Loutcha / Tchavolo SCHMITT / (Le Chant du Monde – 2005)
L’album des virtuoses du jazz « manouche » !
Il était temps que le jazz manouche retrouve ses lettres de noblesse. Ce n’est pas encore gagné mais le dernier festival des Nuits Manouches à l’Européen de Paris fait partie de ces festivals qui permettent à tous de redécouvrir des artistes dont les mauvaises langues disent qu’ils sont surtout de grands techniciens. Petit coup de pub pour ce festival qui avait invité Angelo Debarre & Ludovic Beier, Raphaël Fays, Samson Schmitt et Dorado Schmitt, Mandino Reinhardt, Marcel Loeffler et notre Tchavolo !
Pour ce dernier album, « Loutcha », le nom de madame Tchavolo, celui qui interprétait le professeur de guitare dans « Swing » de Tony Gatlif, s’est entouré de Claudius Dupont à la grand-mère (contrebasse), de Mayo Hubert et Martin Limberger à la guitare rythmique ; et surtout de l’extraordinaire Costel Nitescu au violon qui ne peut faire que du bien à Tchavolo ! Un violoniste roumain hors pair, dont on dit dans les coulisses de la Musique que Bireli Lagrene s’en méfierait, tant l’artiste impose sa présence et son talent sur scène... Les concerts finissaient en duel musical...
Pour ce disque, nous redécouvrons des classiques du jazz version manouche comme « Cheek to cheek », « Ménilmontant » ou « Que reste-t-il de nos amours ? » et trois compositions du maître (Antsela, Pour Flavio, Valse à Dora). Cet album reste un peu classique dans sa forme mais on retrouve la joie que procurait le duo Reinhardt/Grappelli. Je dis bien la joie et non la nostalgie si souvent associée à cette musique. Le « poum tchak » de Mayo Hubert et Martin Limberger est rôdé comme une mécanique implacable avec laquelle Tchavolo se débat à coup de variations rythmiques impressionnantes. Pas de doute, Tchavolo est « dedans » comme on dit. Dans l’accord mais aussi dans la corde et le bois ! La guitare respire en swing, le phrasé rapide mais limpide trouve sa place et ferait battre le pied au plus récalcitrant. Avec une liberté incroyable sur le manche, Tchavolo nous emmène dans des valses tourbillonnantes (Valse à Dora). Un style efficace et sensible sans fioriture technique excessive.
Costel, surnommé en concert par Tchavolo « le salopard » - comprenez ce que vous voulez - joue ses envolées lyriques et ses attaques imprévisibles mais laisse des chorus aux autres musiciens pour le bonheur de tous ! Enregistrement studio oblige. Lui qui place sans problème les quatre saisons de Vivaldi dans n’importe quel morceau la joue plutôt sobre sur le disque… Mayo Hubert peut se lancer dans des solos, lui qui reste souvent dans l’ombre du maître, et nous montrer son joli phrasé et Claudius faire sonner sa contrebasse (Stomping at Decca). L’équilibre a l’air bien trouvé pour cette nouvelle formation même si l’enregistrement en studio oblige à faire des choix qui ne sont pas toujours compatibles avec cette musique qui s’amuse et se régale d’improvisations, de sourires et de grimaces quand chaque soliste arrive au terme de sa phrase en même temps que la fin de l’accord.
Cette musique parle avec le corps, écoutez Tchavolo respirer sur « Chez Jacquet » vers les 2’05’’ pour vous en convaincre ! Les sonorités métalliques mêlées à celle du violon et de la contrebasse nous transportent dans l’univers d’un jazz joyeux loin des clichés mélancoliques qu’on veut parfois lui attribuer. A quand le live qui nous ferait entendre les applaudissements à chaque fin de chorus, les silences, les râles, les échanges si vivants de cette musique partagée avec le public ? Pourquoi ce qui est possible pour Eddie Louis et Petrucciani ne le serait-il pas pour Tchavolo et Costel ?
Tchavolo est sans aucun doute l’un des derniers grands guitaristes dans la lignée de Django qu’il vénère toujours humblement comme le Maître de cette musique. Un album référence à avoir dans sa cd-thèque ! Et un petit conseil, si Tchavolo Schmitt passe près de chez vous avec sa formation, foncez ! Humour et générosité garantis.
Sébastien Mounié
© Etat-critique.com - 30/09/2006