WALKING NEXT TO OUR SHOES… INTOXICATED BY STRAWBERRIES AND CREAM… WE ENTER CONTINENTS WITHOUT KNOCKING…, Robyn ORLIN
Les créations de Robyn Orlin, chorégraphe blanche sud-africaine qui depuis les années 80 interroge l’apartheid et le fléau du sida dans son pays, sont toujours sujettes à controverses.
En mélangeant théâtre, danse et chant de manière intense et directe et surtout tentant toujours une implication des spectateurs en faisant déplacer les artistes dans la salle, Orlin met en scène les problématiques actuelles de la population sud-africaine.
Pour cette nouvelle création Orlin a choisi de travailler avec les Phuphuma Love Minus, une chorale amateur zouloue, et de construire son propos chorégraphique à partir de leurs chansons et de leurs danses et en intégrant sur scène des images vidéos projetées sur du papiers roulant accroché au plafond.
Au début du spectacle une grande théâtralité envahit la scène grâce à l’emploi de lampes portables qui dessinent les corps au fur et à mesure qu’ils bougent. Ironie, amusement, grands moments de joie et d’énergie alternent avec d’autres plus dramatiques. La danse et les chants crient les problématiques liées à la pauvreté, à l’apartheid et au sida.
La gravité des sujets politiques et sociaux traités touche bien sûr le public, ému par l’intensité de la performance de la dizaine d’artistes présents sur scène et en salle.
Il est pourtant difficile de discerner la portée chorégraphique de cette création qui par moment apparaît bien trop simpliste et cliché. Le jeu des lumières et des images vidéo semblent un pur accompagnement au spectacle de Phuphuma Love Minus, comme si Robyn Orlin leur avait donné carte blanche en se limitant à s’occuper de l’élément scénographique.
Gloria Morano
© Etat-critique.com - 09/10/2010
La pecora nera, Ascanio CELESTINI
Le 29 juin , à l’intérieur du mois de programmation consacré à la production théâtrale italienne, était en scène au Théâtre de la Ville le comédien Ascanio Celestini avec son monologue La Pecora Nera (La brebis galeuse).
Les spectacles d’Ascanio Celestini (connu principalement en Italie pour ses monologues comiques et provocateurs à la télé en fin de soirée, dans les émissions humoristiques de Serena Dandini) sont populaires et appréciés grâce au mélange toujours magistralement dosé d’histoire, de critique sociale et de fiction poétique, d’ironie et de douceur humaine.
Ses créations théâtrales, comme par exemple La Fabbrica (voir précédente critique de l’adaptation française mise en scène au Théâtre des Abbesses cet hiver), traversent des décennies cruciales du passé récent de l’Italie, font surgir avec force des figures de personnages fictionnels mais emblématiques, incroyablement touchants et riches, et frappent pour par leur acuité, la profondeur des analyses sociales sous-jacentes, pour et l’humorisme toujours présent.
Avec La Pecora Nera, Celestini part des mêmes présupposés : cette fois il s’agit de raconter les asiles psychiatriques des années 60 essentiellement à travers le point de vue de Nicola qui y a passé 35 ans de sa vie. Le récit est décousu, fantaisiste, riche de digressions. Et pourtant, dans La Pecora Nera, le monologue de Celestini, tandis que toujours intense et éclatant dans les spectacles précédents, donne une impression de pauvreté de contenu, d’idées qui tournent en rond et qui peinent à prendre leur envol : les mêmes plaisanteries salaces faciles reviennent un peu trop souvent, la répétition assidue de certaines expressions a un air de faiblesse, de manque de rythme signifiant. Plus généralement, quelque chose ne marche pas au niveau poétique : le spectacle manque d’efficacité, de force, de brillance.
La critique anticléricale ininterrompue et la comparaison de l’asile psychiatrique avec le supermarché pourraient être très intéressantes, mais s’insèrent mal à l’intérieur de la construction du monologue
Restent la beauté inoubliable du témoignage, également en audio, de Nicola et la force de sa réflexion sur l’univers des asiles psychiatriques, de l’imperméabilité dans laquelle ils sont enveloppés : “Come è possibile stare dentro e non uscire fuori, come è possibile stare fuori e non sapere cosa succede dentro?” (“Comment est-il possible d’être à l’intérieur et de ne pas en sortir, comment est-il possible d’être dehors et de ne pas savoir ce qui se passe à l’intérieur ?”)
Gloria Morano
© Etat-critique.com - 03/07/2010
Business is Business, Compagnie PAS DE DIEUX
Pour achever ce mois de mai consacré à la danse, le Théâtre du Lierre propose un spectacle qui rentre plutôt dans la catégorie de “théâtre physique” ou “gestuel”.
Deux hommes et une femme, trois tables et trois chaises, et, après, un escabeau : voici la scène, sobre, simple, mais qui se prêtera facilement aux jeux des acteurs, capables de faire imaginer plusieurs situations et ambiances.
C’est le monde de l’entreprise, avec son paysage sonore typique (téléphones qui sonnent, claviers d’ordinateurs en action) et ses protagonistes multiples (employés, chefs, personnels de service). Presque sans mots, les trois acteurs créeront une véritable histoire, en assumant au fur et à mesure tous les rôles requis par le contexte.
Une gestualité qui mélange des moments saccadés (rappelant par exemple l’esthétique de l’aliénation ouvrière de Metropolis de Fritz Lang) avec d’autres plus fluides et délicats. Malgré une répétition excessive et une certaine longueur dans l’ensemble du spectacle, dans l’intéraction des corps et de leur expressivité individuelle se déploie une ironie délicieuse, une profusion d’états perceptifs liés au monde du travail, à ses enthousiasmes d’équipe, à la cruauté de la compétition et à la dictature des ventes.
Aux frontières entre danse, théâtre et mime, ce spectacle surprend pour sa tendresse et fait surgir facilement des sourires sur les lèvres du public, tout en laissant un halo de tristesse qui entoure la vie quotidienne, avec ces gestes et ces histoires, à la fin du compte, ridicules.
Et, pour conclure, un appel à soutenir le Théâtre du Lierre en danger de disparition !
http://www.letheatredulierre.com/
Gloria Morano & Flavia Ruani
© Etat-critique.com - 29/05/2010
RÊVE GÉNÉRAL / Agnès BIHL / (Banco Music-2010)
Agnès Bihl nous appelle au rêve général. Un nouveau virage pour cette chanteuse qui nous avait ému lors de son précédent album, Demandez le programme, plus rebelle et intimiste.
Agnès Bihl nous appelle au rêve général. Un nouveau virage pour cette chanteuse qui nous avait ému lors de son précédent album, plus rebelle et intimiste. Pour cet album, Agnès Bihl invite des artistes comme Grand corps malade, Alexis HK, Didier Lockwood ou Dorothée Daniel qui signe à elle toute seule plus de la moitié des paroles de l’album.
Si le duo avec Grand Corps malade est plutôt maladroit, le texte tombe à plat à côté de la qualité des autres textes, le reste des rencontres apporte un nouveau souffle à Agnès Bihl qui emprunte des chemins plus légers comme dans De bouche à oreille, petite cantate enfantine optimiste sur le devenir de la planète, reprise en chœur par des enfants.
On retrouve toute l’énergie d’Agnès Bihl qui déclame des textes sur des airs de musette et de swing manouche. Les grands styles populaires des heures de gloire de la chanson française sont déclinés, de la valse au tango en passant par le blues. Le rythme est souvent soutenu et met en avant une gaieté même lorsque le questionnement sur l’amour est présent dans C’est encore loin l’amour ?. ou Habitez-vous chez vos amants ? avec Alexis HK.
Je pleure, tu pleures, il pleut est une jolie chanson d’amour accompagnée au piano qui donne envie d’en entendre plus. L’acoustique met davantage en valeur les textes que lorsque l’orchestration est nombreuse. On se dit alors qu’un album sur ce mode aurait pu tenir largement la route. A ce titre, le SDF Tango avec accordéon chromatique, violon, est une belle réussite, comme Véro qui prouvent encore une fois que c’est dans l’équilibre entre un beau texte et une orchestration acoustique simplifiée mais de qualité qu’Agnès Bihl est la plus touchante et la plus convaincante.
Decorum – KATEL – (V2 Music -2010)
Katel nous revient avec « Decorum ». Un album aux tonalités pop forgé dans des chemins de traverse rock. Entre bousculades et dédales, Katel enfonce le clou de l’anticonformisme. Bravo.
Quelle joie de retrouver la voix de Katel ! Une énergie positive mise au service d’une parole qui s’amuse à chercher perpétuellement les ruptures. Si ce nouvel album est plus pop que rock dans les arrangements, on retrouve la hargne vocale de la demoiselle et surtout l’art de prendre les chemins de traverse pour nous surprendre et bousculer notre âme.
Les textes sont toujours appuyés par une articulation volontaire de mots qui ont tout leur poids, sans excès. Un Dominique A au féminin qui assume sa féminité et son humanisme. « Je suis la racine et le papillon mais au fond je ne sais plus le nom » « Je suis une Muse ou une putain, avant la fin tu n’en sauras plus rien » (Decorum). Un incessant aller-retour entre une tumultueuse intériorité et la banalité du réel rejeté en bloc. Une démarche poétique en somme.
Les arrangements penchent clairement sur des ambiances oniriques. Alors on ne sera pas surpris de retrouver Nosfell sur le Chant du cygne, un chant percutant propulsé par des chœurs puissants et vertigineux qui mettent Katel en avant sur un fond de guitares mordantes. Une projection qui la place entre perdition et élévation.
La musique tourbillonne quand les phrases enchainent non sens et contournement pour toucher une forme d’absolu. Katel cherche de toute évidence à s’évader du réalisme pour toucher une abstraction figurative qui donne la part belle à la musique. Les motifs se répètent, se superposent, s’entrechoquent, s’épuisent, s’effacent, se « réverbent » (Les Parfums d’été).
L’album est émouvant par la forme du texte volontairement déstructurée et chanté par un timbre aigu souvent porté par des chœurs. Le désir de se livrer aux aléas de la vie remet au goût du jour l’envie de liberté. « Où est l’insoumis qui vivait en vous ? Où est ce chien qui mordait votre cou ? Ce chien invisible quand vous deveniez fou, mon vieil ami ? Où sont les phrases ? » (Mon vieil ami) Une bénédiction !
La pochette de l’album rend clairement hommage au travail d’Escher qui détournait le réel pour construire l’impossible et mettre en abîme une géométrie de l’infini.Chez Escher lui rend un brillant hommage en finissant sur un angoissant violoncelle...
Katel parle souvent de folie et de délivrance. Un chant amoureux de l’abandon pour partir dans l’Ailleurs et célébrer l’intouchable. L’album est le parfait reflet d’une tête qui prend le risque de s’échapper de la circularité du monde pour atteindre l’inattendu et l’impossible verticalité. A écouter. En boucle.
Sébastien Mounié © Etat-critique.com - 06/05/2010
Concert au New Morning de Matthieu BORE
Matthieu Boré était au New Morning. Crooning et swing au programme. L’art de faire danser les notes.
Salle bondée au New Morning. Matthieu Boré est entouré de Stephen Harrison à la contrebasse, de Guillaume Nouaux à la batterie, de Guy Bonne à la clarinette et au sax tenor. Seront invités Ferruccio Spinetti à la contrebasse et Jean Marc Labbé au sax.
Costume blanc et pompes blanches, Matthieu est au piano. Dès le départ Boré donne le LA de la soirée, une musique jazz directement inspirée des années 50. Entre swing et rock’n’roll, Matthieu insuffle dans ses mélodies toute sa jeunesse et toute sa tonicité pour un charme évident. Entre la douceur d’Elvis et la vivacité d’un Cab Calloway qui se cacherait derrière le piano mais plus pour très longtemps…
Les musiciens s’amusent beaucoup sur scène et on aimerait s’amuser davantage dans la salle. Les culs frétillent rapidement sur les chaises trop serrées du New Morning. Les genoux font la pompe. On a simplement envie de tout envoyer valdinguer pour saisir sa partenaire de gauche et enchainer des pas de danses endiablés, comme au temps fort du Caveau de la Huchette.
Stephen Harrison, le contre bassiste, lui, s’éclate. Costume trois pièces cravate, coupe de cheveux gominée et houpette de circonstance, le musicien au masque neutre, jubile intérieurement et se met
de côté pour mieux taper sur sa contrebasse.
Les pales de la climatisation se mettent en route et nous voilà dans un tripot des bas-fonds Chicagoans. Les hélices tournent. Steven vient à l’avant-scène, fait faire des 360 à sa contrebasse quand il n’avance pas sa main surmontée d’un peigne noir pour remettre dans l’axe capillaire sa gomine-à-reluire. On sourit et on applaudit devant tant de comédie. Un air de bonheur.
On voyage, on pense à Louis Prima, aux danseurs de claquettes et aux autres artistes de Music-Hall montés sur scène pour nous amuser plus que pour se nombriliser. Le concert est au-delà de son dernier album Frizzante (« pétillant » en italien). Une vraie rencontre avec la fraîcheur et la créativité d’artistes présents pour être, sans esbroufe dissimulée. On joue et on assume. On fait le spectacle pour un jazz populaire qui a fait danser des cohortes de noctambules.
Matthieu oublie une grille pour le sax, qu’importe, on ajoute quelques grilles pour permettre au sax de chorusser et de partager avec le public ses moments de bonheur. Le public ne participe pas assez, on stoppe, on dialogue le sourire en coin avec le public et ça repart au piano. La voix est convaincante, les compositions de structure classique sur le fond mais modernes sur la forme et le ton utilisé. Une jolie pêche même s’il nous manque un peu de scat pour parfaire le tableau.
Boré et ses musiciens ont la classe décontractée de ceux qui préfèrent l’authenticité du jeu à l’essai d’incarnation marketé des grandes figures du jazz. Pour cette honnêteté musicale et ce swing remis talentueusement au goût du jour, on dit Bis ! A écouter et à danser …
10 questions à Louis-Ronan CHOISY
Louis-Ronan Choisy sort Rivière de plumes. L'occasion pour la rédaction de le rencontrer et de lui donner la parole pour notre traditionnel "10 questions à ..."
Bonjour Louis-Ronan,
Vous êtes assis confortablement ?
Bon, alors voilà : www.etat-critique.com a une bonne et une mauvaise nouvelle à vous annoncer… et dix questions à vous poser.
On y va ?
D'abord la mauvaise nouvelle : la fin du monde est pour la semaine prochaine.
Maintenant, la bonne nouvelle : vous serez le seul survivant (ou presque) et vous avez le pouvoir de sauver 10 monuments de votre Panthéon personnel.
Voici les thèmes . A vous de désigner les heureux élus !
1. Le disque que vous souhaitez sauver
The good book de Louis Armstrong
Pour sa compassion et le parfum de mon enfance
2. Le film que vous souhaitez sauver
Singing in the rain
Si c'est la fin du monde, un peu de Monde merveilleux où tout est beau, où les gens chantent et dansent sous la pluie, ne peut pas faire de mal
3. Le livre que vous souhaitez sauver
Les œuvres complètes de Rimbaud
Pour sa vérité, sa force et sa capacité à faire voyager
4. La bande dessinée que vous souhaitez sauver
Le deuxième tome de la série Tétralogie du monstre, 32 décembre, d'Enki Bilal
Pour ses dessins fabuleux et son histoire tortueuse
5. L'homme que vous souhaitez sauver
Adam
Pour une deuxième chance
6. La femme que vous souhaitez sauver
Eve
Pour une deuxième chance
7. L'objet, le lieu ou le monument que vous souhaitez sauver
Un piano
Pour voyager
8. L'émission télévisée que vous souhaitez sauver
Tracks sur Arte
Pour apprendre ce que l'on apprend nulle part ailleurs
9. Le plat (ou repas) que vous souhaitez sauver
Pain beurre
Miam miam!!!
10.Votre œuvre personnelle que vous souhaitez sauver
Refuge de Francois Ozon
Car c'est un très beau film avant tout...
Et puis dans lequel j'ai la chance de pouvoir marier deux grandes passions : la musique et le cinéma
Merci Louis ! Nous transmettons votre liste à qui de droit…
http://www.louisronanchoisy.com/
Les Justes, Albert CAMUS
Au Théâtre La Colline jusqu’au 23 avril Stanislas Norday nous propose une intense mise en scène des Justes d’Albert Camus.
Les Justes, ou l’abîme de la révolte. Dans cette pièce de 1949, l’homme révolté de Camus déploie toute l'étendue de ses interrogations, l’ambiguïté et la tragédie de sa position, son immense valeur et sa misérable situation.
L’action de la pièce s’inspire des événements historiques de la Russie du début du siècle dernier lorsque le Parti socialiste décide et réussit à exécuter à la bombe le grand-duc Serge. Les trois protagonistes de l’Histoire, Ivan, Stepan et Dora, ici incarnés respectivement par Vincent Dissez, Wajdi Mouawad et Emmanuelle Béart, représentent les différentes façons d’être terroriste, ils étirent toutes les facettes contenues dans la nécessité et dans les limites de la violence politique et dans son but social imparfait et ambigu.
Quelle valeur possède la vie d’un homme ? Celle d’un homme au pouvoir ? Celle d’un jeune intellectuel ? Et celle d’un enfant riche ? Le suicide de l’exécuteur est-il une forme de légitimation de l’assassinat ? L’intelligentsia peut-elle agir au nom du peuple et conduire vraiment le peuple à sa libération ? Les générations futures sont-elle le seul espoir de rachat de ces terroristes qui refusent le salut divin ?
Un décor à la fois essentiel et imposant, un jeu extrêmement affecté et étiré dans la durée, des comédiens qui, ne se touchant presque jamais et même ne se regardant qu’à peine dans les yeux, personnifient avec force et intensité le système clos de différents discours idéologiques qui se confrontent : leurs corps deviennent pur dialogue, un questionnement complexe et inachevé, toujours à reproposer avec acharnement, sur les possibles raisons et sur les justifications éthiques d’un geste violemment radical et politiquement fondamental.
http://www.colline.fr/les-justes.html
Gloria Morano
© Etat-critique.com - 18/04/2010
Description d’un combat, Maguy MARIN
Sur scène au Théâtre de la Ville jusqu’à samedi 27 mars, le nouveau spectacle de Maguy Marin, une création qui confronte la danse aux limites du mouvement et de l’épopée.
Dans le noir, neuf danseurs arrivent soudainement devant les spectateurs, les uns après les autres et restent debout, immobiles. Puis, en alternant, ils commencent à réciter des vers de l’Iliade, le terrible bain de sang entre Troyens et Achéens. Ils ne s’arrêteront qu’au bout d’une heure dix, à la fin du spectacle et, tout au long de la performance la scène restera sombre.
Derrière les danseurs, un sol bleu-vert qu’ils dévoileront petit à petit. Les tissus qu’ils enlèvent déploient ainsi le sens de leur récitation, ce sera le seul contre-point visuel au texte déclamé : de l’or, puis du rouge – l’héroïsme, puis la boucherie. Par moments se surimposeront aux vers de l’Iliade des passages d’autres auteurs en italien, portugais, espagnol, anglais et allemand et s’érigera ici une confrontation sensible entre l’épopée classique et la narration personnelle plus contemporaine.
Maguy Marin construit ainsi un rythme visuel et acoustique presque entièrement monocorde, pointé par quelques instants de surprise, de rupture sonore ou figurative (des images surgissent, les voix individuelles se transforment brièvement en un chœur).
Il s’agit d’un jeu sur l’épuisement que certains spectateurs refusent et que d’autres admirent passionnément : soit on est magnétisé, soit on reste indifférent et on s’ennuie. C’est une réflexion radicale sur la littérature, sur les images qu’elle produit et sur les possibilités de les représenter en déclinant la solution facile de la figuration directe. C’est ainsi également une méditation plus globale sur le mouvement, sur la visibilité, sur le son et le rythme.
Personnellement, une expérience fondamentale et émouvante.
Gloria Morano
© Etat-critique.com - 26/03/2010
Genre Oblique, Brigitte SETH et Roser MONTLLó GUBERNA
Entre théâtre et danse, la dernière création de la Compagnie Toujours Après Minuit propose une énergique réflexion sur les normes et les conventions, l’identité ressentie à l’intérieur de soi-même et celle partagée par l’entourage auquel les corps sont soumis.
Une ironie irrésistible, un comique excellent investissent la scène dès le début de la représentation. Et aussi une merveilleuse capacité à bouleverser les images conventionnelles des gestualités et des mouvements grâce à des corps différents par rapport à ceux auxquels on est habitués dans les créations de danse contemporaine.
Des corps décalés qui jouent de leur différence, de leurs exagérations, des travestissements successifs qui créent des liens entre les six comédiens-danseurs. Des corps qui déséquilibrent les frontières du féminin et du masculin, du nu et de l’habillé, du gracieux et du comique et qui inventent sous nos yeux de nouvelles possibilités visuelles et sensitives - simplement de nouvelles images.
Ces frontières symboliques auxquelles s’accompagnent de riches expériences autour du langage : se mélangent différentes langues (le français, le castillan et le catalan) et différents accents et les monologues qui passent d’un personnage à l’autre (Brigitte Seth et Roser Montlló Guberna mettent en scène de vrais personnages, dont on saisit chaque caractère, chaque force individuelle), d’une bouche à une autre, à indiquer la multitude des possibilités expressives, la fragilité des liens humains, le langage à la fois comme lieu de l’intime et de la façade sociale.
Les corps, leurs travestissements et leurs paroles, les musiques, l’espace - tout cela ensemble creuse des déplacements stratifiés dans le ressenti des gestes et des mouvements. Entre intimidation des costumes de l’autorité religieuse (une référence au XVIe siècle espagnol et à la figure historique de Juana I de Castille et d’Aragon) et sensualité soudaine et irréfrénable, avec sa nouvelle création la compagnie Toujours Après Minuit séduit le public en le plongeant dans un jeu irrésistible de sensations et de comique.
http://www.theatredelaville-paris.com/spectacle-lang-190-fr
Gloria Morano
© Etat-critique.com - 11/03/2010