Des disques anti stress pour les vacances
Je ne vais pas vous dire d’éteindre vos portables, vos ordis et vos réseaux, sinon vous ne lirez pas cet article. Mais en cette période estivale, voici quelques musiques qui vont vous faire totalement décrocher.
Pourtant Human Cocoon n’est pas un disque léger. La pianiste Beyza Yazgan a produit son disque en pensant aux tremblements de terre en Syrie et en Turquie. Bouleversée, la jeune femme s’est concentrée sur des pièces simples, douces et évocatrices.
Au point de rivaliser avec un Keith Jarrett en concert. La virtuosité n’empêche jamais l’émotion. L’exécution des chansons répond à une vraie urgence d’écriture, de se retrouver entre mille mauvaises nouvelles.
Il y a quelque chose d'existentiel dans son style. Human Cocoon est d’une beauté sèche qui va pourtant droit au cœur entre classique et jazz. On se met au rythme de la pianiste. La grâce se devine au fil des pièces complexes et qui s’ouvrent petit à petit. C’est un joli labyrinthe qui se visite et où on aime se perdre pour oublier les bruits du monde.
Ce que propose aussi Ezra Feinberg, ancien adepte de la musique psychédélique devenu un hédoniste de la mélodie reposante. Mais pas ennuyeuse. On est loin de la musique d’ascenseur.
Le musicien lorgne un peu sur la new age vintage mais il faut bien avouer que sa musique est caressante et nous demande simplement de nous arrêter. Est-ce un geste politique de nous suggérer de rompre avec un rythme effréné? Les instruments se conjuguent ici pour former un barrage au stress et au surpassement.
D’ailleurs ce n’est pas pour rien que le disque se nomme Soft Power. On retrouve les bons vieux effets du new age avec des synthés cosmiques, des flutes naturelles et un petit fond de jazz à la Herbie Hancock des années 70 : le résultat est évidemment au delà de nos fades quotidiens. Le disque nous emmène vers de jolies utopies et des pensées positives. Un petit cour de Yoga musical en quelque sorte.
Un peu plus stressante mais d’une vraie beauté minérale est la musique du film japonais Le Mal n’existe pas / Evil does not exist, sorti en avril sur nos écrans. Une fois de plus, elle marque la collaboration entre le réalisateur Ryusuke Hamaguchi et la musicienne Eiko Ishibashi. Leur travail commun faisait le charme de Drive my Car en 2021.
Une fois encore, il y a un piège dans ce disque comme les deux autres. Nous sommes aux frontières de styles différents. Sans un mot, l’émotion existe dans le mélange des genres et la beauté qui en sort est vraiment singulière. Ayant travaillé sur plusieurs continents, l’artiste touche à tout avec une vraie dextérité et un plaisir à susciter la surprise.
Brian Eno n’est pas loin. C’est exactement ce que l’on peut attendre de la musique contemporaine. Elle explose nos habitudes. Elle déroute mais ici elle séduit avec ses choix érudits parfois étonnants. En bonne musique de film, se trouve dans les morceaux une tension qui charpente l’ensemble. Avec des idées minimalistes qui se superposent, on se retrouve dans une atmosphère hypnotisante. Une fois encore, à la fin, on a tout oublié sauf l’envie de recommencer encore: découvrir des sons étonnants et qui nous sauvent de la vitesse étourdissante du Monde… bonnes vacances!
Enfermés, Amaia et Sophie Teulière, Funambule
Moi j'aurais voulu voir Le nectar des Dieux, l'histoire du vin en une heure au théâtre Funambule, mais je me suis retrouvé spectateur d'Enfermés, une pièce qui a pour thème les Escape games. C'est donc peu dire que je me suis identifié à Alex, ce personnage qui voulait juste aller récupérer un recommandé à la Poste et qui se retrouve contre son gré dans un escape game avec ses deux copines, Léa et Jo.
Nos trois protagonistes sont enfermés dans un escape game où ils sont censé trouvé le sceptre du Pharaon Pasmoualtournevis mais où ils vont finalement lutter pour leur survie. Bon déjà, j'ai horreur des escape game, des labyrinthes et autres palais des glaces ; rien que l'idée me fait frémir. Et je n'ai aucune admiration pour l’Égypte antique. Des mecs qui ne savaient pas dessiner et qui adoraient les chats, tu parles d'une civilisation...
Malheureusement, cette pièce qui n'était pas faite pour moi n'a pas réussi à me convaincre. J'ai souffert pendant un peu plus d'une heure, avec une furieuse envie de m'échapper, moi aussi.
Les autres spectateurs ont eu l'air d'apprécier et de s'amuser, particulièrement ceux qui ont (su garder) une âme d'enfant et qui ne sont pas de vieux râleurs comme moi. Il faut dire que les gags fusent à un rythme effréné et que les comédiens donnent tout ce qu'ils ont: ils jouent, chantent, dansent, se roulent par terre pour emporter le public et le faire participer activement à cette grande aventure en chambre close.
Jusqu'au 1er septembre 2024
Funambule Montmartre
La Compagnie des brunes
de Amaia et Sophie Teulière
avec Antoine Ody ou Antoine Demière, Laura Hatchadourian ou Charlotte Bottemanne, Sophie Teulière ou Laurine Mével
mise en scène Amaia
création lumières Robin Belisson
durée 1h15
Twisters, Lee Isaac Chung
Le film Twister date de 1996. C’était un blockbuster un peu vain à l’époque. Aujourd’hui c’est un chef d’œuvre quand on considère son duo d’acteurs Bill Paxton et Helen Hunt et l’efficacité intelligente de Jan de Bont, chef op de Piège de Cristal et réalisateur de Speed. C’était bêta mais au moins ça avait de la gueule.
Parce que Hollywood n’a plus d'idées, les tornades de l’Oklahoma sont donc de retour pour tout faire voler en éclats. Ne vous inquiétez pas: avec les effets spéciaux d’aujourd’hui on navigue entre les forces de la nature avec une virtuosité inouïe. Ça décoiffe.
Pourtant ça n'impressionne pas du tout le spectateur, ni les protagonistes de ce nouveau film avec un “s” à la fin. Bon faut dire que c’est leur boulot de chasser les tornades qui ravagent le centre des États-Unis. Comme dans le premier film, les héros ont de bonnes intentions pour chercher une solution à cette catastrophe naturelle assez esthétique pour être un sujet de film. Mais ils ont tous des méthodes un peu tordues pour percer le secret de ce phénomène météorologique.
Le réalisateur Lee Isaac Chung n’a pas le talent de Jan de Bont. Il arrive à créer de temps en temps de jolies images lorsque l’héroïne observe le ciel à la recherche de son intuition. Une soudaine poésie s’immisce dans un amas de stéréotypes aussi énormes que les destructions.
Il faut donc se farcir un héros tête-à-claques (joué par Glen Powell, carnassier déjà tête-à-claques vu dans Top Gun Maverick) qui porte son pays dans son cœur et dans son âme. Au point de redonner confiance à l’héroïne bien entendu traumatisée par une mortelle rencontre avec une tornade géante. Entre les deux, il y a un petit gars pathétique qui se fait doubler par le héros youtubeur musclé et qui fait tout de travers pour réaliser son rêve américain. A la différence du premier film, on devine dans ce nouvel épisode, un patriotisme un peu rance.
Dans le premier film, les héros retrouvent la flamme parce qu’ils avaient les mêmes passions. Ici, c’est l’Oklahoma qui rapproche les principaux personnages. Okay, c’est un point de vue… Bon heureusement qu’il y a les dialogues scientifiques très brumeux, une bande son bien yankee qui donne envie de faire du rodéo et des seconds rôles croquignolesques pour faire passer la pilule.
Lee Isaac Chung fait un vague copié collé du premier film. Là où Jan De Bont semblait vraiment s’amuser; ici, c’est sagement exécuté. Le spectaculaire devient presque banal car le rythme du récit est extrêmement répétitif. Malgré trois studios derrière lui (Universal, Amblin et Warner Bros), la déception souffle assez fort sur Twisters. Envolez vous vers une autre salle!
Au cinéma le 17 juillet 2024
Avec Daisy Edgar Jones, Glen Powell, Anthony Ramos et Maura Tierney
2h02
Only the river flows, Shujun Wei, Ad Vitam
Ça se passe dans les années 90 au fin fond de la Chine. L’inspecteur Ma Zhe trompe son ennui entre des parties de pingpong avec son chef, grand patriote, et ses paquets de cigarettes. Lorsque des meurtres sont commis au bord de la rivière, il se confronte à une réalité sordide qui va le broyer.
C’est donc un thriller. Il y a un mystère. Il est enfoui dans la folie des hommes et le pauvre héros doit aller le chercher. Le réalisateur Shujun Wei fait tout pour nous mettre dans un ambiance acre et malaisante. Il pleut tout le temps. La région vit sous un perpétuel crépuscule.
Le film débute comme un polar puis, comme son héros, va basculer vers autre chose. On se met même à penser à David Lynch. D’ailleurs l’acteur principal est extraordinaire. Zeng Meihuizi est dans une espèce de torpeur qui cache en réalité une fureur sourde mais qui sort de plus en plus au fil de l’enquête. Le regard du flic devient une énigme supplémentaire dans une œuvre qui devient opaque. Au point de dérouter dans sa dernière partie.
Car le film est aussi un film social. Comme toujours dans le cinéma chinois qui arrive chez nous, la subtilité se trouve dans l’illustration. Les détails sont intéressants. La description de la vie d’usine, du commissariat (qui remplace un cinéma, ce qui n’est pas anodin évidemment) et même du couple: tout est réuni pour comprendre la machine à broyer. Les individus sont des pantins. Il est impossible d'être autre chose que ce que vous dit la société. Froide et implacable.
Et pourtant le film va glisser vers un flou émotionnel qui surprend. L’idée de tourner le film en 16mm apporte un trouble physique qui va servir une dérive vers une déprime totale où la logique perd prise. Les tourments du personnage principal sont mis en images. Ils étonnent mais nous passionnent aussi. Car le film est osé. Il ne cherche pas la sympathie du spectateur. Il va au bout de son idée. Cela explique son pessimisme: cela donne à voir une œuvre atypique.
Au cinéma le 10 Juillet 2024
Avec Zeng Meihuizi, Yilong Zhu, Tianlai Hou et Kang Chunlei
Ad Vitam -
Football politiques, Pauline Londeix, 10/18
Peut-on encore aimer le sport de haut niveau ?
Peut-on encore aimer le sport de haut niveau ? Peut-on encore aimer le sport business ? Cette question pertinente est posée par Pauline Londeix dans ce fort intéressant petit ouvrage de sociologie.
Comme toujours avec la collection Amorce de 10/18, le livre est d’une clarté lumineuse. Chaque idée est bien expliquée, le plan est méticuleusement annoncé et d’utiles mises en exergue des points importants sont proposées.
Dans une première partie, Pauline Londeix commence par dresser la longue liste des défauts du football, le plus emblématique des sports business mais aussi celui qui connait le plus grand nombre de dérives. Sexisme, inégalités, argent roi, violence, tricheries… le sport roi concentre tous les défauts d’une société aussi machiste que capitaliste dont il est un véritable miroir grossissant.
"Les maux qui touchent le sport de haut niveau semblent refléter ceux dont notre société dans son ensemble est atteinte. Ainsi, savoir si on peut encore aimer le sport de haut niveau revient, d'une certaine façon, à se demander si on peut encore aimer le monde tel qu'il est, avec ses inégalités, son élitisme, ses injustices, sa cruauté." (page 16)
Malgré tous ses défauts, il faudrait néanmoins sauver le soldat football au motif qu'il serait un formidable vecteur de communication entre les hommes. (C'est à dessein que je ne mets pas majuscule à hommes, tant la meilleure moitié de l'humanité semble peu concernée par ce jeu qui passionne littéralement des mecs, les vrais, les virils !).
Dans une seconde partie, l’autrice cherche donc une solution pour racheter le plus populaire des sports (popularité qui n’est pas faite pour me rassurer, soit dit en passant!). Pauline Londeix se prend ainsi à rêver que le foot féminin (moins athlétique mais plus technique, avec du vrai "beau jeu" et du collectif dedans) puisse un jour avoir une bonne influence sur le football masculin. Autrement dit que la footballeuse soit l'avenir du footballeur.
L'espoir fait vivre...
Paru le 06 juin 2024
chez 10/18 Amorce
144 page | 6€
Tous les membres de ma famille ont tué quelqu’un, Benjamin Stevenson, 10/18
D'une façon générale, je ne suis pas fan de romans policiers et encore moins de livres à énigmes (ça fait longtemps que j'ai quitté l'école primaire et que je n'ai pas lu Agatha Christie...). Et je n'aime pas non plus cette manie anglo-saxonne des titres à rallonge. Oui, je sais, je n'aime pas grand chose.
Le roman de Benjamin Stevenson, intitulé Tous les membres de ma famille ont tué quelqu'un, une parodie de livre de détective à la Sherlock Holmes partait donc, de mon point de vue, avec un handicap certain.
Mais que voulez vous, je suis le genre de gars qui, au restaurant, est capable de choisir le menu surprise. En matière de livres c'est pareil, je suis ouvert aux découvertes. C'est comme ça que je me suis retrouvé à lire des bouquins de Patrick Sébastien ou de Christine Angot (qui ont en commun le même talent littéraire doublé d'une grande prétention, mais c'est une autre histoire).
Bref. Je me suis laissé tenter par ce livre car ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion de lire un auteur australien.
L'écrivain joue avec son lecteur et annonce dès le départ la liste des pages où auront lieu les meurtres.
"Si vous ne lisez ce livre que pour les détails sanglants, les décès surviennent ou sont rapportés page 29, page 69, page 93, il y a un doublé pages 103-104 et un triplé page 113. S'ensuit une petite accalmie, mais ils reprennent page 230, page 274 (grosso modo), pages 286-288, page 298, page 325, quelque part entre la page 317 et la page 326 (c'est difficile à dire avec précision), page 340 et page 457. Je jure que c'est la vérité, à moins que le compositeur se plante dans la numérotation." (page 14)
Tant qu'à faire, il aurait pu aussi me prévenir qu'en page 144 on trouvait un chapitre récapitulatif du début du bouquin, ça m'aurait permis de gagner un peu de temps.
Tout au long du livre, Benjamin Stevenson joue avec les codes du roman de genre et respecte scrupuleusement le cahier des charges du bon auteur de livre à suspens. Malheureusement, lorsqu'arrive l'heure du dénouement (la scène se déroulant, comme il se doit, dans un bibliothèque où sont réunis tous les protagonistes ; du moins ceux qui ont survécu), je me fiche bien de savoir qui a tué le Colonel Moutarde avec une clef anglaise dans l'entrée.
En plus de soigner la construction de son énigme, l'auteur multiplie les clins d'yeux au lecteur. "Si vous suivez correctement les numéros de page, vous savez que quelqu'un vient de mourir." (page 69)
Le livre est supposé être drôle, moi je l'ai trouvé assez puéril et lourdingue ; et comme je suis sensible, j'ai eu du mal à rire d'une histoire qui multiplie les morts violentes, y compris les morts d'enfants.
Être curieux me réserve souvent de bonnes surprises. Mais parfois non. Tant pis.
Paru en poche le 06 juin 2024
10/18 Polar
480 pages | 9,60€
Tehachapi, JR, MK2
En introduction de ce documentaire, nous apprenons que 20% des détenus dans le monde purgent leur peine aux États-Unis.
Nous suivrons alors JR dans l'univers carcéral de Tehachapi, l'une des prisons de haute sécurité de Californie, et surtout dans l'aile de sécurité de niveau 4 (sur 4) où règnent la ségrégation, les gangs, la violence avec ses règlements de compte à coups de couteau, et où se trouvent les cages à détenus (extérieures) ayant pour principale vocation de déshumaniser les prisonniers.
JR est un street-artist "star" issu du monde du graffiti, "incognito" avec ses lunettes de soleil Rayban et son chapeau noir, devenu depuis 20 ans maître des monumentaux collages photographiques et participatifs en noir et blanc : "Women are heroes" dans les favelas de Río de Janeiro (2008), le bambin Kikito à la frontière mexicaine avec les États-Unis à Tecate en 2017, le Louvre en 2016 et 2019, et récemment son majestueux projet sur la façade de l'Opera de Paris "Retour à la Caverne - Chiroptera"(2023) en collaboration avec le chorégraphe Damien Jalet et le compositeur Thomas Bangalter (la moitié de Daft Punk). Par le biais de sujets humanistes, politiques, sociaux, voire poétiques, l'artiste met en avant le pouvoir de l'art afin de créer une prise de conscience sur les problématiques du monde actuel. Après le documentaire "Visages, villages" (2017) réalisé avec Agnès Varda, cet habitué des couvertures du Times, passe pour la deuxième fois derrière les caméras - ou son téléphone (adepte des réseaux sociaux oblige).
JR part donc à la rencontre d'une trentaine de détenus et dresse habilement leurs portraits photos. L'idée du documentaire n'est pas de décortiquer leur passif ou de juger le caractère opportun ou non de leur sanction. La plupart sont incarcérés pour des crimes commis alors qu'ils étaient mineurs et certains purgent une peine à perpétuité. JR les invite ensuite à faire part de leur ressenti ou expérience. Les témoignages sont libres, sincères et poignants : sont notamment mis en avant ceux de Cory (père absent surpris par sa propre sensibilité) et Kevin (skinhead repenti qui impressionne avec ses croix gammées tatouées sur la joue et le torse - on ne peut alors s'empêcher de penser à "American History X").
Pour les détenus et l'équipe de JR, l'objectif est de coller les portraits des détenus repris sur un ensemble de 338 bandes de papier de 12 mètres de long donnant l'impression qu'ils se retrouvent dans un trou au cœur de la cour de la prison. L'œuvre collaborative et temporaire sera alors prise en photo par drone, puis diffusée à travers une application, permettant ainsi de découvrir les témoignages audios en cliquant sur chaque portrait.
Comme souvent lorsque JR annonce un projet monumental, on peut penser ego-trip. Or, c'est mal connaître l'artiste et ses engagements, et c'est donc mal comprendre le message. La visibilité est clé. D'autant que le projet plus global Tehachapi s'étalera sur au moins 3 ans. L'artiste est d'ailleurs resté en contact avec la prison et ses détenus. Malgré quelques maladresses, la voix off de JR ne prend pas le dessus, JR est bienveillant et est à l'écoute des protagonistes que sont les détenus qui le lui rendent bien. Certes, le cadrage et le montage sont parfois un peu décousus (effet prise de vue de smartphone à la verticale pour les réseaux notamment), mais cela illustre bien le sujet et le rend plus immersif.
Au-delà de la beauté subjective et de l'interprétation, l'art est surtout un moyen de rendre ce monde plus humain. Dans cette fresque carcérale, la réalité quotidienne brutale n'est pas effacée, mais les projets Tehachapi sont bien une vraie parenthèse pour ces quelques détenus en quête de rédemption. Voilà donc un message d'espoir, d'empathie et d'unité dans une période où malheureusement le radicalisme tend à prendre le dessus. JR réussit à dépeindre positivement, ce qui sera pour certains, "le premier jour du reste de [leur] vie".
Au cinéma le 12 juin 2024
De JR produit par JRSA
1h32
Point soleil !
Bizarrement on file dans les Balkans avec un ancien de Gogol Bordello et deux Israéliens. Ensemble ils montent un petit capharnaüm musical qui nous rappelle un peu les joies éthyliques de Emir Kusturica avec une touche de modernité bienvenue.
Balkan Beat Box s’aventure dans des mélanges dangereux mais totalement maîtrisés. Une sorte de reggae de l’est européen. Les gaillards se laissent aller à l’anglais par ambition mais la musique nous porte dans une douce euphorie brouillée et qui nous fait doucement dévisser.
Ce sont des musiciens pacifiques, très touchés par les tensions au Proche Orient mais leur musique est d’abord une arme de bonheur massif. C’est d’un hédonisme quasi caricatural mais ça fonctionne très bien, surtout dans notre période trouble.
Pour s’envoler un peu plus proche du soleil, qui nous manque durement ces derniers temps, Arooj Aftab semble être la personne la plus compétente. Je ne sais pas vous, mais moi je sais depuis le mois de mai ce que c’est un blocage en omega et la descente d’air polaire. J’ai cependant trouvé une source de chaleur inouïe qui fera du bien à tout le monde.
Bon le storytelling de Arooj Aftab ne va pas plaire à 31% de la population française. Fille de diplomates pakistanais, elle a grandi entre l’Arabie Saoudite et l’Asie et sa passion pour le jazz a fait fusionner un style bien à elle, d’une beauté nocturne qui la fait pourtant rayonner.
Son disque, Night Rein, est d’une beauté incroyable. C’est un éblouissement à chaque chanson, d’une douceur et d’une tendresse que l’on attend plus depuis longtemps. C’est un album qui caresse et veut juste notre bien. Autant d’empathie en musique, on est réellement surpris.
Ses nuits sont visiblement éblouissantes. Entre Ourdou et Anglais, elle nous entraîne dans un spleen scintillant. Les variations sont assez lentes. On s’enveloppe dans ses mélodies qui empruntent à la trip hop. Sa musique est un appel à la pause, à l’introspection et au calme. Night Reign serait une solution au bruit national et à la violence d’un Monde bien trop dur.
C’est ce qui amuse le duo Sages comme des Sauvages. Ils observent leur époque avec un humour inspiré et des musiques expérimentales qui nous donnent des bouffées de chaleur. Leur troisième album est toujours marqué par leur grande originalité, produite cette fois ci par Dakou, spécialiste des musique afro-cubaines.
Là encore, les petits occidentaux, arty et bobos, se dépassent pour mélanger les styles avec une vraie joie de vivre qui réjouit à chaque instant. En trente neuf minutes, le duo, Ava et Ismael, saborde les conventions avec des rythmes chauds et des paroles douces amères.
Eux aussi, se moquent des préjugés et des frontières. Ce qu’ils cherchent, c’est une musique pleine de bien être et de gaieté. Ils vont donc chercher dans leurs origines diverses mais surtout malaxent une musique bizarre et séduisante. Avec eux on voyage et on prend en pleine face un soleil sonore qui n’est que réjouissance.
Ces disques sont solaires donc indispensables quand on voit le monde grelotter et s’inquiéter de tout. Avec eux on a le droit d’espérer, danser, aimer, rêver, respirer… tout ce que ne nous donne pas vraiment le monde d’aujourd’hui!
Soleil et audace, que diable !
Bon au début c’était une chronique pour appeler le soleil à nous réchauffer les os mais depuis quelques heures, cette chronique est un peu plus militante. Car oui la musique est la meilleure porte sur le Monde. Oui la musique aide à comprendre ce qu’il se passe ailleurs. Oui, la musique aide à la démocratie.
Et on aime l’énergie de Mdou Moctar, musicien hanté en permanence par Jimi Hendrix et sa rage positive. Son nouvel album a tout de l’œuvre rock’n’roll qui ne veut pas être simplement exotique. Les riffs sont surpuissants et dépassent toutes les limites.
Le Nigérien ne prend pas l’auditeur avec des pincettes. Il impose des choix qui bousculent. On savait que le Sahel pouvait inspirer les musiciens mais il sort toujours d'une colère saine et électrique.
Funeral for Justice est engageant et engagé. Il mélange la tradition avec la virtuosité. Mdou Moctar est un guitar hero. Et n’imite pas les conventions occidentales. Avec sa culture touareg, il renforce l’idée d’un rock ultime, ancré dans la réalité et très présent. Parce que désormais, si ça ne plait pas à tout le monde, on peut se remplir de toutes les cultures, de toutes les qualités de chacun à travers la planète et cela donne un album irréel, politique et qui met les pieds dans le plat.
On retrouve cette vivacité d’esprit chez le belgo-congolais Baloji. Rappeur talentueux, il est devenu cinéaste, l’année dernière avec Augure, film étrange. Il sort désormais un album autour du film. Comme le film s'articule autour de quatre personnages, l’album s’inspire des protagonistes qui montrent toute la richesse de la diversité culturelle. L’album prend ses repères autour d’un impétueux rap et la rumba congolaise.
Mais l’ambition est tout autre. Les musiques enroulent différents styles pour arriver à une vraie sorcellerie sonore (le film parle justement de sorcellerie) qui se révèle fascinant. Baloji et tous ses invités enchaînent trente six morceaux qui peuvent être efficaces ou ésotériques.
Il caresse puis cogne. L’artiste rassemble avec une aisance saisissante tout ce qui nourrit ses doutes et ses joies. La création enveloppe le projet : c’est peut être un album copieux mais il impose un type à l’aise dans son époque, conscient des dangers et heureux de célébrer son temps, ses envies et ses combats.
Lass joue sur un tout autre registre mais sa musique est aussi consciente du Monde qui l’entoure. Passeport est un album lumineux. Le Sénégalais a bien l’envie de nous faire danser mais il s’impose une introspection qui relève de l’exaltation et le plaisir.
A ce moment où les frontières semblent à nouveau se dessiner dangereusement, son style est une bouffée d’air et une preuve que l’on a le droit de ne pas être qu’une figure figée dans un académisme ou des poncifs réducteurs.
Passeport est justement un disque qui s’autorise à rire, pleurer et prendre tout ce qu’il y a de bon à droite et à gauche. Lass, marqué par sa rencontre avec le groupe Synapson, jongle avec les sonorités joyeuses et entraînantes. Ça n'empêche pas un constat un peu amer mais la musique se roule dans un optimisme que l’on ne connaît plus, y compris dans la production pop.
Alors oui, ces trois albums soulignent que l’on est fait de plein de petites choses, venues d’ici ou d’ailleurs Et que c’est une grande qualité. Une vraie preuve d’humanité et un appel à l’audace…
La disparition de Chandra Levy, Hélène Coutard, 10/18 Society
Le 1er mai 2001 Chandra Lévy disparait à Washington D.C. A l'été 2001, après l'affaire Clinton/Lewinsky et en attendant les attentats du 11 septembre, les journaux américains n'ont rien de mieux à se mettre sous la dent que cette histoire de disparition inquiétante d'une jeune femme, stagiaire dans la capitale, et qui avait une aventure secrète avec un député quinquagénaire et marié.
"Voilà donc atteint le point Godwin de toute enquête criminelle incluant une liaison illicite: et si Chandra était morte dans un jeu sexuel qui aurait mal tourné ?" (page 79)
La découverte du corps de Chandra dans une forêt, un an après sa disparition, n'apportera pas de réponse à cette question. Il faut dire que - contrairement à Hélène Coutard, l'autrice - la police de Washington DC a totalement bâclé son enquête.
Comme c'est toujours le cas avec la collection True Crime de 10/18 Society, le travail journalistique est fouillé et le livre élargit le propos en évoquant les répercussions du crime sur la société américaine, ou ce qu'il dit d'elle.
"Chandra, malgré sa liaison exceptionnelle avec un député, est devenue au moment de sa disparition la girl next door de l'Amérique, l'amie de la fac, la voisine, la jeune collègue... On l'a décrite - surtout avant la révélation de la liaison - comme une jeune femme drôle, passionnée, révoltée contre l'injustice et promise à un brillant avenir. On a dit d'elle qu'elle était sérieuse, prudente, bien élevée. On a parlé de ses études, de sa future carrière. Des caractéristiques correspondant aux descriptions généralement associées aux femmes blanches disparues, vues comme les sœurs, les filles, les mères de quelqu'un. A contrario, quand une femme racisée disparait aux États-Unis, l'accent est surtout mis sur les dysfonctionnements de sa vie ayant pu entrainer un drame et rarement sur ses réussites." (page 195)
"En 2001, l'année où Chandra Levy a disparu, deux cent trente et un meurtres et cent quatre-vingt-un viols ont été commis à DC. Aucun autre fait divers n'a été commenté." (page 196)
L'autrice raconte bien l'histoire, elle ménage le suspense et met en scène des rebondissements qui nous tiennent en haleine. Le bouquin se lit donc très vite, si ce n'est d'une traite.
Malheureusement (!!! attention spoiler alert !!!), comme on n'a jamais retrouvé l'assassin de Chandra Levy (si tant est qu'elle ait été tuée...), il m'a un peu manqué un bon gros tueur psychopathe qui aurait apporté plus de saveur au récit.
Parution le 06 juin 2024
10/18 Collection Society
224 pages | 8€