Les trois brigands, Tomi Ungerer, Wilfried Bosch, Montansier
Les Trois Brigands, c'est l'histoire de trois voleurs qui trouvent Tiffany dans une diligence qu'ils pensaient cambrioler. Ils gardent la petite fille avec eux parce qu'elle est orpheline et qu'elle leur plait. Après, quand elle leur demande ce qu'ils veulent faire avec tout leur or, ils décident d'acheter un château et d'aller à la recherche de tous les orphelins.
Il y avait trois comédiens (deux garçons et une fille) qui jouaient le rôle des trois brigands. Tiffany, la petite fille recueillie par les voleurs, c'était une marionnette. On voyait un peu leurs mains, et c'était un peu dur de rentrer dans l'histoire, mais, à part ça, c'était bien.
Certains élèves de ma classe trouvaient qu'il n'y avait pas beaucoup de décor: juste un carrosse, une lune (avec des ombres chinoises) et un coffre. Moi je trouve que le carrosse était vraiment super ; en fait il faisait quasiment tout : il avait les fenêtres qui s'ouvraient et, à chaque fois, ça changeait de décor à l'intérieur. Il était bleu, très joli. Ça a dû être du travail de faire ça.
A un moment, c'était drôle quand l'un des voyageurs (en fait, une marionnette), disait "j'ai pas peur, j'ai pas peur" mais qu'il s'est évanoui quand un squelette est apparu à côté de lui et lui a fait "bouh!". C'était amusant aussi lorsque le brigands dévalisent la diligence et que l'un des passagers cherche son doudou partout et dit: "hé, si vous avez vu un doudou, je le veux bien, c'est un petit cochon tout rose avec la queue en tirebouchon".
Il y en a beaucoup dans la classe à qui ça n'a pas plu. Pour moi, ce n'était pas un spectacle Waouh ! mais c'était bien. Moi j'ai tout aimé.
Norma D. (8 ans)
Janvier 2022
Théâtre Montansier, Versailles
de Tomi Ungerer
adaptation et mise en scène Wilfried Bosch, création musicale Gustavo Beytelmann
scénographie Maurizio Bercini et Donatello Galloni, costumes Marie-Edith Agostini,
marionnette Tiffany Francesca Testi
collaboration artistique Thierry Barbier et Elisabetta Spaggiari
avec Wilfried Bosch, Giada Melley, Sébastien Innocenti
coproduction Cie Les Muettes Bavardes et Cie Les petites Don Quichotte
A partir de 5 ans
American Dirt, Jeanine Cummins, 10-18
Dès la première phrase, on est happé par cette histoire à la violence effroyable et saisissante: "L'une des premières balles surgit par la fenêtre ouverte, au dessus de la cuvette des toilettes devant laquelle se tient Luca."
Miraculeusement rescapés d'une tentative de meurtre, Lydia et son fils de 8 ans, Luca, tenteront de fuir le Mexique en devenant Migrants. Avec American Dirt, l'autrice Jeanine Cummins nous plonge dans l'horreur absolue, celle des cartels et de l'émigration, en même temps qu'elle nous convie à un voyage où l'humanité peut, aussi, recéler une solidarité inattendue et de l'amour précieux.
"Je m'appelle Danilo. Quand vous serez arrivées là où vous voulez aller, quand vous aurez un boulot et une maison agréable e que vous rencontrerez un beau garçon, un gringo, que vous serez mariées et aurez des enfants, quand vous serez de vieilles dames et que vous borderez vos nietos dans leur lit, je veux que vous leur racontiez qu'un jour, il y a bien longtemps, vous avez rencontré à Guadalajara un homme sympa nommé Danilo, qu'il a marché avec vous et qu'il balançait sa machette de gauche à droite pour dissuader les crétins d'avoir de mauvaises idées".
La description d'un Mexique gangrené par le trafic de drogue et son cortège de corruption est terrifiante. Aucune couche de la société n'est épargnée, personne n’est digne de confiance, et si les trafiquants savent se montrer séduisants et généreux, ils sont en réalité des brutes sanguinaires jamais repues de violence.
La description de la situation des Migrants est bouleversante. Ce n'est ni par envie ni pour céder à une quelconque chimère qu'ils quittent leur pays , c'est tout simplement parce qu'ils n'ont le choix. Pour tenter d'échapper à la violence qui règne en Amérique du Sud, ils devront – au péril de leur vie - sauter sur un train de marchandises en marche pour tenter de rejoindre le Nord.
"Certains d'entre vous tomberont du train. Beaucoup seront estropiés ou blessés. Beaucoup mourront. Beaucoup, beaucoup d'entre vous seront kidnappés, torturés, victimes de traite ou rançonnés. (...) Seul un sur trois d'entre vous arrivera vivant à destination. Est-ce que ce sera vous?"
Cette enquête en forme de thriller haletant et instructif est addictif ; ce roman est redoutablement efficace et bien écrit. On tourne page après page tant on veut connaître la suite, tant on a envie de savoir si Lydia et Luca vont s'en sortir. Je parie que vous dévorerez les 560 pages sans avoir envie de reposer le livre.
America Dirt,
de Jeanine Cummins
Traduction par Françoise Adelstain et Christine Auché
Éditions Philippe Rey et 10-18 en poche
Pôles – J. Pommerat – C. Hatey F. Marschal – Studio Hébertot
Pôles n’a pas été joué sur scène depuis 2001. La Compagnie Air du Verseau le présente au Studio Hébertot de Paris jusqu’au 25 février 2022 dans une mise en scène de Christophe Hatey et Florence Marschal.
La scène est épurée. Deux panneaux mobiles à cour et à jardin structurent l’espace scénique. Une chaise. Il n’en faut pas plus pour donner corps au texte de Joël Pommerat. Avec ce parti pris, tout repose sur l’interprétation des comédiens, des comédiennes, et les éclairages. Et cela tient. La sobriété, la maîtrise du rythme créent une tension chez le spectateur qui suit tableau après tableau l’intrigue dans des va-et-vient chronologiques en miroir.
« Elda Older a des troubles de la mémoire. Elle rencontre Alexandre-Maurice, le modèle de son frère sculpteur. Elle le recueille chez elle et veut lui faire écrire son histoire : vingt ans plus tôt, dans un appartement qui ressemble étrangement au sien, vivaient Alexandre-Maurice, son frère Saltz et leur mère impotente ; jusqu’à ce que les propriétaires menacent de les expulser. Pour protéger sa mère, Alexandre-Maurice l’aurait-il tuée ? »
L’interprétation de Florence Marschal, de Roger Davau, de Loïc Fieffé et de Samantha Sanson – très belle scène de colère avec une diction ciselée remarquable - apportent en continu tout au long de la pièce une tension palpable dans un studio théâtre qui se prête particulièrement à cette ambiance frontale.
En contre-point, les interprétations de Tristan Godat, de Cédric Camus, de Karim Kadjar ou d’Aurore Medjeber apportent une légèreté aux aspects toujours grinçant. Les personnages ordinaires n’en sont plus. Transformés par le texte et un langage dramatique qui joue avec les mises en abymes théâtrales, d’espace et de temps. Pôles parle de théâtre, de mémoire, de corps et de notre rapport au temps.
Une expérience théâtrale sous tension intéressante pour redécouvrir ce texte oublié de Joël Pommerat.
Clara Haskil, Prélude et Fugue, Kribus, Nebbou,Laetitia Casta, Rond-Point
Elle est l’une des pianistes les plus brillantes du 20ème siècle et une véritable icône pour les spécialistes de la musique classique. Elle a enchainé les triomphes et pourtant, elle a peiné à trouver des engagements. Sur la scène du Théâtre du Rond-Point, Laetitia Casta et Isil Bengi ne font qu’une pour incarner le mystère Clara Haskil.
Clara Haskil est née à Bucarest en 1895 mais elle quitte sa famille dès l’âge de sept ans pour commencer des études musicales à Vienne. Son talent est rapidement découvert et elle commence à donner des concerts dans la foulée. Cette fulgurante percée est arrêtée net par la guerre et la maladie. Pour la soigner, on l’enferme alors durant des mois dans un corset en plâtre.
Une fois guérie, Clara reprend le chemin des concerts mais les cachets ne suivent pas. Dans le film « Clara Haskil, le mystère de l’interprète », le critique musical Alain Lompech explique : « En fait, il n’y a pas eu d’imprésario qui s’est intéressé à elle pour développer sa carrière ». D’autant plus que Clara Haskil a son petit caractère et ne cesse de douter de son talent en dépit de l’engouement qu’elle suscite.
A partir de la seconde guerre mondiale, elle trouvera refuge à Vevey. Et cette fois-ci, son talent éclatera au grand jour et elle enchainera les tournées mondiales.
Safy Nebbou nous fait découvrir la vie de cette prodige en mettant en scène le texte de Serge Kribu qui brosse un portrait romantique et puissant de l’étonnante pianiste.
Sur une scène dépouillée, Lætitia Casta incarne avec brio Clara Haskil ainsi que toutes les personnes qui l'ont entourée. Elle arrive avec beaucoup d’émotion à raconter les doutes, les pensées et les combats que Clara Haskil a dû traverser le long de sa vie parsemée d’embuches.
Elle n’aura cessé d'espérer et de jouer. C’est cette force et cette beauté qui ont séduit Lætitia Casta dans l’interprétation de ce personnage. Ce moment de théâtre se révèle à la fois intense et joyeux.
Lætitia Casta n’est pas seule sur scène puisque la pianiste Isil Bengi interprète de nombreux morceaux à ses côtés. Les notes de musique répondent ainsi au texte de Serge Kribus. Il s’agit bien plus que d'uniquement mettre en musique ou d’accompagner la comédienne.
Une très belle soirée au théâtre du Rond Point. Une très belle découverte de la vie de Clara Haskil interprétée avec brio par Laetitia Casta et Isil Bengi.
Du 5 au 23 janvier 2022
Théâtre du Rond Point
Texte : Serge Kribus
Mise en scène : Safy Nebbou
Avec : Laetitia Casta
Pianiste : Isil Bengi
Le droit d’emmerder Dieu – Richard Malka – éditions Grasset
C’est quand même autre chose que d’emmerder les antivax !
7 janvier 2022. Quel meilleur jour pour faire un retour sur le livre de Richard Malka ? Il y a 7 ans, des terroristes essayaient vainement mais avec la violence la plus extrême de faire disparaître Charlie Hebdo. « On ne peut pas tuer une idée » rappelle Richard Malka. Hommage à Charlie et à la liberté d'expression !
Richard Malka est l’avocat de Charlie Hebdo lors du procès des attentats de janvier 2015 ouvert le 2 septembre 2020 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Dans le cadre de son activité, il écrit ses plaidoiries. En collaboration avec les Editions Grasset, il décide de publier la plaidoirie dans son ensemble, plus longue que celle finalement présentée le 4 décembre 2020 lors du procès qui a conduit à condamner les quatorze personnes poursuivies dont trois absents, de quatre ans de prison à la réclusion à perpétuité. « Le droit prime sur la force ».
En 85 pages, Richard Malka présente une plaidoirie qui se place dans une perspective historique, reprenant à la fois les valeurs et principes de notre République mais également la frise chronologique des manipulations, lâchetés idéologiques, politiques, religieuses, artistiques, qui ont existé avant, pendant et après l’événement tragique. Un retour en arrière qui doit aujourd'hui faire réfléchir de nombreux acteurs de la vie publique. Le temps a fait son travail. Pas l'oubli. Malka n'oublie personne. Chacun fera son examen de conscience.
Richard Malka revient dans un premier temps sur l’histoire des caricatures, l'escroquerie méconnue des caricatures au Danemark, puis l’histoire du blasphème en France depuis Maupertuis le physicien qui démontre que la Terre est aplatie en ses deux pôles en 1740 en dépit des croyances de l’Eglise, en passant par l’Encyclopédie des Lumières, jugée hérétique, la suppression du délit de blasphème en 1791, la loi sur la Liberté de la presse de 1881 jusqu'à l’arrêt Otto-Preminger du 20 septembre 1994 de la Cour européenne des droits de l’homme : « ceux qui choisissent d’exercer la liberté de manifester leur religion, qu’ils le fassent en tant que membres d’une majorité ou d’une minorité religieuse, ne peuvent raisonnablement s’attendre à être exemptés de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter le déni… Et même la propagation par d’autres de doctrines hostiles à leur foi ».
Malka revient ensuite sur l’histoire de Charlie et met en perspective la place et la nature du rire qui deviendrait « sacrilège », telle la partie sur la comédie de la Poétique d’Aristote disparue des bibliothèques, énigme historique reprise par le célèbre Le Roman de la rose d’Umberto Eco. Une frontière à ne pas dépasser. Enfin, la plaidoirie dénonce sans détour les personnalités qui par leurs propos ont « soufflé sur les braises », laissé avec complaisance progressivement croire qu’il était possible de rogner la liberté d’expression et le principe de laïcité pour accepter l’inacceptable.
Ce petit livre, d’utilité publique, est en somme une ode à la rationalité et à la liberté d’expression. Pédagogique dans son écriture, il permet de comprendre avec raison la fracture qui s’opère progressivement si la vigilance et l’engagement pour la défense de nos libertés ne s’exerce plus. Le Canard Enchaîné, journal satirique, le répète à l’envi chaque mercredi : La liberté ne s’use que si l’on ne s’en sert pas !
Une plaidoirie qui restera dans l'histoire par certains passages qui appellent à la veille des consciences et à notre rationalité. A lire et à partager.
La Grande Arche, Laurence Cossé
Il y a presque trente ans de cela, le quartier de la Défense était loin d'être achevé. Des constructions modernes, dont le CNIT, bordaient alors une immense dalle en forme de boulevard que rien ne venait clore. Un concours international d'architecture fut donc lancé en 1983 pour l'aménagement de la « Tête-Défense » (situé à l'extrémité de l'axe historique parisien). Concrètement, il s'agissait de combler un terrain vague dans le plus grand quartier d'affaires français.
Monarchie républicaine oblige, le Président Mitterrand eut le dernier mot dans le choix du vainqueur.
Surprise lorsqu'à l'ouverture de l'enveloppe anonyme, il apparait que le Président de la République a opté pour le projet de Johan Otto von Spreckelsen, un danois inconnu du tout Paris de l'architecture. Ce professeur d'architecture est avant tout un théoricien et un artiste. Concrètement, il n'a jusqu'alors construit que "(sa) maison et quatre églises".
Très vite, le chef de l'Etat appréciera l'homme tout autant que le projet et l'Architecte, comme Spreckelsen se désigne lui-même (avec une majuscule, s'il vous plait) se croira doté de l'immunité propre au fou du roi. Ne comprenant rien aux méandres de l'administration française, notre danois oublie un peu vite que notre monarque n'est que républicain et qu'il ne peut (et, surtout, ne voudrait pas montrer qu'il a le pouvoir de) décider de tout.
Outre ces complications administratives, Spreckelsen ne veut pas admettre que l'architecture ne se limite pas à un geste et que les chantiers pharaoniques obligent parfois à des compromis avec le réel. On lui adjoindra donc un architecte bâtisseur, français celui-là, qui gérera les aspects techniques de la construction.
C'est une enquête méticuleuse en forme de tragédie que nous raconte l'écrivaine : l'histoire passionnante d'un homme sans compromis sacrifié sur l'autel de la politique.
Une fois commencé, vous ne pourrez plus lâcher ce livre avant de l'avoir fini.
L'écriture de Laurence Cossé est d'une élégance folle et d'une fraicheur revigorante. L'autrice signe une enquête rigoureuse et passionnante qu'elle agrémente de parenthèses et autres digressions parfaitement délicieuses. Elle est ainsi capable d'insérer dans des descriptions éminemment techniques (considérations précises et documentées sur la texture du béton ou sur la portance des poutres) à des anecdotes au ton beaucoup plus personnel (description de sa visite aux archives, ou encore histoire d'une poule rencontrée chez l'un des protagonistes).
" Une enquête est toujours l'occasion de rencontres improbables. La grâce animale, la plume qui a l'air d'une fourrure, les coups de menton d'une orpington aristocratique, ce que véhicule de féérique un oiseau doré, débonnaire et déterminé, la poésie veut qu'on en rende compte."
400 pages / 8,20€
Gallimard - collection Folio
Prix du Livre d'architecture 2016
Prix François Mauriac 2016
Elbow, Gogo Penguin, Neal Francis
Bon allez, on ne va pas vous refaire le couplet sur le “c’était mieux avant”, “vous avez du mal à digérer votre réveillon et l’année 2021” ou “en attendant des jours meilleurs”. La musique peut nous aider à apprécier cette nouvelle année et voici trois disques assez euphorisants.
1. Neal Francis - In Plain Sight
Cet artiste appartient à la catégorie “surdoué mais discret”. L’Américain Neal Francis sait écrire de chouettes chansons mais il y encore chez ce garçon un manque de charisme. Il a donc signé sur le label de l’ultra puissant Dave Matthews et se fait suivre pour son nouveau disque par Dave Fridmann, vénérable producteur des Flamings Lips ou Mercury Rev. La petite touche psychédélique est bienvenue dans l’écriture de Neal Francis qui défend un rock poli et élégant. Comme on n’en fait plus vraiment. Il ne cherche pas la provocation mais plutôt l’approbation.
Pour cela il célèbre un rock qui scintille avec des guitares qui glissent sur des rythmes que n’aurait pas renié Stephen Stills à une certaine époque. Ça frise la virtuosité mais il y a toujours cette humilité naturelle chez ce songwriter qui refuse de trop en faire mais qui cherche avant tout à (se) faire plaisir!
2. Gogo Penguin - GGP/RMX
Si la musique californienne vous effarouche, la sophistication ne doit pas vous faire peur et voici pour entrer dans l’année 2022, le son moderne et métronomique de Gogo Penguin. D’abord groupe de jazz avant-gardiste à la vista hypnotique, les voici capturés dans l’univers infernal du remix. Ce qui va très bien à leur musique qui apprécie et fabrique elle-même des mutations au sein du genre.
Alors si vous voulez que les premiers jours de l’année ressemblent à un after voici une succession de titres accrocheurs qui vont marier idéalement la magnétisme du trio mancunien à des objets beaucoup plus synthétiques mais qui vous feront également réagir. Car ce disque passe à l'offensive dès le début et ne vous lâchera plus avec ses boucles jazzy et/ou électro. On ne sait plus trop ; la symbiose est quasiment parfaite.
3. Elbow - Flying Dream 1
Manchester reste la destination à la mode en ce début d’année. C’est là-bas que l’on retrouve les racines d’Elbow, groupe de rock au parcours atypique, créateur d’un authentique chef d’œuvre : The Seldom Seem Kids. Vingt ans après ses débuts, le groupe continue de diluer ses turpitudes et ses états d’âmes sur des musiques de plus en plus personnelles.
La grande qualité du groupe, c’est surtout la voix éraillée et terriblement sensible de Guy Garvey. Elle soutient donc une musique douce et finement travaillée. Comme pour beaucoup d’artistes, ce disque-là est celui du confinement. Dans leur coin, les musiciens ont bidouillé des mélodies avant de tout partager dans un théâtre de Brighton.
Cette mise en commun donne un aspect “création en cours” assez réjouissant. Car on devine toujours les hésitations et les trouvailles d’un groupe toujours aussi solide malgré le temps qui passe, les égos qui gonflent et les événements de la vie. Effectivement il y a quelque chose d’évanescent dans ce Flying Dream 1. Une façon parfaite de ne pas trop atterrir violemment dans cette année 2022!
Les gros patinent bien, cabaret de carton – Olivier Martin-Salvan – Pierre Guillois – Théâtre du Rond-Point
Carton plein ! ⭐⭐⭐⭐⭐
Le fond et la forme choisis étaient pourtant risqués : passer d’un théâtre de tréteaux à un théâtre d’écriteaux et de carton. Le principe paraît d’une simplicité exemplaire : éclairage dans la salle, deux physionomies : un gros, un maigre, un plateau surélevé. Le gros, Olivier Martin-Salvan, est assis, quasiment immobile durant tout le spectacle en centre scène et joue un voyageur américain en costume trois pièces traversant le monde. Son langage : l’onomatopée anglophone, ses expressions. Le maigre, Pierre Guillois, interprète, est le préposé à la mise en décor du récit de l’américain. Son langage : un corps en mouvement sur l’ensemble du plateau, et des mots écrits en noir sur des cartons de toute taille qu’il brandit, manipule, lance, expose, déplace, déchire. Une matière texte à volonté. Les décors sont des mots.
La partition visuelle s’écrit alors dans la tête du spectateur en liant les expressions du visage, les tonalités des onomatopées de l’américain avec les mots clefs présentés et interprétés par un Pierre Guillois débordant d’énergie, extraordinaire. A coup sûr, il est le héros de ce cabaret rocambolesque qui joue avec inventivité sur tous les ressorts d’un théâtre comique, clownesque relevant parfois du « cartoon ». Naît ainsi un théâtre où tout devient interdépendant.
Ce cabaret de carton n’en a que le nom. L’ensemble de cette épopée est d’une très haute technicité, comme l’était leur précédent spectacle Bigre. La technique est irréprochable, fondée sur une grande maîtrise du contexte et de la temporalité, du rythme de la représentation. La fameuse mécanique plaquée sur du vivant de Bergson, génère rires sans fin chez le spectateur qui découvre deux comédiens dans un apparent lâcher-prise créatif. Tout semble possible avec ce duo et cette forme théâtrale. Surréaliste. Les tableaux se succèdent comme par enchantement. Carton après carton. Une folie.
Guillois et Martin-Salvan démontrent magistralement qu’il est possible, par un jeu d’équilibre et de déséquilibre permanent entre leurs différents langages de projeter le spectateur dans leur l’imaginaire grâce à de simples mots théâtralisés. Une pensée onirique du Hashtag qui fait mouche. La seule présentation décalée de phrases en prose sur des cartons suffit à faire prendre conscience avec humour de l’ennui créé par une syntaxe inadaptée à la forme théâtrale choisie. Le théâtre n’appartient pas qu’à la littérature nous rappelle brillamment ce duo. L’efficacité de ce cabaret, de ces mots en action le prouvent une fois de plus et on s’en réjouit. Le rire fuse.
Mieux. Le langage dramatique révèle des pépites visuelles nées des contraintes de jeu : écritures typographiques successives grossies ou réduites pour exprimer une intensité, telles des phylactères, ou l’éloignement d’un paysage en fond de scène, jeux de mots à la Boby Lapointe, messages politiques à demi-mots sur les migrants lorsque l’américain traverse la Manche. Les effets scéniques sont redoutables. Défilent ainsi une sirène, une espagnole, une bretonne, un ours, un écossais, un véliplanchiste fantasque... et bien d'autres. La création mentale du spectateur est perpétuellement en éveil. Un défi au temps et à l'espace.
Ici, il ne s’agit que d’agir et de produire du rire. Une curiosité théâtrale du vivant à ne surtout pas manquer.
https://www.theatredurondpoint.fr/spectacle/les-gros-patinent-bien-cabaret-de-carton/
Dates de la tournée :
25 — 29 JANVIER 2022 THÉÂTRE SORANO / TOULOUSE (31)
À PARTIR DU 3 FÉVRIER 2022 THÉÂTRE TRISTAN BERNARD / PARIS (75)
3 ET 4 MAI 2022 THÉÂTRE L'AIRE LIBRE / SAINT-JACQUES-DE-LA-LANDE (35)
7 — 9 MAI 2022 TRANSVERSALES, SCÈNE CONVENTIONNÉE CIRQUE / VERDUN (55)
12 — 14 MAI 2022 THÉÂTRE FORUM / MEYRIN (SUISSE)
18 ET 19 MAI 2022 L'AZIMUT / ANTONY / CHATENAY-MALABRY (92)
21 ET 22 MAI 2022 SCÈNE NATIONALE 61 / ALENÇON (61)
27 — 29 MAI 2022 LA PASSERELLE; SCÈNE NATIONALE DE GAP (05)
10 — 12 JUIN 2022 (OPTION) THÉÂTRE DE POCHE / HEDE-BAZOUGES (35)
19 ET 20 JUIN 2022 THÉÂTRE DE LORIENT, CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL (56)
Spiderman No way home, Marvel, Sony Pictures
La petite araignée du quartier continue son petit bonhomme de chemin sur l’autoroute des blockbusters standardisés avec une certaine réussite. Ce nouveau volet défie le passé, le présent et le futur.
Du passé, Peter Parker va devoir affronter une grande partie des ennemis vus dans les autres films. A cause d’un tour de magie du mystérieux et rigolard Dr Strange, Peter Parker découvre les Multiverses avec leurs dimensions différentes et leurs destinées diverses. Il se retrouve, entre autres, face au machiavélique Bouffon Vert (sublime Willem Dafoe) venu des films de Sam Raimi ou l’homme électrique aperçu dans le diptyque de Marc Webb. Jon Watts secoue tout cela pour son troisième film qui clôt avec plus ou moins de bonheur une nouvelle trilogie, plus jeune, légère et sympathique.
Ce cinéaste a bien appuyé sur l’humilité du super héros, défenseur de New York, adolescent romantique perdu dans le monde moderne et incroyable acrobate pour coller des bourre pifs à des monstres terrifiants. Aidé par son casting, il a réussi à faire de Spider-Man, une chronique cruelle sur ce passage vers l’âge adulte et la fin de l’innocence. Tout en restant spectaculaire.
Car ce nouvel épisode est bien un blockbuster marqué par Marvel. Ça dure trop longtemps. Il y a des scènes d’action incroyables. La musique est un accessoire trop peu respecté. Le film continue de nous entraîner dans le révisionnisme ambigu de Marvel qui réécrit les films de genre, l’histoire américaine et révolutionne encore Hollywood par ses liens narratifs entre tous les films de ce studio omnipotent. A la différence des deux précédents épisodes, celui-ci est un peu fatigant.
Car ce film a l’ambition de préparer le futur. Si l’ambiance de ce film est très agréable (un oscar de la coolitude éternelle pour Marisa Tomei s’il vous plait), on a le droit d’être un peu sceptique devant un scénario trop tortueux pour être honnête. Il cherche simplement les conditions idéales pour préserver le super héros, poule aux œufs d’or du studio et pouvoir encore justifier d’autres films sur le personnage. L’entreprise est arriviste et ne s’en cache pas du tout.
Ce No Way Home pourrait donc être insupportable mais reste bizarrement attachant. Son charisme et sa mythologie résistent visiblement à tout et on trouve même de très jolies scènes avec de l’émotion. C’est ce semblant d’humanité qui fait peut être la différence avec tous les autres films de super-héros. C’est ce qui fait la valeur de ce film pas nécessaire mais très plaisant.
Au cinéma le 15 décembre 2021
Sony Pictures
Angels in America, Tony Kushner, Aurélie Van Den Daele, l’Union Limoges
Pour cette première rencontre entre le public du Théâtre de l'Union et le travail de sa nouvelle directrice, le théâtre s'est transformé en une fête : bonbons, préservatifs, affiches colorées, arc en ciel, musique, hotdog et public en nombre.
A vrai dire, je n'avais jamais entendu parler de cette pièce pourtant lauréate d'un Prix Pullitzer et montée à la Comédie Française par Arnaud Desplechin. Voilà qui en dit long sur ma culture fragmentée, sur la façon dont je suis passée à côté des années sida pourtant au cœur de mon adolescence. Je dois donc bien admettre que, trop préoccupée à me hisser toujours plus haut, je ne voyais pas combien j'étais sclérosée dans une classe de dominants taisant son nom, aveugle à ses propres privilèges. Pourquoi raconter tout cela ? Et bien, parce qu'à mon sens, c'est ce dont parle Angels in America : ce que la liberté nous fait ou pas, ce que nous percevons des oppressions que nous subissons, ce que nous occultons de celles que nous exerçons, tout cela englobant notre inscription dans les institutions, notre rapport à la sexualité, à la norme, aux minorités, au mensonge, au pouvoir, etc.
Je suis passée par différents sentiments. Tout d'abord, la joie de la découverte, celle de sentir le théâtre vivant, de voir de jeunes spectateurs heureux d'être là, de découvrir le plateau et les comédiens jouant en nous attendant, nous, public.
Et puis, la première scène où le jeu se fait avec un accent forcé m'a coupée du texte me faisant craindre le pire et, passé ce moment de doute, le plongeon dans l'histoire. Les histoires des uns et des autres qui s'entremêlent, se croisent dans des espaces qui s'ouvrent et se ferment dans une belle mise en lumière.
La scénographie avec son grand plateau relativement dépouillé dans lequel s'inscrit une boite transparente est particulièrement heureuse. Cet espace dans l'espace, voilà exactement ce dont il retourne tout au long de la pièce : l'endroit de nos angoisses, de nos visions, l'ailleurs dans le présent, l'espace de la mort omniprésente et séparée, ce qui est là et que nous ne pouvons pas voir.
Certains acteurs m'ont particulièrement séduite -et pas que moi- d'autres ont des rôles plus ingrats et j'ai éprouvé quelque difficulté à faire la part entre la répugnance qu'inspire le personnage et un jeu moins envolé.
Et puis, à la fin de la première partie, un ami a posé cette question « Je me demande quelle est l'utilité de ce genre spectacle ? ». Voilà qui venait caresser un léger sentiment de déception. Autant de doutes balayés en découvrant la deuxième partie, en vivant l'évolution des personnages, chacun aux prises avec son devenir qu'il soit confronté à la mort, survivant ou sorti du placard. Il m'est apparu absolument nécessaire de faire vivre ce texte, de montrer encore et encore combien vivre au pays des libertés est une rude épreuve. La standing ovation témoignant que nous étions nombreux à partager cette nécessité.
PS: pour prolonger, je vous recommande La série documentaire du 14 décembre 2021 sur France Culture (Quand la création raconte le sida 2/4 : Corps souffrants, corps combattant) où Aurélie Van den Daele raconte l'accueil de son projet.
PPS: « J'avais beau exploser de désir, la honte me faisait haïr tout ce qui aurait pu me rappeler ce que j'étais. J'avais peur de moi. Un soir le lycée nous avait emmenés voir une pièce de théâtre à la Maison de la culture. La pièce s'appelait Angels in America. Je n'en avais jamais entendu parler. »
Edouard Louis, « Changer : méthode »
du 16 au 18 décembre 2021
Théâtre de l'Union, Limoges
Mise en scène Aurélie Van Den Daele - Dramaturgie de la traduction Ophélie Cuvinot-Germain - Assistanat à la mise en scène Mara Bijeljac - Lumières/vidéo- Son-Scénographie Collectif INVIVO Julien Dubuc - Grégoire Durrande - Chloé Dumas - Costumes Laetitia Letourneau - Avec Antoine Caubet, Emilie Cazenave, Gregory Fernandes, Julie Le Lagadec, Alexandre Lenours, Sidney Ali Mehelleb, Pascal Neyron, Marie Quiquempois