femmes et bien sûr celle immédiatement reconnaissable de Stef Kamil Carlens.
Coaché par Anne Teresa de Keersmaecker, le danseur Simon Mayer interagit avec les musiciens à travers une gestualité exacerbée, nerveuse et primitive, sautant d’un coin à l’autre d’une scène très étroite puisque presque entièrement occupée par les différents instruments du groupe. Cette contrainte spatiale est peut-être un parti pris chorégraphique, mais elle montre rapidement ses limites, manquant d’originalité et de richesse expressive.
Le concert apparaît d’ailleurs tout à fait inadapté au contexte imposé par l’Arsenal : l’énergie « rock tropical » de Zita Swoon Groupe se trouve bloquée dans sa communication avec le public définitivement assis, physiquement inactif. Les sonorités de ce groupe auraient dû profiter d’une salle de musiques actuelles où le public aurait eu la possibilité de danser ! On a presque l’impression que, malgré les qualités remarquables des musiciens et l’intensité des morceaux joués, tous leurs efforts sont vains face aux spectateurs immobiles dont la seule réponse sera les applaudissements à la fin de chaque morceau.
La danse de Simon Mayer, souvent accompagné dans ses chorégraphies par les deux choristes, manque de force, de précision et de magnétisme. Sans doute un choix délibéré : une intense agitation décousue voulant correspondre avec les expérimentations rythmiques de Zita Swoon Group. Personnellement, j’ai été très peu sensible à sa gestualité et les sentiments du public à la sortie de la salle sont extrêmement divergents, entre ceux qui ont adoré le spectacle et l’interaction musiciens-danseur et ceux qui n’ont pas du tout été convaincus.
L’élément chorégraphique semble beaucoup plus réussi en ce qui concerne les mouvements et surtout la présence scénique du chanteur, du pianiste, du bassiste et des percussionnistes, capables de donner du caractère à leur jeu.
La performance sonore créée à travers le mouvement de plusieurs cordes par un des deux percussionnistes vers la fin du spectacle est d’ailleurs un moment riche de tension et de beauté visuelle, pour moi le seul beau souvenir de ce spectacle.
Gloria Morano
© Etat-critique.com - 05/12/2012
PUZ/ZLE, Sidi Larbi CHERKAOUI
Dans un décor gris, sobre et multiforme, la dernière création de Sidi Larbi Cherkaoui déploie l’énergie de 11 danseurs et de sonorités d’origines plurielles.
Puz/zle est composé d’une multiplicité de références, symboles et narrations fragmentées. Un réel puzzle d’images investit la scène, fruit notamment des déplacements successifs des éléments scénographiques (des pièces et des structures murales grises se transformant souvent en plateaux, sorte de tours précaires en perpétuelle construction et démolition) effectués par les danseurs, pris dans une agitation où s’alternent l’angoisse et l’espoir.
Cette création nous parle du peuple, elle met en scène des humanités de différentes origines par des images abstraites et saisissantes, accompagnées de chants et de musiques corses, libanais et japonais. Les sonorités et les figures chorégraphiques dialoguent entre elles, en travaillant chez le spectateur des évocations historiques ou spirituelles : l’humanité, la vie sont le sujet de Puz/zle, les corps dans leurs désirs et leurs agitations en sont la matière figurative.
L’existence humaine représentée acquiert par moment une nuance fortement politique : Puz/zle parle des luttes des peuples, de leurs résistances. D’ailleurs le décor, fait de murs et de pierres (inspiré par la Carrière de Boulbon, lieu utilisé par le Festival d’Avignon, pour lequel ce spectacle a été conçu pour l’édition 2012) peut évoquer par moments le conflit israélo-palestinien et sa réactualisation récente : une correspondance qui accentue la force de cette création, basée sur un travail figuratif complexe et épais, dans lequel corps et décors contribuent à raconter la force spirituelle, le mouvement humain dans son analogie avec la matière naturelle.
Violence, apaisement, union et fragmentation, tout participe d’un questionnement sur l’espace et sur l’humanité qui l’habite.
La création de Cherkaoui souffre probablement d’une longueur excessive, d’une densité de symboles qui affaiblit la portée évocatrice des images : faiblesses infimes étant donné l’énorme enthousiasme du public messin face à ce spectacle.
Gloria Morano
© Etat-critique.com - 28/11/2012
Mathieu Boogaerts / Mathieu BOOGAERTS / (Tot ou Tard – 2012)
Et si Boogaerts était un grand ? Sûrement, en fait.
En cette rentrée marquée par les albums qui déchirent somptueusement les oreilles et nous font bouger la papatte dans le RER le matin pour notre plus grand plaisir (C2C, The Vaccines…), il en est un qui vient qui vous caresser les lobes dès le réveil…le nouvel album de Mathieu Boogaerts, éponyme.
Depuis près de 20 ans,
l’ébouriffé Boogaerts nous livre
une flopée d’albums de qualité égale, écrit sans bruit pour Carmela Jordana et fait d’elle une chanteuse de qualité (moi c’est), monte sur de petites scènes avec une décontraction digne des grands. Et si Boogaerts était un grand ? Sûrement, en fait.
Ce dernier album, à l’image des précédents, nous embarque sans crier gare, de chanson qui s’écoute au chaud les dimanches de pluie sous la couette ( je sais ) à de petites pépites au swing savoureux (Ton cauchemar ).
Savoureux, justement, voilà l’adjectif qui nous fait dire que Boogaerts est à la musique française ce que le macaron est au café du dimanche en terrasse : un petit luxe d’apparence futile et finalement parfaitement indispensable au plaisir de la vie.
10 questions à Dam BARNUM
Pour la sortie de premier album, "Des Pieds Des Mains", Dam Barnum répond à notre traditionnelle interview fin du monde...
Bonjour, Dam Barnum !
Vous êtes assis confortablement ?
Bon, alors voilà : Etat-critique.com a une bonne et une mauvaise nouvelle à vous annoncer… et dix questions à vous poser.
On y va ?
D'abord la mauvaise nouvelle : la fin du monde est pour la semaine prochaine.
Maintenant, la bonne nouvelle : vous serez la seule survivante (ou presque) et vous avez, en plus, le pouvoir de sauver 10 monuments de votre Panthéon personnel.
Voici les thèmes, à vous de désigner (et de commenter) les heureux élus !
Le disque que vous souhaitez sauver ?
"The man who sold the world " de David Bowie.
Le film que vous souhaitez sauver ?
"La fureur de vivre".
Le livre que vous souhaitez sauver ?
"Chien blanc" de Romain Gary.
La bande dessinée que vous souhaitez sauver ?
"Le Bibendum céleste" de Nicolas de Crécy.
L'homme que vous souhaitez sauver ?
Jésus-Christ.
La femme que vous souhaitez sauver ?
La mienne.
L'objet, le lieu ou le monument que vous souhaitez sauver ?
Le lit conjugal.
L'émission de télé que vous souhaitez sauver ?
"Tournez manège".
Le plat que vous souhaitez sauver ?
Les asperges au parmesan.
Votre œuvre personnelle que vous souhaitez sauver ?
Celle qui reste à faire.
Merci Dam Barnum !
Nous transmettons votre liste à qui de droit…
Propos recueillis par Sébastien Mounié
LE DERNIER PRESENT – ALEXIS HK
En balade…
Alexis HK tourne depuis des années en France dans de nombreux festivals. Comme de nombreux chanteurs français, il évolue dans l’ombre des grands medias qui s’obstinent à bouder la chanson française qui n’est pas assez pop, assez anglophone, assez électrifiée.
La chanson d’Alexis HK mérite pourtant amplement une écoute. On y parle des instants de bonheurs et des cadeaux du temps présent quand l’avenir s’annonce morose – très joli titre en ouverture d’album : le dernier présent. Les ballades acoustiques parlent de poètes et évoquent les songeries d’hommes à l’abandon qui croyaient en l’idéal comme ces fils errants de l’ère Mitterrand ; de souvenirs et de mondes imaginaires en mutation qui pourraient bien être les nôtres, de fin d’empire. D’hommes finalement pris dans l’Histoire et dans un temps qui les dépasse.
Les 30 minutes de chants réparties sur 10 pistes donnent l’envie de réécouter un album qui cherche à s’élever et qui explore avec un talent musical certain un domaine peu exploré par la chanson française : la ballade folk. Cohérent et constant, on souhaite longue vie à cet album joliment arrangé. A écouter.
Les Caramels fous, Pas de gondoles pour Denise
On les attendait, ils sont enfin revenus !
Après le drôlissime Madame Mouchabeurre, les Caramels fous sont de retour, avec Pas de gondole pour Denise. Dépêchez-vous, pour l’instant, ce n’est que jusqu’au 23 juin, au théâtre du Gymnase. Mais ils reviendront en septembre.
Souvenez-vous, l’an dernier, vous aviez ri en assistant à un spectacle étonnant, décalé, loufoque et talentueux : Mme Mouchabeurre, librement inspiré de Mme Butterfly. Les responsables de ce moment d’hilarité ? Les Caramels fous, un groupe de garçons, tous bénévoles, drôles, talentueux, volontaires et dont la seule mission semble être de nous faire passer un bon moment.
Mission accomplie avec leur dernière création, Pas de gondole pour Denise. Ici, pas d’histoire bien précise, mais une ambiance cabaret, des références musicales variées et un ton résolument politique.
Au début, les Caramels avaient envisagé une suite à leur fable animalière Les Dindes galantes. Finalement, le créateur, Michel Heim, a opté pour une série de tableaux liés entre eux par un fil conducteur. Pourquoi ? « Parce qu’un spectacle composé de plusieurs tableaux est la forme la plus apte à mettre en valeur le plus grand nombre de Caramels fous ; la diversité des tableaux permet en effet de faire intervenir une multitude de personnages alors que dans une comédie musicale, le nombre de rôles solistes est nécessairement limité. »
Michel Heim envisage alors un spectacle inspiré de La Ronde, d’Arthur Schnitzler, avec dix scènes reliées entre elles par un personnage commun. « Sur ce modèle, j’ai imaginé une série de rencontres entre hommes, dans différents lieux spécialisés dans ce genre de rencontres, chaque lieu faisant l’objet d’un tableau : les Tuileries, un bar du Marais, des toilettes publiques, Internet, un sauna, une discothèque… »
Mais les Caramels trouvent l’idée trop exclusivement gay. Certes, la troupe ne renie pas sa composante homosexuelle mais veut aussi s’adresser à un public plus large. Qu’à cela ne tienne, l’idée des rencontres reste, pas seulement entre hommes et pas uniquement avec pour moteur le sexe.
N’oublions pas que les rôles sont néanmoins tous tenus par des hommes et qu’il faut d’ailleurs saluer la performance d’un des comédiens, ébouriffant en femme d’affaires dans une sublime parodie de Britney Spears. Tout au long de la pièce, son talent, sa maîtrise de la danse, des gestes et de la voix, sont d’ailleurs époustouflants. Merci à lui aussi pour ce beau couplet sur les femmes voilées qui doivent se libérer du joug masculin.
Le premier comme le dernier tableau se déroulent à l’aéroport d’Orly, endroit de passage, symbole de la modernité pressée. Avec un petit clin d’œil à Plouhermeur et leur pièce précédente sur le tableau d’affichage…
De Lio à Britney, de Queen aux chansons populaires du répertoire français, en passant par une superbe « reprise » deGare de Lyon de Barbara par Michel Heim, Pas de gondoles pour Denise nous entraîne dans une réflexion tendre et douce sur la solitude, les rencontres, l’amour et la joie de vivre, la folie du monde actuel. Avec de petits clins d’œil au mariage gay, à l’homophobie, la crise, la politique… Toujours avec bonne humeur et délicatesse.
Pas de gondole pour Denise
du 7 au 23 juin 2012 (reprise en septembre) Théâtre du Gymnase - 75010
The Rise and fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars / David BOWIE / (EMI – 1972) Sortie d’une Edition 40ème anniversaire le 4 juin 2012
'The man who sold the world' (avril 71), 'Hunky Dory' (Décembre 71) et '...Ziggy Stardust' (juin 72) : trois albums d'anthologie en à peine plus d'un an ! Epoque bénie de création frénétique pour David Bowie, assisté dans son art par deux personnages essentiels : l'excellent producteur Tony Visconti et le formidable guitariste-arrangeur Mick Ronson.
Frénétique est d’ailleurs un faible mot , si on considère que sur la même période, Bowie offrira le magnifique tube All the young dudes au groupe Mott the Hoople (juillet 72), produira (avec Ronson) le mythique "doo-doo-doo-walk-on-the-wild-side" "Transformer" de Lou Reed (décembre 72), préparera son prochain chef d’œuvre ("Aladdin Sane" qui sortira en avril 73) en même temps qu'un album de reprises ("Pin-Ups" sorti en octobre 73), collaborera à une quantité de projets musicaux et même à une sorte de mascarade sous le nom d’Arnold Corn.
Mais revenons à notre histoire. Car c’est bien d’une histoire dont il s’agit. 'The rise and the fall…' est ce qu’on appelle un album concept : une suite de chansons qui se tiennent à peu près toutes autour d’un fil conducteur. Dans notre cas et littéralement, la montée et la redescente de Ziggy Poussièredétoile et de ses Araignées martiennes. Ziggy étant une rock star (tiens tiens) et les Araignées son groupe.
Mis à part ça, la signification précise des paroles des chansons échappe encore de nos jours à l’ensemble des analystes. David Bowie écrit sous forme d’images, d’impressions, de sensations ; des bouts de phrases qui valent plus pour leur son et leur couleur que pour leur sens précis. On pourra qualifier l’ensemble de tragédie rock sur fond d’apocalypse (thème récurrent chez Bowie. Five years : c’était selon lui le temps qu’il nous restait à vivre à l’époque. La date fatidique sera ensuite repoussée à 1984 dans l’album "Diamond Dogs", puis il abandonnera ses macabres prédictions, sûrement par crainte d’un ridicule troisième échec).
Par ailleurs, la notion de concept déborde même sur tout un univers où Bowie se confond avec Ziggy, personnage androgyne, complètement fabriqué, des cheveux orange aux platform shoes, du maquillage outrancier aux vêtements à paillettes : caricature du star system, de la rock star bouffée par son public (le tragique destin de Vince Taylor aurait servi de modèle), nourri de Marc Bolan et d’Alice Cooper, notre drôle de Zig’ s’installe par la force sur le trône très convoité de roi du glam rock. Comble du tragique : David Bowie tombera lui-même dans le piège qu’il avait décrit, sur scène et dans la vie, au point de devoir saborder (sur scène, à Londres, le 3 juillet 73) son personnage et son groupe pour en sortir.
Ce groupe, emmené par Mick Ronson, qui atteint la perfection : un son qui claque nerveusement, rapide, riche ; le fabuleux jeu de basse de Trevor Bolder, la précision de la batterie, tout en cymbales, de Woody Woodmansey rehaussés d'envolées orchestrales et de saxophone free (avec Bowie lui-même à l'anche) imposent un rythme et une ambiance à couper le souffle. Et c’est presque avec soulagement, comme à la fin d’un tour de grand huit, qu’on pleure sur la poignante issue fatale du héros déchu, abandonné de tous, qui se rock’n’roll suicide devant nos yeux ébahis.
Systématiquement catalogué comme l’un des plus grands albums de tous les temps, Ziggy Stardust... est sûrement, en tout cas et qu’on le veuille ou non, l’œuvre maîtresse qui a happé la majorité des fans de David Bowie avant de les canaliser vers la multitude d’autres sources de bonheur qui irradient la majorité de son œuvre.
Si vous en êtes toujours vierge, il est encore temps de prendre un ticket...quarante ans pile plus (mais jamais trop) tard...
Artemisia – Musée Maillol
La force d’un point de vue féminin au XVIIe siècle.
Artemisia Gentileschi est une artiste. L'exposition la suit au travers de ses voyages, de Naples à Rome en passant par Florence. Dès l’entrée dans le musée Maillol de Paris, la force des sujets et des thèmes représentés frappe l’œil du visiteur.Suzanne et les vieillards prévient le visiteur, pas de silence, de fuite, d’acceptation ou de renoncement. La femme choisit.
Ici, la femme refuse les avances des deux vieillards comme la Nymphe Corisca échappe théâtralement par la ruse au puissant Satyre. Les vieillards la font accuser d’adultère mais défendue durant le procès elle est innocentée et les vieillards sont condamnés. La prise de risque de cette décision est assumée, comme le style et les expressions picturales d’une étonnante justesse. Le bleu lapis-lazuli des tissus annonce la couleur du reste de l’exposition. Le bleu éclatant de lumière réapparaîtra dans plusieurs autres œuvres marquantes. Superbe peinture sur pierre du père d’Artemisia, le David méditant devant la tête de Goliath, injecté de bleu outre-mer lapi-lazuli est à vous couper le souffle.
Le choix des thématiques peintes met en scène la femme en position centrale avec à chaque fois une audace érotique qui éveille. Bethsabée au Bain resplendit, tourne le dos à David et choisit de se montrer au spectateur. En embuscade, la passion extrême veille, pouvant entraîner la femme jusqu’à la mort. Plusieurs Cléopâtre sont exposées. Cléopâtre humiliée préfère mourir que d’accepter l’échec amoureux. La femme impudique s’expose nue à la mort sur une étoffe rouge dans un cas ou allongée morte dans une étoffe bleue, dans l’autre cas. L’aspic est présent. Le bleu somptueux se heurte à la couleur blanchâtre de la peau.
Les corps des femmes plantureuses sont offerts à l’œil du visiteur dans des postures et des angles de vue inhabituels. Les inclinaisons des têtes donnent aux visages une fragilité, une attitude pensive, lunaire comme dans la Madeleine pénitente. Appuyée sur une tête de mort, la femme telle une Hamlet s’évade de la toile. Une Cléopâtre assise et mélancolique plonge dans une méditation tragique, aspic dans la main. Danaé s’abandonne à Zeus qui apparaît sous une pluie d’or et la féconde. Artemisia va jusqu’à peindre les pièces d’or sur le pubis de Danaé. L’œuvre est tout simplement magnifique.
Mais la femme comme l’homme sait tuer. La violence de cette humanité interroge. L’homme est aussi la proie de la femme. Yaël assassine Sisera avec un piquet de tente enfoncé dans la tempe, Dalila coupe, en présence de sa servante, les cheveux de Samson endormi. Judith décapite Holopherne avec l’aide de sa servante pour sauver sa ville. Elles sont peintes durant l’exécution ou avec la tête du général assyrien au sol - Judith et sa servante Abra avec la tête d’Holopherne .
Par ces choix thématiques et mythologiques, Artemisia Gentileschi dévoile une peinture puissante et une esthétique particulière où la femme joue un rôle phare. Entre séduction et machiavélisme, l’exposition montre finalement une femme sachant déjouer les pièges des hommes avec une volonté farouche. Avec un talent pictural évident, Artemisia méritait sans aucun doute ce nouvel éclairage.
Une exposition exceptionnelle à ne manquer sous aucun prétexte.
Sébastien Mounié © Etat-critique.com - 03/05/2012
Jusqu'au 15 juillet 2012 MUSEE MAILLOL, PARIS. Horaires d'ouverture de 10h30 à 19h00. Vente des billets jusqu'à 18h15 Nocturne le vendredi jusqu'à 21h30. Vente des billets jusqu'à 20h45. Ouvert tous les jours, même le mardi et les jours fériés
MODIGLIANI, SOUTINE ET L’AVENTURE DU MONTPARNASSE / La Pinacothèque de Paris
Hommage à un audacieux inconnu : Jonas Netter
Jonas Netter est inconnu du grand public. Collectionneur et complice du marchand d’art Zborowski, son regard et son soutien ont été primordiaux pour la révélation d’artistes tels que Modigliani ou encore Soutine, mal-aimé de la famille Zborowski. Ses œuvres sont exposées à la Pinacothèque de Paris pour le plaisir des yeux et une bascule historique dans le Montparnasse du début du XXe siècle. Ce tournant esthétique qui n’en finit pas ces derniers mois d’exposer à Paris ces artistes fondateurs de l’art moderne – l’aventure des Stein, Matisse, Munch- et d’un nouveau métier devenu à la mode : marchand d’art. Netter est de ceux-la, comme Paul Guillaume, Boucher, les Stein, Barnes, Kahnweiler. Marchand d’art, collectionneur ou mécène ? Le lien complexe qui unit l’artiste à son mécène humaniste ou riche argentier n’a pas fini de faire couler de l’encre.
Outre les toiles présentées, l’exposition offre l’avantage de reproduire quelques échanges épistolaires entre les artistes et leur commanditaire, mécène et marchand-collectionneur. Le revers de la médaille n’est pas reluisant. Si Modigliani peint un superbe portrait de Zborowski, hâbleur et séducteur dans l’âme, la nature de la relation ne fait guère illusion. Une relation de servitude maître-valet qui dénature largement la beauté du portrait du marchand, peu scrupuleux et fantasque. Les artistes ont besoin d’argent pour exister et Zborowski le sait, lui qui se sert également de Netter pour payer les toiles de ses artistes en lesquels il croit plus ou moins.
L’exposition nous dévoile donc les artistes dont Netter s’est occupé avec, puis sans Zborowski, dont il se sépare tardivement. L’hétérogénéité des styles démontre toute l’énergie déployée à l’époque pour sortir du cadre esthétique traditionnel. Suzanne Valadon, Paresce, Utrillo, Kikoïne, Kremegne, Derain, Modigliani et surtout Soutine qui sort grand gagnant de cette exposition, nous en mettent plein les yeux. Si les paysages de Valadon sont hétérogènes dans le style, les couleurs de ses nus et de ses portraits sont une grande réussite. La Fillette en Bleu de Modigliani vous accueillera ensuite grands yeux ouverts.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, si vous espérez ne voir que des Soutine ou des Modigliani, ce n’est pas sur cette exposition qu’il faut compter. L’exposition pourrait tout autant s’appeler Utrillo Soutine. Le fils de Suzanne Valadon a presque autant d’œuvres exposées que Modigliani. Le reste est dédié à des artistes moins connus mais tout aussi importants pour les yeux. C'est l'autre atout de l'exposition. Admirez Paresce et son paysage coloré aux formes géométriques, mélange de couleurs fauves et de cubisme : La Maison derrière les arbres.
Attardez-vous sur Krémègne et Kikoïne, ces artistes amis de Soutine qui viennent dans la capitale parisienne apprendre, exposer leur art en s’installant à la Ruche. Krémègne donne dans une expression plastique. Une démesure reprise par la matière de Soutine. Tandis que Kikoïne s’inspire des paysages de Soutine, un étonnant trio.
Et puis, attendez-vous à en prendre plein les yeux avec les bleus et les jaunes pris aux pièges dans les toiles de Soutine. Bleu dans l’impressionnante Folle. Jaune dansL’Homme au chapeau qui trône, grandiose, au milieu de la salle. Un chef d'oeuvre. La rupture est totale avec le reste de l’exposition. Le portrait lointain de Soutine réalisé par Modigliani vu en début d’exposition éclate. L’apparente sagesse vole en éclat devant cette intériorité éventrée sur ses toiles. Les Grands arbres bleus de Céret poussent le cadre de la toile et ne demandent qu’à sortir. Tension. Magnifiques Autoportrait au rideau et Jeune femme délavés par le temps et une humanité marquante. Que La Fillette à la robe rose de Soutine nous paraît loin de la Fillette en bleu de Modigliani ! Celle de Soutine est avalée par le noir qui l’entoure, celle de Modigliani est en harmonie avec le fond, presque transparente. Le plaisir est immense.
A remarquer également, l’Homme aux masques de Raphaël Chanterou, une œuvre énigmatique et théâtrale. Mais aussi des Vlaminck, des Kisling et des Derain...
Marc Restellini réunit à la Pinacothèque des œuvres marquantes de l’histoire de la peinture. La collection Netter mérite amplement cet hommage éclairé de plusieurs mois. L’universalité des œuvres accrochées est la meilleure preuve de la justesse du regard passionné de Jonas Netter. A dévorer des yeux, de Modigliani à Soutine en passant par Valadon et Derain.
Sébastien Mounié © Etat-critique.com - 02/05/2012