Zai Zai Zai Zai, Desagnat,

Est-ce facile d'adapter l'auteur à succès Fabcaro au cinéma?

Ça marche plutôt bien au théâtre avec des pièces qui rendent bien compte de la folie et de l'absurde du dessinateur. Mais au cinéma, c'est tout autre chose. François Desagnat tente de relever le défi avec l'adaptation de Zai Zai Zai Zai, portrait acide et burlesque de la société d'aujourd'hui.

Les médias, la police, la société de consommation, tout est présent comme dans la bande dessinée. Desagnat retranscrit ce goût du non-sens que l'on apprécie tant dans les bédés de Fabcaro.

Il a aussi la bonne idée de confier le rôle principal à Jean-Paul Rouve, habitué par son passage chez les Robins des Bois aux situations comiques et biscornues. Pour le rôle de Fabrice, Rouve - acteur dans des comédies françaises - se regarde presque dans un miroir. Le personnage est un alter ego qui, parce qu'il a oublié sa carte de fidélité d'un supermarché, devient du jour au lendemain l'ennemi public numéro un.

Se succèdent des sketchs que Desagnat cherche à maîtriser pour composer un vrai scénario. Les digressions dans la bédé ou la pièce avaient du sens mais ici, hélas, il faut toujours raconter une histoire solide avec un début, un milieu et une fin. C'est un peu la limite du projet. Le cinéma impose un récit là où l'éclatement délirant de Zai Zai Zai Zai faisait partie du projet "non-sensique" de Fabcaro.

Néanmoins, on s'amuse beaucoup dans ce film assez léger, qui n'a aucune prétention et réunit des acteurs heureux de se prendre les pieds dans une réalité moquée. C'est un peu pantouflard mais l'absurde dans la cinéma français est si rare qu'il ne faut pas bouder son plaisir.

Sortie le 23 février 2022

À la recherche du temps perdu, Proust, Contrescarpe

C'est pour moi un exercice bien compliqué que de parler de cette pièce que toutes les critiques encensent, parlant avec une admiration difficilement contenue du jeu de David Legras, de la puissance maîtrisée avec laquelle il nous transporte dans les plus belles lignes du monument Proust, admirablement agencées par le metteur en scène Virgile Tanase.

Tous s'accordent à dire que le culot de s'attaquer à une telle œuvre - seul sur scène, dans un décor simple et épuré - fonctionne à merveille. J'ai dû passer complètement à côté.

Commençons par dire que le costume, l'habit du comédien tout de blanc vêtu avec son chapeau est une réussite complète, le gramophone portable également. Un fort bel objet d'où provient néanmoins un son légèrement agaçant, dissonant à force de vrombissement...

Les lignes, le style, la prose de Marcel Proust valent ce qu'ils valent et chacun est libre de les considérer comme chefs-d’œuvre de la littérature et de l’écriture.

Mais avoir à écouter pendant une heure les mêmes passages entendus, réentendus à en souffrir de migraines depuis l'école, les passages les plus célèbres, de l'ouverture par "les chambres" - qui auront marqué le devenir de Proust et où l'on découvre son arborescente qualité narrative quand il s'agit de broder sur des rideaux - jusqu'au célèbre passage sur les madeleines (dont le souvenir aura hanté ses frugales soirées).

On ne découvre rien. On ne voyage pas. On est désespérément seul, assommé.

Je devrais peut-être dire, je n'ai rien découvert, je n'ai pas voyagé, je suis resté désespérément seul. Assommé.

Ce qui est d'ailleurs fort à propos quand je songe à Proust.

Si j'avais été réellement seul dans la salle, j'aurais sans doute fini par demander au comédien s'il s'adressait à moi ou s'essayait, pour voir, à différents types de voix ; s’il souhaitait me charmer ou me transmettre quelque chose.

Opinant, satisfait de lui-même, se souriant intérieurement à lui-même, extérieurement à nous. Modulant sa voix pour tel ou tel morceaux choisis (à mon sens pas toujours à propos d'ailleurs). A certains moments, j'en perdais le fil (que j'avais déjà du mal à garder...). La répétition des silences prolongés à souhait devient rapidement pesante. On se demande s'il a oublié son texte ou s'il s’apprête à nous dire quelque chose de fabuleux. Ni l'un ni l'autre. S'écoutant parler plus que cherchant à transmettre une quelconque émotion, la compréhension de ce qu'il déclame sans autre satisfaction apparente que l'évident jeu de séduction qui occupe une grosse partie son jeu de comédien.

J'en suis sorti ne me souvenant plus de ce que je venais de faire, avec l'impression de reprendre enfin haleine. Un peu hébété, pris du besoin de respirer, j'ai marché pour réfléchir… Rejoignant la Seine. Ça m'aide de marcher au bord de l'eau pour libérer dans les moments sombres des idées parfois lumineuses, les laissant me traverser sans les filtrer, sans m'arrêter sur aucune avant d'en voir une qui passe, un tant soit peu positive, même très lointaine, même de faible résonance. J'ai marché longtemps et rien n'est venu. J'ai attendu quelques jours. Prendre un peu de recul. Voir si, après coup, le vent d'une révélation ne viendrait pas attiser les braises - ne devant d'ailleurs pas exister - d'un feu qui n'a jamais pris. Aucune brise n'a soufflé.

Je revivais exactement ce que je décris plus haut - sans trop m’étendre, pour me préserver - et que je ne nommerai pas, mais qui peut bien facilement se deviner.

La bonne nouvelle (l'événement majeur de cette sortie au théâtre !) fut d'y avoir retrouvé mon stylo malheureusement égaré la semaine précédente et que je cherchais tristement depuis. J'avais alors vu une pièce dont je sortais réjoui, l'esprit travaillant au point d'en oublier un objet qui est aussi un symbole auquel je tiens. L'inversion des événements d'une semaine sur l'autre est intéressante à retenir.

Je n'ai donc pas tout perdu en allant voir " à la recherche du temps perdu "
J'y ai trouvé quelque ce que je cherchais, mon stylo et une coïncidence
humeur/conséquence des plus amusantes.

Je retourne à la Contrescarpe ce dimanche soir y voir une autre pièce et qui sait...

Une chose est certaine: si vous avez égaré quelque chose ou vous êtes perdu en chemin, foncez voir la pièce et peut-être y trouverez vous les mêmes coïncidences heureuses que moi.

Mais si vous souhaitez revivre les plus belles lignes d'un auteur que vous admirez, ou simplement le découvrir ou lui donner une quatrième chance, passez votre chemin en attendant la cinquième!

Tout ce qui précède n'engage bien évidemment que moi et reste le ressenti profond de ce que mon corps et mon esprit me transmettaient par vibrations, moments d’absence durant cette très longue heure.

Je ne remets pas en cause l’investissement de ceux, metteur en scène, ingénieur lumière et sons et acteur qui s’investissent et travaillent sur cette pièce. Je n'en ai pas compris le sens, n'en ai pas percé le message.

Jusqu'au 28 mars 2022
À la recherche du temps perdu
De : Marcel Proust
Avec : David Legras
Mise en scène : Virgil Tanase
Durée du spectacle : 1h15

de 11€ à 28€
Théâtre de la Contrescarpe

Intimo, Farruquito, Chaillot, Biennale de Flamenco

(c) Jean-Louis Duzert

A l’occasion de la cinquième biennale de flamenco, le Théâtre National de Chaillot programme ce qui se fait de mieux dans le domaine du Flamenco.

Le bailaor Juan Manuel Montoya est l’héritier de la plus célèbre dynastie gitane du flamenco. Il a baigné depuis tout petit dans cet univers puisqu’il est le petit-fils de l’un des plus grands danseurs de flamenco de l’histoire : « El Farruco ».

Ses parents ne sont autres que le chanteur de flamenco Juan Fernandez Flores « El Moreno » et la danseuse Rosario Montoya Manzano « La Farruca ».

Le bailaor Juan Manuel Montoya a sans aucun doute hérité du talent grandiose de son grand-père, présentant la même technique et finesse stylistique. C’est grâce à cet illustre ascendant que l’on le surnomme « El Farruquito ».

Il n’avait que quatre ans quand il a fait sa première apparition sur la scène internationale aux côtés de son grand-père à New York.

Depuis plus d’une vingtaine d’années, sa renommée n’a cessé de grandir au fil de ses spectacles. Il propose une danse à la fois authentique et gracieuse. Farruquito s’est donné comme mission de présenter la forme la plus pure du flamenco sur les scènes du monde.

Sa présentation au Théâtre Nationale de Chaillot s’inscrit dans cette volonté en racontant les origines et l’histoire du flamenco en six séquences dans une approche intimiste.

16-17-18 Février 2022
Théâtre National de Chaillot
5ème Biennale de Flamenco
Salle Jean Villar
Tarif B — de 8 € à 39 €
1h10

Son Angel Olalla
Lumières Angel Gascón
Avec Juan Manuel Fernández Montoya « Farruquito » (danse), Mari Vizárraga, Ezequiel Montoya Jiménez « Chanito » et Ismael de la Rosa « Bolita » (chant), Yerai Cortés (guitare), Julian Heredia (basse), Paco Vega (percussions)

Unchartered, Ruben Fleischer, Sony Pictures

On continue avec les films des vacances et voici un film qui met le cerveau sur off mais réveille l’esprit critique!

Ou plutôt qui nous questionne sur la qualité des adaptations de jeux vidéos au cinéma. Uncharted a donc le charme désespérant de ces films ratés, avec de bonnes intentions de départ et un résultat catastrophique. Les producteurs continuent de sacrifier les univers du jeu vidéo à un média peut-être trop étriqué pour une adaptation.

Le bon coté du film repose sur les épaules de plus en plus larges du souriant Tom Holland, connu pour son rôle de Spider-Man dans la saga milliardaire. Rebondissant et amusant, le comédien semble croire à son histoire de chasse au trésor.

C’est peut-être la seule bonne chose à retenir de Uncharted. Sinon, tout semble mal assorti. Le jeune acteur fait équipe, par exemple, avec Mark Whalberg, star bovine élevé au grain ! Il sait être bon mais là, il semble surtout s’ennuyer terriblement. Dans un match de foot, il serait un attaquant qui passerait son temps à marcher et se plaindre.

Antonio Banderas, lui, roule les « r » pour payer ses impôts, et le casting féminin n’est pas très charismatique alors que les personnages ont leur importance dans le récit.

La production est ahurissante de laideur et on ne croit pas une minute aux effets de manche. Rien ne va. Même la musique semble fatiguée par un scénario qui n’assume pas du tout ses invraisemblances ni son énormité. Découvert en 2009 avec l’hilarant Bienvenue à Zombieland, Ruben Fleischer n’a fait que décevoir par la suite (Venom, le pire film de super héros) et il poursuit ici son parcours d’une tristesse assez affligeante.

En 2022, proposer un tel spectacle est franchement malheureux. On aime bien dire qu’Hollywood manque d’idées mais ici, la volonté, le second degré ou l’énergie sont eux-aussi aux abonnés absents. On regrette cette époque lointaine où l’adaptation de Super Mario avait le mérite d’être débridée, maladroite, mal fichue mais singulière. C’était certes un navet, mais il y avait un petit truc un peu fou qui laisse une trace.

Ici, un acteur perdu dans des scènes d’action numérisées. Rien d'autre. C’est un peu triste.

Genre : Action - Aventure
Réalisateur : Ruben Fleischer
Acteurs : Tom Holland, Mark Wahlberg, Sophia Taylor Ali, Antonio Banderas
Durée : 1h56
Sortie : 16 février 2022
Distributeur : Sony Pictures Realising France

King, David Moreau, Pathé Films

Voici les vacances et leur lot de films mignons pour les petits fatigués d'un hiver toujours trop froid ! On se réchauffe dans le bras du petit lion qui inspire parfaitement le réalisateur David Moreau.

Découvert avec le film de terreur, Ils, David Moreau est devenu un solide artisan du cinéma français (Seuls, 20 ans d'écart). Peut-être plus technicien qu'auteur, son cinéma a le mérite d'être efficace dans le paysage plat du cinéma français,.

Face à un film pour enfants (le sauvetage d'un lionceau par deux bambins), il adopte une solution assez astucieuse: faire du Spielberg. C'est bien entendu à son échelle. Difficile de se comparer au monument. 

Mais Moreau a le grand mérite - par cette narration particulière (en gros remplacer E.T par le lionceau et hop, vous avez le scénario) - d'attraper l'attention des plus grands sans ménager les plus jeunes. 

King célèbre donc le monde de l'enfance sans gommer les mauvais côtés et toute l'obscurité de cet âge, comme la cruauté ou la solitude. La cavale des enfants est parfois un peu téléphonée mais la réalisation musclée offre un solide divertissement ; et le soin apporté à l'image ou la musique mérite une grande indulgence. 

On est loin de la catastrophe attendue. Bien fichu et plutôt haletant, King est un bon morceau de cinéma, à partager en famille.

Sortie le 16 février 2022
Un film de David Moreau
Avec Gérard Darmon, Lou Lambrecht, Léo Lorleac'h, Thibault de Montalembert, Clémentine Baert, Artus, Marius Blivet et Laurent Bateau

Le réconfort Rock, Eddie Vedder, Pinegrove, Ovlov

La meilleure solution pour résister au vent d’hiver, aux mornes idées et aux froides émotions, c’est encore le cocooning. Trouver des choses qui font plaisir. Des petites joies simples qui nous permettront de survivre à cette saison.

Eddie Vedder sort son troisième album. Dedans, on croirait à plusieurs reprises, qu’il se prend pour Bruce Springsteen ou Tom Petty. Pour le chahuteur chanteur de Pearl Jam, ça surprend un peu. L’énergie des débuts a laissé place à une sagesse qui l’amène à des compositions beaucoup plus modérées.

Loin de ses copains, Eddie Vedder est un chanteur assez classique. Heureusement pour lui et pour nous, c’est un sacré chanteur. Sa voix est magnétique et s’adapte à toutes les cadences. Il a l’art de nous planter des refrains dans la tête. Pour un bon moment. Ce disque pantouflard n’est pas du tout désagréable.

On peut penser la même chose de Pinegrove, petit groupe du New Jersey qui défend un rock qui avait sa place dans les années 90. Depuis dix ans, Pinegrove s’est beaucoup assagi.

On part d’un style alternatif pour arriver à des chansons plus calmes mais faites avec beaucoup de justesse. C’est donc du travail de pros. Un disque assez inattaquable donc un peu agaçant.

Les musiciens gèrent sans aucun problème un rock qui emprunte à la country et à des sons plus indés. Ça fait le job. A l’image de leur pochette et du titre de ce cinquième album, ils cherchent la quasi perfection. Souvent ils y arrivent. C’est carré.

On a donc le droit de préférer les apparences plus foutraques de Ovlov, groupe de rock plus débridé qui aime bien monter des murs de son et les détruire ensuite à coups de refrains pop ou de ruptures de sons.

Ils nous rappellent eux aussi les vieux Dinosaur Jr ou les aventuriers de Sonic Youth. Les guitares sont maltraitées mais pour parfaire des chansons rapides, astucieuses et qui surprennent à chaque écoute.

Pour un bon vieux quadra, ce rock qui se limite encore à la basse-guitare-batterie fait l’effet d’une bonne infusion devant un feu de cheminée. Ça manque peut être de fantaisie mais ça sent bon et ça réchauffe rapidement les esprits et les cœurs. En attendant la douceur et la nouveauté du printemps!

Le voisin de Picasso, Rémi Mazuel, Marie-Caroline Morel, Contrescarpe

Le temps d'un « épisode » 

La pièce démarre comme elle se termine, sur la même vision pour le public, la même image. Image que l'on comprend au fur et à mesure.

On suit les fulgurances, les pérégrinations, du cerveau « dérangé » , obnubilé par Joseph Alexis Mazerolle, et en plein épisode psychotique, en phase maniaque, d'Antoine, comédien « en pause » et gardien de musée.

Il fait le trafic entre une salle menant à Picasso et une autre à son idole: Mazerolle. Se désespérant de voir le public s'intéresser à autre chose qu'au grand Picasso, Rémy Mazuel à la fois auteur et acteur nous entraîne dans un voyage à la découverte d'un peintre tombé dans l'oubli malgré son succès retentissant de son vivant.

Antoine (Rémy Mazuel) redonne vie à Joseph Alexis Mazerolle, à son histoire. Il le porte de nouveau sur le devant de la scène, devenant tour à tour son professeur ou son assistant.

On le retrouve ainsi un jour de 1863 dans les ateliers de Charles Gleyne professeur aux beaux-arts. Une scène magique où Monet, Renoir, Basile, Sisley, décideront de quitter son atelier après une remarque de trop d'un Gleyne dépassé, en désaccord profond avec la vision nouvelle de ces artistes alors méconnus et qui compteront pourtant parmi les têtes de file du mouvement impressionniste. C'est d'ailleurs Monet qui mènera cette désertion.

On y est.

Antoine devient technicien en couleur et nous explique comment les mélanger pour obtenir les teintes désirées.
Pion improvisé - coincé malgré lui dans une salle qui doit rester silencieuse où il oriente des groupes de brésiliens colorés - il trouve le temps de nous raconter l'histoire du veau (poulet) Marengo et du chef napoléonien qui en est à l'origine.

On suit le cheminement interne d'Antoine admirablement joué par Rémi Mazuel qui, auteur de son propre texte, sait toujours avec justesse user de son corps, de sa gestuelle, de ses expressions pour accompagner et inciter au rire ou à l'écoute, au sérieux.

On vit la pièce, on l'accompagne partout où il se rend. C'est d'ailleurs parfois frustrant de voir un portail se fermer. Heureusement, un autre s’ouvre aussitôt sur une scène tout aussi captivante !
C'est une heure qui passe vite, très vite, trop vite. Bougeant sans cesse, dynamique jusque dans le tressautement de ses doigts quand il est le vieux professeur de Mazerolle , Rémy Mazuel habite complètement le décor simple, épuré qui correspond idéalement aux besoins de la pièce et à l'évolution de ses tableaux successifs. Le jeu des lumières et du son permet au spectateur de véritablement s'immerger. J’ai passé un excellent moment et je remercie ceux qui en sont à l'origine.

C'est la  seconde pièce que je vois dans ce théâtre. De nouveau s'y mêle rêve et réalité avec cette fois-ci, en plus, la composante psychiatrique bien mise en avant et qui apporte une interrogation supplémentaire à tout ce que la pièce porte déjà en elle.

Vérifiez le niveau de votre lithium avant de venir vous régaler !

Février 2022
Le voisin de Picasso
de Rémi Mazuel, mise en scène Marie-Caroline Morel
Théâtre de la Contrescarpe
, 75005

La Seconde Surprise de l’Amour, Marivaux, Françon, Montansier Versailles

(c) Jean-Louis Fernandez

La Marquise, jeune veuve ayant perdu l'Amour de sa vie, fait le serment de plus jamais aimer ("mon veuvage est éternel"). Lisette, sa servante dévouée et optimiste, fait pourtant tout son possible pour lui faire oublier son chagrin.

"LA MARQUISE.
Il est vrai que votre zèle est fort bien entendu ; pour m'empêcher d'être triste, il me met en colère.
LISETTE.
Eh bien, cela distrait toujours un peu : il vaut mieux quereller que soupirer
LA MARQUISE.
Eh ! Laissez-moi, je dois soupirer toute ma vie.
LISETTE.
Vous devez, dites-vous ? Oh ! Vous ne payerez jamais cette dette-là ; vous êtes trop jeune, elle ne saurait être sérieuse"

Le Chevalier lui aussi est en deuil ; sa bienaimée est entrée dans les ordres pour échapper à un mariage arrangé avec un autre. Lui aussi se voudrait inconsolable, mais c'est sans compter sur les intrigues de Lubin, son valet, qui se met en tête de marier son maitre à la Marquise afin de lui-même se rapprocher de Lisette.

Il saute aux yeux dès le départ que la Marquise et le Chevalier sont épris l'un de l'autre. Chacun, voyant l'autre inconsolable d'avoir perdu un amour, l'estime donc capable d'aimer d'une façon absolue... et ne l'aime que davantage pour cela. Mais comme avouer son amour reviendrait à démontrer qu'on ne sait soi-même pas aimer, puisqu'on est capable de passer outre son amour perdu, il ne faudrait en aucun cas (s')avouer ses inclinations.

Au cas où vous ne m'auriez pas suivi, je résume: le Chevalier et la Marquise s'aiment mais n'osent se l'avouer.

Il s'ensuivra évidement des quiproquos et des rebondissements cocasses et très amusants, le tout servi par une langue classique et riche. Les imparfaits du subjonctif fusent: "que vous fussiez, crussiez, honorâtes, connussiez, avant que vous n'arrivassiez, je souhaiterais que vous restassiez" etc.

La mise en scène d'Alain Françon est, elle aussi, très (voire trop) classique. Le décor est archétypique du théâtre, sans invention aucune, même s'il est aussi beau que simple. Le jeu des acteurs est, lui aussi, sans surprise. Les comédiens jouent toujours face au public, même dans les dialogues ou les soliloques. Nous sommes donc résolument au théâtre, et c'est tant mieux.

On passe un agréable moment. Les comédiens sont talentueux, avec une mention spéciale pour les servants : Suzanne De Baecke incarne une Lisette pétillante et Thomas Blanchard excelle dans le rôle du valet. Par contre, le Marquis joue si mal et il est si raide que cela ne peut être qu'un fait exprès ; étonnant parti-pris...

La Seconde Surprise de l'Amour telle que proposée par Alain Françon est en définitive une pièce d'une fort belle facture, très classique. Dommage qu'elle manque de sel.

Jusqu'au 18 février 2022
Durée 1h50 / de 5€ à 39€

texte de Marivaux
mise en scène Alain Françon assisté de David Tuaillon, dramaturgie David Tuaillon, décor Jacques Gabel, lumières Joël Hourbeigt, costumes Marie La Rocca, musique Marie-Jeanne Séréro, chorégraphie Caroline Marcadé, coiffures et maquillages Judith Scotto, son Léonard Françon

avec Thomas Blanchard, Rodophe Congé, Suzanne De Baecke, Pierre-François Garel, Alexandre Ruby, Georgia Scalliet

production Théâtre des nuages de neige
coproduction Théâtre du Nord-Lille Tourcoing, Théâtre Montansier-Versailles

Chirac, Dominique Gosset, Géraud Bénech, Marc Chouppart, Contrescarpe

« Une ultime séduction » …

Que dire de plus ! Cette phrase qui conclut la courte présentation en quatrième du texte de la pièce résume admirablement et en trois mots l’impression que l'on ressent en sortant du théâtre . Ça et un indéfinissable sentiment de légèreté malgré le sérieux soulevé par certains messages d'une pièce le plus souvent drôle et légère. Dans le meilleur des sens.

Sobrement mis en scène, deux chaises de jardin parisien, comme celles que l'on retrouve au Luxembourg ou aux Tuileries sur fond de projections et de quelques mélodies…c’est parfait.

Restent les acteurs qui remplissent, emplissent l'espace.

Marc Chouppart ressuscite et campe un Chirac plus vrai que nature, aussi charmeur que toujours. Pour moi, pour ceux de cette génération née dans les années 80, Chirac symbolise la France politique qui aura accompagné notre enfance, l'adolescence, le passage dans le 21ème siècle et l’arrivée à l’âge adulte…

photo tous droits réservés Fabienne Rappeneau. Toute utilisation, diffusion interdite sans autorisation de l'auteur.

Étonnamment (ré)incarné

Marc Chouppart se réapproprie jusque dans le port (haut, au dessus du nombril) du pantalon, les cheveux bien tirés avec l’inévitable épis le long du col, la gestuelle, le maintien, l'esprit, l'attitude, l’éloquence, l’élégance et le charme, l'esprit et le souvenir de l'image d'un Chirac qui aura laissé cette douce impression dans l'esprit de la majorité des Français. Déjà hier et encore aujourd’hui.

Amateur de beaux mots, joliment tournés, usant du verbe à propos avec brio et humour - toujours pour servir ses objectifs, pour désamorcer les possibilités d’attaques - Chirac qui disait "les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent" me surprend au tournant avec cette phrase oubliée (pour moi) "je n'ai jamais trompé ma femme, je me suis seulement trompé de femme. Nuance." Récité à la perfection par l'acteur. On croirait à certain moment réellement entendre Chirac. C’est parfois troublant. Le voir revenir parmi les vivants (Valérie fait le lien entre les deux mondes. Celui devenu dématérialisé pour lui, ancré dans le réel pour elle) pour nous livrer quelques ultimes messages et recommandations. Un spectre. On se retrouve face au fantôme vivant et palpable du président. On aimerait qu’il reste encore un peu, pouvoir lui poser des questions, prendre le temps de discuter autour d'un verre. Puisqu’il s'agit d'un rêve, j'aurais voulu m'endormir pour pouvoir les rejoindre.

Lorsqu’il quitte la scène sur ces paroles émouvantes et pleines de bon sens : "Enfin, nous devons renouer avec la nature ce lien de respect et d'harmonie".

On ressent cette impression de vide qui accompagne le départ de ceux qui habitent les lieux où ils se trouvent. Surtout quand le questionnement qui résonne après est d'importance et d’actualité.

Pour ceux qui sont aimé , admiré Chirac, c’est l'occasion de le revoir une dernière fois.

Pour ceux qui ne l'ont pas ou peu connu, c’est l'occasion de le découvrir sous son meilleur profil.

Pour les autres, ce sera toujours un excellent moment. Au-delà de l’évident hommage à l'homme, à son côté profondément Humaniste, à celui plus méconnu, moins mis en avant du temps de son vivant de sa passion pour l’Afrique et de l'Asie, au poète muselé - statut oblige- la pièce est efficace, drôle, questionnante et dynamique de bout en bout. Peut-être un peu trop courte ; j'en aurais bien pris pour une heure de plus!

Les acteurs sont excellents. Ce soir la interprétée par Fabienne Galloux-Meurisse (Giscard, Pécresse….) ne se laisse nullement voler la vedette par le remarquable Chirac/Chouppart.

Toujours à propos, il y a notamment ce moment propre à donner des frissons (en tout cas qui m'en a procuré) me rappelant au souvenir de ce poème de Baudelaire qu’ils récitent ensemble puis de concert.

« L'homme et la mer
Homme libre toujours tu chériras la mer
[…]
Ô lutteurs éternels, ô frères implacables « 

Voilà encore un aspect qui rend la pièce des plus agréable. Baudelaire, Rimbaud, le lien qui unit certaines figures politiques aux poètes et à la poésie…

C’est en définitive une pièce très joliment traitée,  un moment drôle et émouvant, un retour à un univers politique que l'on pourrait croire jovial, bon enfant. Une pièce qui retrace avec bienveillance une partie du parcours et de la vie d'un homme politique aimé vraiment (par nombre de français, ce fût peut-être le dernier), qui gardera une place à part chez ses "chers compatriotes" ainsi que dans une belle partie du paysage politique contemporain et de l’(H)histoire politique de France.

Certains en prennent pour leur grade.

M. Sarkozy pour ne citer que lui. Toujours avec intelligence et humour. Presque avec délicatesse.... mais avec conviction!

J'en suis ressorti ragaillardi (cela faisait dix ans depuis ma dernière fois au théâtre et je recommande chaudement, avec l'envie d'y retourner rien que pour entendre encore une fois M. Chouppart faire la liaison du  t"

Une pièce de Dominique Gosset & Géraud Bénech
Théâtre de la Contrescarpe – 9 février 2022 21h00
Marc Chouppart
Fabienne Galloux-Meurisse ( pour cette représentation)
Pour le même rôle également Laurence Cordier

Affamée, Raven Leilani, Nathalie Bru 10/18

Edie est une afro-américaine dans un monde de blancs. Elle vit dans une coloc' du genre taudis (avec les cafards qui vont avec...). Au boulot, elle multiplie les erreurs : trop noire, trop grosse, elle a fait une fac au rabais (avec les emprunts étudiants qui vont avec...), elle n'est pas assez motivée, et en plus elle a couché avec tous les mecs.

Lorsqu'elle fait la connaissance d'Eric sur une appli de rencontre, on ne peut pas dire que ce soit le grand amour mais bon, même s'il est marié, peu disponible et un peu tordu, Edie a trop la flemme pour entamer une relation avec un autre mec. Il n'empêche que cette histoire va peut-être ranimer quelque chose en Edie.

En attendant, elle est totalement blasée et elle (se) traine un peu (voire beaucoup). Pourtant, on a une envie irrépressible de la suivre dans cette vie d'échecs et de désillusions (même si, à vrai dire, sa lucidité mordante lui ait interdit toute illusion).

J'ai aimé ce livre et apprécié le personnage. Car si le thème est éculé (un adultère un peu foireux), l'écrivaine Raven Leilani parvient à raconter cette histoire d'une façon irrésistible.

"Nous nous retrouvons dans le noir, et toutes ces choses insipides et trop généreuses que les hommes sont sujets à proférer avant de jouir ont l'air troublantes et vraies. Des mots tendres, cucul la praline. un vocabulaire qu'on reçoit, belle joueuse, et qu'on renvoie à la volée les yeux fermés. Parce que lorsque c’est fini, lorsqu’il se penche pour ramasser son pantalon, de l'autre côté de la porte il y a un monde avec des embouteillages, la rougeole et nulle place pour ces mots optimistes et capiteux." (page 178)

L'autrice réussit à nous embarquer totalement dans la vie de cette drôle d’héroïne qui est plus battante qu'elle ne veut l'admettre. Toujours à la recherche de quelques dollars, la narratrice enchaine des expériences surréalistes, déshumanisées et désastreuses, que ce soit comme livreuse à vélo ou comme sexcameuse.

"Je laisse tomber les petites annonces et me rabats sur un site de cam-girl respectable, même si j'ai du mal à y connecter mon Paypal et malgré la rareté du trafic. Pendant une demi-heure, je reste assise en soutien-gorge devant la caméra et ne décroche qu'un seul client. Le type passe la majeure partie du temps à lire le journal, puis il le plie et m'envoie un message par le chat qui dit, Suicide-toi, sale pute de négresse. Je me déconnecte et pense au nez de clown." (page 129)

Mais qu'on ne s'y trompe pas, ce livre n'est pas un manifeste. C'est juste une description de ce à quoi peut ressembler la vie d'un looser magnifique dans le monde d'aujourd'hui.

"Je consulte mes mails: un message des pains Panera qui dit Aucun poste n'est à pourvoir dans la société pour l'instant, mais n'hésitez pas à nous recontacter prochainement, un message du Ministère de l’Éducation nationale, un message de la Bank of America, un message de ma proprio qui a de mauvaises nouvelles au sujet de ma caution,, un autre d'un prince nigérien et puis un dernier de mon assurance santé qui souhaiterait me rappeler par la présente qu'à la suite de mon licenciement, mes droits à une couverture médicale expireront dans onze jours." (page 159)

Même si ce n'est pas toujours l'éclate, bon sang ce que cela fait du bien de lire un roman de notre époque !

PS: retrouvez un autre regard sur ce livre en cliquant ICI

Cherche Midi Éditions
Paru en poche chez 10/18

le 03 février 2022
237 pages, 7,50€
Traduction Nathalie Bru

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