Mad Max Furiosa, George Miller, Warner Bros
Du sable, de l’essence et de la furie en pagaille, George Miller continue de confondre tragédie et film d’action avec un nouveau volet de la saga Mad Max, déjanté, intrigant et ridicule aussi.
Il a bientôt 80 ans mais George Miller continue de jouer aux petites voitures et de provoquer des accidents. A sa manière si pétaradante. Le cinéaste n’est pas toujours facile à suivre. Ses choix de films sont déconcertants mais quand il se replonge dans l’univers déglingué de Mad Max, il continue de nous surprendre.
Neuf ans après Fury Road, le revoilà avec une nouvelle odyssée mécanique, centrée cette fois-ci sur Furiosa, personnage interprété d’abord par une charismatique Charlize Teron. Ce nouveau film raconte sa jeunesse et son goût insatiable pour la vengeance.
Encore une fois, cela ressemble à un gros blockbuster décérébré avec des personnages grimaçants, des bruits de moteurs assourdissants et de monstrueuses poursuites. Tout le film est d’ailleurs imaginé comme une immense fuite en avant autour d’un enfant traumatisé qui deviendra une guerrière absolue.
Avec elle, on assiste à des cascades folles et des idées de bastons complètement folles. Jusqu’à la folie. La réalisation est savoureuse, redoublant d’énergie pour nous mettre au cœur de l’action. Miller invente des séquences complètement dingues grâce à une grammaire cinématographique qui rend lisible une vraie folie visuelle et parfois morale.
Car George Miller n’est pas qu’un spécialiste de la cascade chromée, c’est un type qui s’interroge sur le besoin d’archétypes et la construction des mythes et des légendes. Furiosa serait une tragédie grotesque, un peu longue, mais véritablement sincère.
Le film est un peu à l’image de Dementus, le grand vilain de l’histoire, joué par un Chris Hemsworth déchaîné, derrière son faux nez tout aussi grossier. Il est à la fois grotesque et fascinant. Bavard, ce personnage nous met dans un vrai inconfort, clairement voulu par le réalisateur, ravi de ne pas nous ménager, au-delà de la violence appuyée qui fait le style de Mad Max. Les hommes ici sont des bouffons affreux, de grands enfants tristes, des pantins face à des destins trop grands pour eux. Reste la figure iconique de Furiosa, silencieuse et mortelle.
Au bout de deux heures et demi, le spectateur sort déboussolé. La virtuosité y est pour beaucoup mais pas seulement… c’est tout le charme et le plaisir du cinéma de George Miller, auteur vraiment à part
Au cinéma le 22 mai 2024
avec Anya Taylor Joy, Chris Hemsworth, Lachy Hulme et Tom Burke
Warner Bros
2h28
Claire Chazal, Ma bibliothèque idéale, Théâtre de Poche
On a tous quelques personnes qui ont marqué notre jeunesse. Pour moi, alors jeune journaliste, ce fut surtout Claire Chazal. J’aimais sa façon de se tenir sur son siège, de regarder « droit devant » la caméra. Et quelle douceur lorsqu’elle évoquait de sa voix calme et précise le monde qui va ou ne va pas.
Pour nombre de mes collègues, elle était trop classique. Ils faisaient la moue, regrettant ses prédécesseurs, en particulier Mourousi et Augry. Certes, elle n’avait pas leur folle impertinence et, si j’étais une de leurs fans, j’aimais Claire Chazal.
Je l’avais devinée travailleuse acharnée. Avec un père ajusteur devenu énarque, et d’une mère professeure de lettres après avoir été institutrice, ça semblait logique.
Oui, Claire Chazal est travailleuse, de la danse classique à des études brillantes, et enfin, le journalisme : économie, grand reportage, culture, rien ne lui échappe.
Et la voici aujourd’hui au Théâtre de Poche-Montparnasse. Philippe Tesson, l’ex-patron du lieu et ami, lui avait proposé de monter sur scène et c’est sa fille qui l’a à nouveau évoqué.
Juste avant le spectacle, j’étais un peu perplexe : comment la « dame du petit écran » serait-elle en lectrice ? Élégante, dans un magnifique décor de bibliothèque, elle se déplace de l’échelle au bureau. Et je retrouve sa voix, son visage, le sourire en plus.
Le choix de grands auteurs - Stefan Zweig, Romain Gary, Charlotte Delbo - ne peut que nous transporter. Le malheur, la violence, la haine et la mort sont omniprésents dans ces textes bouleversants. Chacun à sa manière, et surtout, surtout, Aucun de nous ne reviendra. La voix de Claire Chazal nous emporte et l’on ne peut retenir nos larmes.
Jean Echenoz et Christian Bobin apportent une note moins lourde, surtout le second avec sa poésie si puissante et méditative.
Quand donc Claire Chazal reviendra-t-elle lire des auteurs aussi grands que ceux-là ?
Mai 2024
Théâtre de Poche Montparnasse
Textes choisis et présentés par Claire Chazal
Durée : 1H
Tous les lundis à 21H
Tarifs : 32€ / 25€ / - 26 ans 10€
La peine, la tranquillité et l’espoir en trois disques
Le petit monde du rock indépendant est en deuil : le grand Steve Albini est mort à l’âge de 61 ans. Artiste discret, ce joyeux aventurier du son a révolutionné le rock en 1990 et mis en place un style unique en son genre.
Le grunge correspond à une furieuse époque pour le rock indépendant, mais le destin a joué de mauvais tours à de nombreuses étoiles filantes du genre. On ne va pas les énumérer : cela fait trop de peine.
Et forcément le nom de Steve Albini qui complète le triste tableau, ça nous rappelle cette période heureuse où l’électricité passait dans toutes les angoisses existentielles de quelques chanteurs de Seattle et d’ailleurs. L’ingénieur et le producteur Steve Albini était le seul à si bien maîtriser ce courant alternatif.
Et cela s’entend dans le dernier album de Shellac, son petit groupe rien qu’à lui. Une sorte de rock totalement décharné mais organique. To all trains fonce à cent à l’heure et ne nous laisse pas respirer avec un trio assez classique dans la forme.
On redécouvre cette forme d’urgence qui faisait le charme adolescent du rock des années 90. Tout y est agressif mais particulièrement lyrique. Albini a souvent monté et démonté des groupes. Celui-ci est un idéal. Une basse. Une guitare et une batterie. Et du bruit. Bien construit mais qui commente encore et encore les troubles et le goût de l’expérimentation. Comme toujours avec les productions de Steve Albini, c’est assez captivant et ce dernier album est une sacrée dose d’énergie qui nous fait oublier le vide que l’ingénieur du son va laisser.
Mais il y a encore quelques vestiges du grunge et le plus célèbre d’entre eux, Pearl Jam, continue de tracer sa route avec plus ou moins d’inspirations. Dark Matter est nettement plus réussi que le précèdent, sacrifié en pleine crise du covid.
Depuis l’album Ten, le groupe est devenu une véritable institution américaine. Leurs concerts sont légendaires et le groupe n’a plus grand-chose à prouver. Leurs derniers efforts n’étaient que des excuses pour des tournées rondement menées.
Mais le style si sincère du groupe a perduré. On est tout de même touchés par certains morceaux de ce douzième album. L’ego du chanteur Eddie Vedder s’est gonflé sur un album solo qui date d’un an : Pearl Jam n’a jamais autant ressemblé à un vrai groupe. Et on se surprend à redécouvrir les guitares héroïques du groupe. Stone Gossard soutient un Mike McCready requinqué et en grande forme. Jeff Ament retrouve le goût des entourloupes rythmiques. Et Matt Cameron tambourine comme à l’époque de Soundgarden. On voyage effectivement sur la planète rock. On est mis sur orbite. On ne va pas bouder son plaisir.
Mais nous sommes loin de la philosophie Steve Albini. Pour la sécheresse de ton et le coup de folie, il faut traverser l’Atlantique et découvrir les très décalés Big Special sortis de terres ravagés d’Angleterre. Leur premier disque Postindustrial homtown blues est fait d’une ivresse et d’une rage que l’on entend peu.
Des pubs anglais, aux matins pluvieux en passant par les lectures de Bukowski ou Kerouac, le batteur et le chanteur ont ramassé toute la misère et sa beauté pour la confondre sur des morceaux déconstruits mais qui impressionnent par l’énergie.
Dans l’urgence, le duo met tout dans ces 45 minutes de musique intense, inspiré par le rap, le punk et plein d’autres choses qui vont apparaître petit-à-petit au fil des écoutes. C’est de la poésie barbare. Le duo rend hommage aux ouvriers de Birmingham avec un minimalisme qui nous va droit au cœur. Leur œuvre au noir illumine un monde un peu trop propre. Cela aurait certainement plus au regretté Steve Albini. La peine et l’espoir : deux sentiments qui nous rendent si vivants.
Théodore Rousseau, La Voix de la forêt, Petit Palais
C'est pour moi toujours un plaisir d'aller au Petit Palais, véritable havre de paix au milieu du tumulte des Champs Élysées. Les collections permanentes sont belles (et gratuites !) et les expositions temporaires sont intéressantes et relativement délaissées par la foule. Cette fois-ci, je m'y suis rendu pour visiter l'exposition Théodore Rousseau, La Voix de la forêt.
Théodore Rousseau (1812 - 1867) était un peintre singulier. Un peintre dont l'ambition était de peindre la nature, la nature pour elle-même et non comme un simple décor à des scènes mythologiques. Son ambition était telle qu'il a renoncé pour elle à une certaine carrière, lui qui fut refusé au Salon de Paris et qui choisit de peindre à Barbizon des paysages français (et non italiens comme l'académisme l'aurait voulu).
Théodore Rousseau peint la nature comme il la voit, et non comme il serait de bon ton de la peindre. Pour mieux faire le "portrait" d'un arbre, il n'hésite pas à placer sa toile à la verticale. De la même façon, il mixte les techniques pour mieux restituer la matière qu'il voit. Comme il lui arrive également de présenter des ébauches, on lui reproche, à l'époque, de ne pas "finir" ses toiles.
D'ailleurs, en parlant d'ébauches et de toiles non académiques, il me semble que Théodore Rousseau ouvre la voie aux Impressionnistes (qui viendront juste après lui), même si son œuvre est moins accessible, moins plaisante à nos yeux que les leurs. Car il y a une certaine exigence - voire une intransigeance, une rigueur - dans l’œuvre de ce peintre. Ses paysages de forêt ne sont pas (com)plaisants. Ils sont touffus, extraordinairement détaillés et presque oppressants par moments, notamment lorsqu'ils représentent un magma de feuilles et de mousse et que le ciel est absent de la composition. J'ai été impressionné par le niveau de détail de ces "portraits" en gros plan d'arbres ou de sous-bois ; chaque feuille, chaque mousse, chaque brindille ou brin de fougère est restitué dans sa complexité. L'aspect technique force alors mon respect, mais sans vraiment m'émouvoir.
Je préfère lorsque Théodore Rousseau prend du recul, lorsqu'il fait entrer la lumière du ciel dans la composition, même si ses toiles sont alors moins singulières. Ses ciels gris sont magnifiques, comme dans Le lac de Maubuisson, une ravissante petite huile d'une modernité folle, tout en dégradés de gris. On sent l'influence des peintres paysagistes néerlandais du XVIIème, et l'on fait le parallèle avec Le Chêne de Flagey peint par Gustave Courbet en 1864.
J'ai aussi aimé ses tableaux représentant des grandes pâtures boisées avec des mares, ces paysages qui n'existent plus, remplacés par ces champs modernes aux labours profonds laissé à perte de vue par une agriculture mécanisée qui prétend entretenir le paysage alors qu'elle le démolit consciencieusement.
Nul doute que nos campagnes actuelles, trop souvent défigurées, attristeraient Théodore Rousseau qui fut écologiste avant l'heure, lui qui fit du lobbying afin que certains arbres soient sanctuarisés (les "séries artistiques") pour leur beauté et pour la source d'inspiration qu'ils représentent pour les artistes.
C'est sûr, je penserai avec respect à Théodore Rousseau lors de mes balades en forêt, à condition bien sûr que nos amis chasseurs me laissent passer !
Jusqu'au 07 juillet 2024
au Petit Palais
Plein tarif : 12 € TP | 10€ TR | Gratuit - 18 ans
Le tableau volé, Pascal Bonitzer, SBS Production
Le réalisateur, Pascal Bonitzer, s'est inspiré d'une histoire vraie : un commissaire-priseur d'une grande maison parisienne est informé qu'un chef-d’œuvre disparu d'Egon Schiele trône dans le salon d'un jeune ouvrier dans la banlieue de Mulhouse. D'abord incrédule, le spécialiste se rend en Alsace et convainc le propriétaire du tableau de le vendre aux enchères. Mais il y a un hic : ce tableau provient d'une spoliation lors de la deuxième Guerre Mondiale, ce qui pose un problème étique à son propriétaire, et un problème beaucoup plus prosaïque au commissaire priseur qui ne voudrait surtout pas laisser passer une affaire pareille !
Plutôt que d'axer son film sur cette histoire assez rocambolesque, Pascal Bonitzer préfère se focaliser sur André Masson (Alex Lutz), un professionnel de l'art qui - s'il est ému devant une œuvre qu'on pensait disparue (j'ai particulièrement aimé la scène où les deux commissaires-priseurs découvrent la toile) - semble être davantage intéressé par les belles bagnoles et les montres de luxe que par les tableaux.
On a envie d'aimer le personnage (pourtant tête à claque !) campé par Alex Lutz, et l'on est séduit par les femmes qui gravitent autour de lui, qu'elles soient une notaire de province (Nora Hamzawi), son ex-femme (la toujours émouvante Léa Drucker) ou sa stagiaire mythomane sur les bords (Louise Chevillotte, une découverte).
Autour du commissaire-priseur, Pascal Bonitzer dresse toute une galerie de personnages. Tou.te.s ont un rôle à jouer, même les simples figurants apportent quelque chose au film et à la compréhension du personnage principal. Absolument tous les comédiens sont bons, même les seconds ou les troisièmes rôles.
La narration est construite sobrement, la mise en scène est classique et suffisamment discrète pour être plaisante, les images sont belles, la réalisation honnête et, surtout, la direction d'acteurs est impeccable. Alors, si ce film sur un chef d’œuvre n'en est pas un, ce long-métrage est un ouvrage de belle facture réalisée par un bon artisan du cinéma. Et c'est déjà beaucoup !
Au cinéma le 1er mai 2024
1h31
L’Incroyable Épopée de François 1er, Rémi Mazuel et Alain Péron, Contrescarpe
Chacun a une image qui lui vient à l’esprit à l’évocation de François 1er. Il y a d’abord la salamandre, qui avait paraît-il des pouvoirs magiques et que l’on retrouve dans ses châteaux de Fontainebleau et Chambord. A Fontainebleau, sa salle aux plafonds magnifiques est, elle, éblouissante. Bien sûr, il y a aussi la fameuse date de1515, (Marignan) qu’on a tous appris à l’école.
Ce spectacle étonnant nous emmène dans un voyage à travers la vie de cet incroyable personnage, attaché à la France et à notre langue, comme aux lettres et aux arts. Il a d’ailleurs invité Leonard de Vinci. Et puis, comme d’autres rois (beaucoup d’autres rois), il aimait la guerre et les femmes. Un monarque incroyable et dont cette pièce retrace de façon précise et enlevée la vie riche et mouvementée.
Rémi Mazuel, qui interprète le souverain, a un point commun avec lui. Car, si le roi mesurait 1,98 m, l’artiste atteint 2,20 m. Son parcours professionnel est riche et varié : comédien, auteur et metteur en scène. Par ses déplacements sur scène, la puissance de sa voix, les expressions de son visage, on croit voir ce roi qu'on n'a jamais vu. Et de cette épopée royale, il fait une comédie audacieuse mais qui sonne toujours juste. Les décors évoquent une bande dessinée jolie et colorée, les costumes réussis et aux couleurs seyantes (surtout pour les belles robes) ajoutent une touche plaisante à l’œuvre.
Les clins d’œil nombreux (ah, l’amusante fausse barbe de Leonard de Vinci) ajoutent à L’Incroyable Epopée de François 1er une belle touche d’humour.
La grande silhouette souple de Romain Mazuel, sa façon de se mouvoir, ses phrases légères et sa manière bien à lui d’interpréter ce grand roi est troublante. On peut imaginer que François 1er ressemblait un peu à ce personnage.
Précision : le comédien est aussi metteur en scène et co-auteur de ce texte truculent sans temps mort.
Les autres comédiens sont étonnants, jouant avec brio plusieurs personnages historiques, qui parviennent tous à nous faire rire.
Fanette Jounieaux-Maerten, qui interprète Marguerite de Navarre, la sœur du roi, réussit la prouesse d’être également Marie Tudor, Léonard de Vinci et la duchesse d’Etampes. Marguerite de Navarre a tenu un rôle très important auprès de son frère, et la comédienne, avec son port de tête à la Edwige Feuillère, lui donne de l’épaisseur et nous laisse aussi imaginer ce que fut cette femme pour le roi.
Fanette Jounieaux-Maerten n’en est pas à son coup d’essai.
Avoir mis en scène le fameux Voyage avec un âne de Stevenson et avoir chanté dans La fille de Mme Angot sont d’autres cordes à son arc.
Corentin Calmé est également un comédien au parcours éclectique et riche : passer de Molière à Musset, certes c’est classique mais tenter ensuite M. Lepic dans Poil de carotte éveille la curiosité. Lui non plus n’hésite pas à se mettre dans la peau de plusieurs personnages, en l’occurrence Charles Quint et surtout un abbé, un de ceux - très écoutés - qui jouaient un rôle de conseil autrefois. Il pourrait en faire trop mais ce n’est jamais le cas. Nombre de prêtres sont interprétés de manière exubérante ou sombre, trop de gestes, trop de phrases ou presque rien. Ici, le comédien a trouvé le ton juste.
Quant à Anaïs Alric, polyvalente est le premier adjectif auquel on pense. Tout d’abord dans L’Incroyable Epopée de François 1er. Louise de Savoie, Henri VIII, Peperona et Jacques Cartier ? C’est elle. Et quoi d’autre voyons ? Les costumes et la scénographie de la pièce, c’est encore elle. Tout simplement.
Et avant ? Oh, rien qu’une vingtaine de pièces, des tournées à l’étranger… En tant que metteur en scène, adaptatrice et comédienne. Forcément, elle crève la scène, elle est là, et bien là, Louise de Savoie, la maman de François et Marguerite protectrice, jalouse, inquiète aussi. Vive, présente, elle a une palette d’expressions riche, du grand rire à la contrariété. Et quand elle incarne Jacques Cartier, ses gestes, ses expressions sa façon d’être font frissonner. Ou rire.
Prolongations jusqu’au 24 juin 2024
Théâtre de la Contrescarpe - 5, rue Blainville 75005 Paris
Une comédie historique de Rémi Mazuel et Alain Péron
Avec Anaïs Alric, Corentin Calmé, Fanette Jounieaux-Maerten, Rémi Mazuel
Durée : 1H20 | De 12 à 35 €
Dans ton coeur, Akoreacro, Pierre Guillois, Rond-Point
Pierre Guillois, le metteur en scène de Les gros patinent bien (qu'on avait adoré à État-Critique) s'associe avec la troupe Akroreacro pour faire rentrer le cirque au théâtre.
Dans une usine qui évoque Playtime ou les Temps modernes, un homme et une femme se rencontrent et l'on assiste à la naissance d'un couple, à son installation dans un appartement, à l'arrivée de leurs enfants et à ses déboires. L'histoire n'est pas compliquée, elle est facilement accessible et compréhensible, même par de jeunes spectateurs.
Tous ces épisodes assez banals de la vie de couple sont magnifiés par l'extraordinaire troupe Akroreacro. La charge mentale de la jeune mère de famille est abordée avec une belle poésie : elle ne touche littéralement plus terre. Et lorsque l'homme fait des galipettes avec sa maîtresse, elles sont particulièrement acrobatiques ! Mais sa femme fait face avec détermination. C'est une battante, comme nous le prouverons les chorégraphies de bastons.
On admire le travail des circassiens, véritables athlètes de la piste, on apprécie la beauté des corps sculptés (dont les performers s'amusent à l'occasion d'un numéro de cabaret drôlissime) et l'on est épaté par le travail collectif. Quelle confiance ils doivent dans leurs partenaires pour réaliser ces voltiges !
A certains moments, j'étais émerveillé, bouche et yeux grands ouverts, complètement scotché par la vision de ces corps qui défient l'apesanteur. C'est exactement pour cela que j'aime le spectacle vivant et les performances physiques (et tout particulièrement la danse). Mes filles de 5 et 10 ans étaient elles-aussi captivées par le spectacle.
Contrairement à ce que l'on aurait pu craindre, le cirque ne rétrécit pas en quittant le chapiteau. Au contraire, ce qu'il perd en espace scénique, il le compense grâce à la narration et la mise en scène qui mettent en valeur les numéros. En parallèle, c'est le théâtre qui prend une autre dimension, notamment grâce à la présence des musiciens qui nous enchantent.
J'ai aimé que la représentation dépasse le simple enchainement de numéros, que le cirque mette un pied dans la théâtralité, avec un un vrai fil conducteur narratif. Dans ton cœur nous fait rire, retenir notre souffle et nous attendrir pour ce couple qui se débat dans le quotidien.
Les acrobates et musiciens d'Akroreacro apportent au théâtre un vent de joie sincère qui souffle jusqu'après la représentation !
Jusqu'au 26 mai 2024
Théâtre du Rond-Point
Durée 1h15 - à partir de 6 ans
de 8€ à 38€
Kevin, Arnaud Hoedt, Jérôme Piron, Rond-Point
A l'entrée, on nous remet un carton format A4 avec une grosse flèche dessinée dessus. Lorsqu'on est tous assis démarre un petit sondage auquel on répond en direct grâce à sa flèche. Ce petit jeu nous amuse visiblement tous, et nous ne pouvons nous empêcher de rire devant l'incongruité des questions (dont on comprendra plus tard à quoi elles font référence).
Puis arrivent sur scène Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, deux profs dont vous avez peut-être déjà vu une vidéo sur internet expliquant que, si vous faites des fautes quand vous écrivez, ce n'est pas de votre faute, c'est la faute de l'orthographe.
Dans le spectacle Kevin, il n'est pas question de langue mais d'éducation, carrément. "On s'est demandé à quoi ça sert l'école. Et à qui ça sert ?"
Pendant une heure et quart, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron nous bombardent de faits, de chiffres, d’anecdotes sur les systèmes éducatifs français et belge qui ont la particularité d'être aux deux dernières places du classement de l'OCDE en ce qui concerne l'égalité des chances à l'école. Les deux conférenciers nous démontrent comment et pourquoi, en France et en Belgique, la richesse des parents est le facteur prédominant dans la réussite scolaire des enfants.
Au gré du spectacle, on apprend ainsi qu'il y a un lien entre prénom et mention au baccalauréat, qu'il existe des pays sans bonnes écoles, qu'il existe un programme invisible, ou encore que certains élèves souffrent de résignation acquise. Le fond du propos est parfois légèrement désespérant ; "la sociologie, ça pique. Et la sociologie de l'éducation, ça pique fort."
Mais rassurez-vous ! Ce spectacle n'est pas que documenté, il est surtout très drôle.
Grâce au talent de conteurs des deux compères et grâce à des infographies rigolotes et efficaces qui défilent derrière eux, les nombreuses données et informations sont toujours présentées de façon dynamique et ludique. C'est loin d'être un cours ennuyeux ! A la fin du spectacle, mon voisin de derrière s'est exclamé : "C'était génial ! En fait, c'est comme un documentaire, mais en live."
Surtout, le côté interactif du spectacle instaure une très bonne ambiance dans la salle ; c'est tous ensemble qu'on participe, qu'on joue, qu'on rit ou qu'on est atterré. C'est un très beau moment collectif d'apprentissage.
Jusqu'au 11 mai 2024
Théâtre du Rond-Point
Durée 1h15
Comment vont les vieux ?
Bon alors comment vont nos vieux ? En ce moment les syndicats et les patrons se creusent la tête pour savoir ce que l’on va faire de nos vieux employés qui, à 50 ans, seraient un problème social ou des boulets de l’entreprise.
Nous aussi, dans les pages musicales de ce site, on se fait du souci pour nos vieux. On se demande comment ils vont et, surtout, certains groupes devraient-ils vraiment continuer à nous offrir des disques plus ou moins inspirés ? Est ce que c’est beau de vieillir quand on est un rockeur ?
C’est toujours le trouble que proposent de vieilles stars sur le retour qui ont tout connu, de la gloire aux pires excès. Un nouvel album de Libertines nous inquiète toujours un peu. Après toutes les folies de Carl Barat et Pete Doherty, est-ce que l’osmose des débuts va réapparaître ?
Run Run Run montre en tout cas que le groupe a visiblement envie d’en découdre. Ce que confirme le second titre, Mustangs qui finit même par un rire. The Libertines semble être en forme. Et cela continue par le tonitruant I have a Friend.
Puis cela se calme. Les gaillards sont plus sages et le titre de l’album prend enfin son sens : All quiet on the Eastern Esplanade. Quand Pete Doherty prend les rennes, le style se fait plus doux. Quand Barat branche sa guitare, c’est pour réveiller l’auditeur dans une joyeuse ambiance presque adolescente. Cela fabrique une ambiance étrange où le groupe lance tout dans la bataille. Le disque est inégal mais laisse à penser que le groupe a encore des choses à dire. On est vraiment content de les retrouver.
Ce qui est certain avec Vampire Weekend, c’est que le groupe continue de se remettre en question. Maintenant qu’ils sont installés dans l’industrie musicale, le nouvel opus donne l’impression d’être surchargé. Only God Was Above Us est un disque plein d’effets et d’arrangements spectaculaires.
Chaque morceau est assez nébuleux. La formule des débuts, assez dépouillée, proche de l’afrobeat, est devenue un savant mélange mélodique ou le chanteur Ezra Koenig ne se perd pas. C’est un disque qui en fait trop mais il le fait bien. On pense aux grosses gâteries de Brian Wilson, le leader fou des Beach Boys. C’est énorme mais c’est bien fait.
C’est une œuvre dense qu’ils proposent. Les membres du groupe n’ont pas peur des énormités et les assument avec une aisance assez rare. C’est virevoltant et entraînant. On se fait totalement avoir par l’esprit gargantuesque du projet. Effectivement, Dieu pourrait écouter ce disque tellement il semble marqué par une croyance. C’est un disque qui délire avec une grâce assez rare et il faut bien l’avouer : après tout ce succès, ils nous bluffent.
Autres vieux qui vieillissent avec une certaine élégance: Elbow. Leur dixième album donne de bonnes nouvelles de ce groupe atypique dans l’univers pop anglaise. De Manchester, ils continuent de creuser leur style, entre mélancolie élégante et recherches mélodiques.
Comme les Libertines, on les entend sur leur album Audio Vertigo, papoter, apprécier leur processus de création et ils veulent toujours en découdre. Guy Garvey, voix de ténor, ne se lasse pas des idées expérimentales de ses camarades. On est toujours surpris par leur façon de recomposer des titres si différents les uns des autres. Toujours structurés par la voix folle de Guy Garvey. Une fois encore, Audio Vertigo est une œuvre variée qui va vers des espaces inconnus. Clairement le groupe se réinvente. Si Vampire Weekend fait un peu penser à Paul Simon, Elbow rappelle l’ouverture d’esprit de Peter Gabriel. Le nouveau disque est encore un véritable voyage. C’est ce que l’on aime chez eux, ils acceptent le changement et ne s’interdisent rien. Chaque album est différent. Oui, les vieux sont une force, une voix qui nous montrent qu’il n’y a rien à craindre de vivre des expériences plus ou moins dures s’il y a quelque chose à en ressortir.
The libertines - All quiert in a eastern esplanade
Vampire Weekend - Only God was Above Us
Elbow - Audio Vertigo
Chroniques de Téhéran
La question du moment au cinéma, c’est filmer l'innommable. Sans le montrer car il n’apporte que le dégout ou le refus de regarder. Les réalisateurs ont l’air de chercher une vision artistiques à des situations alarmantes. C’est le cas du film La Zone d’Intérêt, mais plus urgente semble la nécessité de voir ce petit film discret qui raconte le réel terrifiant du peuple iranien.
Il pourrait faire office de témoignage. On sait que les réalisateurs iraniens sont surveillés ou arrêtés par les autorités iraniennes. Et quand un film de ce pays arrive sur nos écrans, c’est une victoire.
Chroniques de Téhéran est une œuvre concise, courte et sublime. Une vision urgente d’une société qui ne tourne pas rond, où les dogmes religieux font faire n’importe quoi à toute une population et une administration.
Ali Asgardi et Alireza Khatami ont réalisé en sept jours une série de scènes sans lien apparent. Un type veut donner le prénom de David à son fils. Une petite fille doit s’habiller pour l’école. Une femme cherche son chien dans un commissariat. Etc. D'autres personnages vont se retrouver dans une situation humiliante. Tout relève de l’anecdote et tout finit dans une folie rigoriste qui broie l’individu au nom de Dieu. Constamment. Jusqu’à l’absurde.
Le style est simple: un plan fixe et une voix off pour représenter l’autorité. Dans ce plan fixe, on voit des personnages maltraités et rabaissés. Cela apporte même une sorte d’humour particulièrement acide. Mais le rire semble être un peu le seul rempart à tant de haine ordinaire.
Le fond est cruel et la forme affirme cette discrète opposition qui semble peu de chose face à un régime autoritaire implacable. Comme la dernière scène, d’une poésie inattendue, on espère, on se réjouit. On rêve de la fin d’un monde. Les deux auteurs trouvent encore de l’optimisme. L’art prend le pouvoir pour dénoncer la réalité. Et nous laisse avec un sourire étrange qui nous questionne. Quand le cinéma devient nécessaire...
Au cinéma le 13 mars 2024
Avec Bahman Ark, Arghavan Shabani, Servin Zabetiya
ARP - 1h17