Tomber en amour : Master Piece, Molto Morbidi et Chartreuse

Le silence, l'éloignement, l’indifférence, la déception… mais où se termine l’amour ? Peut-être y a-t-il des attentes et des stéréotypes qui nous poussent vers des histoires d’amour qui finissent mal en général. Et puis, il y a un amour qui va vous pousser à bouger, échapper aux facilités et à créer votre propre voie.

Les artistes peuvent faire cela : s’imposer ou mourir. On sent qu’ils veulent sortir du lot et montrer à quel point ils sont vivants lorsqu’ils avouent leurs faiblesses, leurs forces et leur propre chemin. Ils réclament de l’amour.

C’est le cas de Master Piece, de son vrai nom Peace Okezie. Il a un gros look de rappeur et semble sortir d’un pub dégradé d’une banlieue sordide du Royaume-Uni. Depuis 2019, il se faisait remarquer par un mélange de punk et de rap. Et cela se confirme avec son album, How to make a Master Piece, qui ressemble à une déclaration de guerre ou de gloire, c’est son votre sensibilité.

Son rock est vorace. Il vient du bitume et le bonhomme joue parfaitement sur tous les mondes qu’il fréquente. On pense au premier album d’Oasis car le gaillard se montre féroce et a vraiment envie d’en découdre pour montrer son solide caractère.

En trente minutes, Master Piece récite tout ce que l’on aime dans la pop anglaise, ce savant mélange de culture lads et de dextérité musicale. C’est un disque qui virevolte et qui nous plonge dans la personnalité étonnante d’un artiste qui ne veut pas se laisser aller à la facilité. Il y va. Il gonfle les muscles et surtout se révèle avec une volonté qui force le respect. Impossible d’être indifférent.

C’est aussi l’effet que fait Swan Wisian, qui se cache derrière le nom assez mystique de Molto Morbidi. Son premier disque, String Cheese Theory, est déconcertant mais séduit rapidement.

Car la demoiselle a une voix incroyable qui se laisse aller à toutes les expérimentations. On peut réduire rapidement le disque à un effort élégant de synth-pop mais on entend bien plus de choses qu’ailleurs. Molto Morbidi ne vous décevra jamais.

La musique fait dans la bidouille mais la Française possède une voix qui vous fait fondre et vous charme en quelques notes de musique. Le synthétique fait sortir la chaude et complexe voix. Certains morceaux rivalisent avec Kate Bush et Portishead. Le plaisir musical est immense et on n’en attendait pas autant.

Enfin en termes de choix périlleux mais assumés, le premier album de Chartreuse est une jolie pépite qui nous montre qu’il faut être ce que l’on est et que l’on doit de respecter ce que l’on aime. C’est un disque de passion et de désir.

Pour Morning Ritual, on ne trouve jamais vraiment les mots. C’est inconditionnel. Le talent ici est une vraie évidence. La mélancolie devient quelque chose d’héroïque et les quatre musiciens trouvent une saveur sucrée et chaude comme la fameuse liqueur.

Le quatuor nous berce en nous racontant. Leurs mélodies versent vers une répétition qui captive et les voix sont dans une harmonie élégante. On entend nos émotions, nos ressentis et nos interrogations. On reste silencieux devant tant d’humanité posée sur un son qui s'approche d’une trip hop artisanal et si vivante. De leurs imperfections et de leur nouveauté, ces trois groupes nous rappellent à quel point, il est bon d’être passionnés, amoureux et convaincus. 

Godzilla vs Kong: le nouvel empire

Bienvenue sur la planète du singe!

Attachez vos ceintures. Mettez votre cerveau sur off. Et appréciez. Car la rencontre entre les deux monstres se fait désormais sur un mode léger, moche et franchement rigolo. Hollywood est en crise et ce nanar XXL prouve bien que l’industrie américaine est très mal en point. Mais vaut mieux en rire !

Car on rigole souvent dans ce nouveau film du fameux Monstroverse, sorte de club de rencontres entre grosses bestioles gluantes et deux stars du genre : King Kong et Godzilla. Comment les faire cohabiter? En rédigeant un scénario tout simplement aberrant et foutraque.

Donc depuis le premier film de Gareth Edwards en 2014, il s’est passé beaucoup de choses et maintenant Kong vit sur la Terre Creuse, endroit où la gravité a réalisé quelques folies géographiques et se révèle être un parc d’attractions pour créatures avec de nombreuses dents pointues. Kong s’y épanouit.

Mais son copain Godzilla lui manque. Celui-ci détruit les monuments historiques du Monde entier pour nous débarrasser d’aberrations gigantesques. Heureusement les deux monstres vont se retrouver lorsqu’il faudra faire face à un méchant singe géant qui a trop regardé la Planète des Singes, justement…

On pense beaucoup à la célèbre saga mais pas que : le réalisateur Adam Wingard lorgne clairement sur Flash Gordon, chef d'œuvre kitsch qui brûle toujours les rétines. Ou les Gardiens de la Galaxie pour la musique vintage et un sound design sorti d’un film eighties. Les couleurs sont criardes. Le scénario s’autorise tous les excès graphiques et comme la gravité, tout perd son sens d’une scène à l’autre. Il n’y a rien à comprendre dans ce nouvel opus.

Plus c’est con, plus c’est bon. Ici les acteurs débitent des tonnes de dialogues pseudo scientifiques qui ne servent à rien si ce n’est justifier l’injustifiable. Le sidekick de service est insupportable. le mini Kong mérite des torgnoles (et il en prend). La belle Rebecca Hall fait des grands yeux qui semblent en dire plus sur l’absurdité de sa présence pour expliquer juste des combats de catch entre bestioles plutôt que caractériser le récit déjà très light.

Et tout cela se passe dans un univers tout en numérique qui ferait passer Avatar pour un documentaire du Commandant Cousteau. C’est d’une laideur rare et ça semble assumé. A Hollywood, on se fout de tout et de tout le monde. Pourtant le réalisateur arrive à éviter le cynisme. Finalement certains épisodes japonais de Godzilla étaient tout aussi crétins. Ce Nouvel Empire aurait dû être une catastrophe et avec tous ses vilains défauts, on finit par le trouver sympathique…

Kong et Big G restent toujours un plaisir régressif. Mais là, ça va au delà !

Au cinéma le 03 avril 2024
115 minutes

La France sous leurs yeux, BNF

« À bout de souffle » - - © Jean-Michel André / Grande commande photojournalisme

Une exposition belle et passionnante qui présente les français dans tous leurs états !

L’État a débloqué quelques millions d'euros pour tenter de sauver la profession de photojournaliste, mise à mal par la crise de la presse papier, l'omniprésence des appareils photo dans toutes les poches ou encore la crise COVID,

Pilotée par la Bibliothèque, la Grande commande pour le photojournalisme – intitulée Radioscopie de la France : regards sur un pays traversé par la crise sanitaire – a permis aux photographes lauréats de bénéficier d’un financement de 22 000 € chacun pour mener à bien leur reportage. Les 20 000 tirages inédits produits ont ensuite intégré les collections de la BNF.

Organisée en quatre chapitres (Libertés Égalités Fraternités et Potentialités), l'exposition offre à nos regards La France dans toute sa diversité : des français de tous (trans)genres, de toutes les couleurs, de toutes les latitudes et dans toutes les positions (sociales ou acrobatiques).

Il y a autant de styles et de sujets qu'il y a de photographes, c'est dire combien l'exposition est dense (sans être indigeste ni intimidante). Elle est vraiment passionnante et il serait dommage de passer à côté de cette exposition (qui partira ensuite en tournée en régions, par fragments). Pour ma part, j'ai même envie d'y retourner. Et comme le tarif est plus que raisonnable (10€ maximum), je ne m'en priverai pas !

Jusqu'au 24 juin 2024
Bibliothèque Nationale de France
- François Mitterrand
10€ TP

Les Explorateurs : l’aventure fantastique

Là où tout le monde voit un énorme nuage menaçant, Alfonso, lui, voit un monstre-tempête. Et comme il est intrépide, il est sûr de pouvoir vaincre le monstre. Il tente donc de convaincre ses voisins de ne pas fuir leur village et part au combat.

Alfonso, en digne arrière-arrière-arrière-petit-fils de Don Quichotte, voit des géants là où il y a des moulins à vent. Son copain Arthur, lui, est l'arrière-arrière-arrière-petit-fils de Sancho Pancha. Ces deux-là sont donc inséparables. Et, sans doute dans l'idée de séduire les petites filles, on adjoint Victoria, une fille un peu pirate, à ce duo masculin et l'on ajoute également une pincée d'histoire d'amour au récit. Les trois amis vont découvrir qu'un grand méchant cupide se cache derrière le gros nuage, et ils vont le combattre avec leurs petits bras, leur courage et les gadgets géniaux d'Arthur.

Sans surprise, tout cela va se terminer par une bataille bruyante et épique contre un effrayant robot géant. Un scénario paresseux pour un final de jeu vidéo d'arcade, donc.

Autre point commun avec les vieux jeux vidéo : les animations graphiques toutes pourries ! Les personnages en arrière-plan ont des expressions et des mouvements figés.

Le rythme est beaucoup trop rapide pour être supportable, et ce n'est pas le recours abusif aux ralentis qui rend la chose regardable. Toutes les cinq minutes, le réalisateur passe en slow motion, espérant sans doute de la sorte rendre compréhensible ce qui se passe à l'écran. C'est raté.

Manifestement, le scénariste/réalisateur aime aussi les blagues. Les vannes fusent toutes les dix secondes. Mais les enfants ne rient pas, pas plus qu'ils ne comprennent les références à la pop culture (E.T., Saturday Night fever, Bruce Lee...)

Si vous pensiez emmener vos enfants au cinéma pendant les vacances, vous pouvez chercher une autre idée de film !

Au cinéma le 03 avril 2024
1h 27min

Un printemps à Tchernobyl, Emmanuel Lepage, Futuropolis

Allez faut l’avouer, la BD reportage c’est un peu le truc survendu en ce moment. Les dessins tout mignons pour raconter des histoires toutes crasses, c’est devenu la convention. Il y a désormais une impression d’orgueil à synthétiser le monde avec des BD qui dénoncent. Les efforts sont toujours louables mais c’est maintenant la norme et le genre ne surprend plus vraiment...

Sauf quand on a le talent d’Emmanuel Lepage. Un Printemps à Tchernobyl date de 2012 mais montre clairement comment le reportage dessinée avait de la puissance et de l’intérêt. L’art comme convertisseur d’une réalité qui n’existait pas. que l’on voudrait presque oublier.

Avant la somptueuse mini série sur Tchernobyl, l’œuvre d’Emmanuel Lepage a quelque chose d'essentiel. L’auteur cherche réellement la vérité. Faire un constat. Montrer l’après d’une catastrophe qui n’a pas de comparaison sur notre petite planète qui peut s’autodétruire.

Lepage a le goût des autres et c’est vrai que la vie quotidienne des gens qui habitent autour de Tchernobyl est une vraie aventure fascinante à suivre. Dans son dessin, on devine un monde à part avec des personnes qui tentent de vivre avec un événement extraordinaire et une nature marquée elle aussi par le drame nucléaire.

Souvent grises et raffinées, les images sont parfois colorées et soulignent une vie qui continue malgré l’impossible. Réflexion sur le passé et le témoignage, cette visite de Tchernobyl est d’une sensibilité incroyable. Lepage vise les tripes et le cœur sur des planches qui sont bien maîtrisées.

L’Ukraine est encore au centre de l’actualité mais la BD d’Emmanuel Lepage nous remémore avec beaucoup d'humanisme un traumatisme et une peur qui existent encore. Il défend avec son dessin délicieux, un espoir qui ne meurt jamais… au delà de l’inimaginable!

Date de parution : 04/10/2012
Futuropolis
164 pages | 26€

Le Consentement, Vanessa Springora, Sébastien Davis, Rond-Point

Dans les années 1980, V. est une jeune fille de 14 ans qui succombe au charme sulfureux d'un adulte. Flattée d'être remarquée par un écrivain quinquagénaire qui fréquente l'élite parisienne, elle tombe résolument amoureuse de lui.

On peut trouver mille explications au fait qu'une fille pas encore sortie de l'enfance soit attirée par un vieux schnock : son charme sulfureux, l'absence de figure paternelle, la permissivité post-soixante-huitarde d'une mère, une certaine précocité pour la sensualité et la sexualité...

Mais une question demeure : "Lorsqu'il n'y a ni souffrance ni contrainte, c'est bien connu, il n'y a pas viol". N'est-ce pas ?

Au départ, V. croit désespérément à l'amour de G. "Son amour pour moi est d'une sincérité au-dessus de tout soupçon". Puis, progressivement, elle ouvre les yeux, en même temps qu'elle ose enfin ouvrir un livre de G. dans lequel il se vante de ses multiples abus (en forme de conquêtes) d'enfants. "A Manille, les petits garçons de 11 ou 12 ans que je mets dans mon lit sont un piment rare."

Le récit de Vanessa Springora, dont est tirée la pièce, m'avait frappé par sa justesse et sa force. Pas de voyeurisme ni de règlement de comptes en forme de clash, mais un récit aussi glaçant qu'équilibré.

Au démarrage de la pièce de théâtre, je vous avoue avoir eu un peu peur. Déjà, parce qu'il semble impossible de se hisser au niveau du livre de Vanessa Springora, ensuite parce que la mise en scène ne se distingue pas forcément par sa finesse.

J'ai eu l'impression que Sébastien Davis ne faisait pas assez confiance au texte, et qu'il avait jugé nécessaire de lui adjoindre des béquilles scéniques.

Par moments, la voix amplifiée de la comédienne se dédouble (sur fond de percussions lancinantes et hypnotiques). Cela m'a rappelé ma jeunesse et les dramatiques radio de France Culture des années 2000, Mais, franchement, à quoi ça sert ? A part à perturber la compréhension du texte par les spectateurs ? Et je vous passe les micros qui crachouillent très fort par moments.

A certains moments, Ludivine Sagnier se livre à une danse frénétique sur fond de percussions. A d'autres, elle se déshabille... (Derrière un voile opaque en fond de scène, on n'est pas à Avignon !) On se demande ce que cela apporte au propos. Idem pour le tambour chamanique (même si le talent du batteur, Pierre Belleville, impressionne).

La pièce aurait gagné donc à un peu d'épure, à l'image d'une scénographie très simple avec, on l'a dit, un fond opaque en fond de scène et quelques meubles (dont un lit aux draps de satin noir) restituant efficacement le dépouillement des chambres de bonne ou d’hôtel où (sé)vit Gabriel Matzneff.

Soyons juste, la pièce n'est pas gâchée par ses quelques défauts, et elle mérite largement d'être vue. La force du texte est préservée. Ludivine Sagnier joue de façon crédible la petite fille, l'ado puis la femme qu'est devenue V. (même si, dans mon souvenir, la narratrice du livre est un peu moins en colère). La comédienne campe également avec justesse les différents adultes qui passent dans le paysage, médecin, psy, parents qui sont tous plus hallucinants les uns que les autres, la palme revenant à G. lui-même, personnage au cynisme et à la prétention sans borne qui se compare sans modestie à d'illustres artistes dévoreurs de petites filles : Edgar Allan Poe, Lewis Caroll, Roman Polanski...

On est soulagé que V., telle une vaillante petite Gretel, soit parvenue à "prendre le chasseur à son propre piège, l'enfermer dans un livre"

Jusqu'au 06 avril 2024
Théâtre du Rond-Point
Paris VIIIème
De 8€ à 31€ - Durée 1h20

Texte Vanessa Springora
Mise en scène Sébastien Davis
Avec Ludivine Sagnier
et Pierre Belleville (batterie)

Pigeons volent toujours, Chris & Rich Robinson

Toujours adeptes d'un cirque électrique et tourbillonnant, les frères Robinson reviennent pour un dixième album réussi et euphorisant. On avait besoin de cela!

Si le rock est mort dans nos contrées, il subsiste de l'autre coté de l'océan et plusieurs groupes continuent de se la jouer roots et rebelles. L'attitude, on la connaît mais on la devine moins chez nous : on s'intéresse plus aux tiktok des rappeurs ou des robes de nouvelles Madonna. Le rock est bien mort, médiatiquement !

Mais on accorde ici une place pour deux frangins qui ont fracassé le rock sudiste dans les années 90. Chris & Rich Robinson ont défendu un rock qui cravache et perd son haleine sur un son électrique, spectaculaire et venimeux.

Pour l'histoire, les frangins se sont ensuite battus. Le groupe a explosé mille fois. Les excès ont mis à sac leurs projets. Mais les Black Crowes, trente ans plus tard, sont bien là avec un son désuet mais qui rend heureux. Les deux corbeaux ont viré toute leur ancienne équipe. Ils forment un duo qui s'est remplumé après une très longue tournée pour célébrer leur premier effort, Shake your money Maker

Et l'inspiration est revenue ! Happiness Bastards porte assez bien son nom et donne le ton de ces vieux routards qui continuent de faire la grimace et proposer du rock'n'roll avec orgue Hammond, chœurs soul et autre harmonica. La voix de Chris Robinson est devenue roublarde mais décroche quelques frissons et la guitare de Rich offre des riffs inattendus. C'est un album vraiment réjouissant parce qu'il défend des valeurs avec un héroïsme qu'on ne soupçonnait pas. Après Kula Shaker, les papys font de la résistance avec un aplomb incroyable!

D'ailleurs profitons de la sortie du dixième opus des Black Crowes pour rappeler qu'il y a deux pépites dans leur discographie à redécouvrir. Pour fêter l'an 2000, les Black Crowes s'étaient associés à Jimmy Page pour célébrer Led Zep et quelques standards du blues.

La ferveur du groupe pour le guitar hero provoque un show pétaradant. Il y a de la hargne et de la grâce dans chaque morceau. Page, en vieux sage, parvient à faire de la fratrie endiablée, des petits démons du rock qui ne singent plus Led Zep mais ils le réinterprètent avec leur style sudiste et spontané. 

Plus discret est leur troisième album, Amorica. Avec sa pochette provocatrice, les oiseaux noirs sont des clowns tristes, secoués comme des pantins ivres par le succès de leurs deux précédents disques.

Ici on entend un rock sombre et trouble. Le blues est boueux mais l'énergie est affolante. Pas de hit dans cet album mais on entend constamment un rock qui ressemble à une gueule de bois sans fin.

Les morceaux évoquent un lendemain de fête douloureux mais les Robinson semblent toujours vouloir faire les guignols. Moins propre que les deux premiers disques, Amorica dessèche le genre et nous fait plonger dans des limbes furieux et jamais polis. C'est une œuvre au noir: on est content de les retrouver plus sages mais toujours heureux de défendre leur genre de prédilection...

Juste un souvenir, Gérard Vantaggioli, Poche Montparnasse

Myriam Boyer a un parcours peu commun pour une comédienne : d’abord dactylo, cette jeune ouvrière bijoutière lyonnaise se blesse gravement et s’intéresse alors au théâtre. Figurante au départ, elle prend ensuite des cours et intéresse Agnès Varda puis Jacques Demy. C’est dire son talent dès le début.

Et la voici remarquée au cinéma par Alain Corneau dans « Série noire », dans lequel elle interprète la femme de Patrick Dewaere. Elle y reçoit un César pour ce second rôle.

Les rôles au cinéma comme au théâtre s’enchaînent, ainsi que les récompenses, dont un premier Molière.

Et en 2008, c’est la consécration avec un deuxième Molière, pour « La Vie devant soi » d’Emile Ajar, une pièce à laquelle j’ai eu la chance d'assister au théâtre Marigny.

Je l’ai revue au théâtre Hébertot en 2018, dans Misery, où elle interprétait de façon magistrale Kathy Bates, l’héroïne absolument effrayante de Stephen King.

Il y aurait tant de choses à écrire sur cette femme, cette artiste atypique et discrète.

Car oui, au cinéma comme au théâtre, Myriam Boyer est à part. Et ses rôles aussi.

Dans « Juste un souvenir », elle nous emporte cette fois dans un autre univers, fait d’un long monologue accompagné de pas mesurés ou plus rapides ou encore, assise sur une chaise, un sac à la main. La voix est parfois précise, le visage souriant et soudain, le ton se fait triste, nostalgique. Un phrasé qui rappelle l’avant, du temps des premières radios et du music-hall.

Charles Cachant (« Où sont tous mes amants »), Raymond Queneau (« Si tu t’imagines »), et Charles Trenet, Lucienne Boyer ou encore le sublime « Est-ce ainsi que les hommes vivent » d’Aragon... Que de beaux textes ! Sans oublier sa façon impayable d’interpréter « La dame de Monte-Carlo, » de Cocteau, sur laquelle elle virevolte, bouge, sourit, et ses gestes, ses expressions, font entrevoir d’une autre façon ces chansons dites réalistes et parfois un peu amères.

Bien sûr, ces mots qu’elle dit avec douceur et cœur appartiennent d’abord aux auteurs. Mais pour qui aime cette époque, impossible d’oublier leurs interprètes, de Fréhel à Mouloudji, de Patachou à Charles Trenet… Et c’est cette grande comédienne qui nous apporte aujourd’hui sur un plateau ces histoires d’amour déçu, de femmes blessées et de gaieté parfois. Le public la suit, écoutant ces chansons du temps d’avant en retenant son souffle.

Théâtre de Poche Montparnasse
Tous les dimanches à 15 H
Durée : 1H 10
de 10€ à 28 €

Souriez, Raina Telgemeier, Éditions Akileos

Facile de se reconnaitre dans cette autobiographie : vie du collège jusqu’au lycée, frère et sœur, amies pas toujours très sympa... Et quand on se casse les deux dents de devant, c’est encore plus compliqué.

Tout ce passa comme ça : Raina rentrait d’une réunion d’éclaireuses quand une de ses amies déclara : "la première arrivée au porche a gagné", Raina dit "Attendez-moi" (en s’accrochant à la capuche d’une de ses amies ), et elle tombe.

Peu de temps après, elle se rend compte qu’elle a perdu deux dents. Mais ils n’en retrouvent qu’une. Où peut bien être l’autre ?

Si vous voulez le savoir, il faut lire le livre ; franchement, vous ne le regretterez  pas !

La BD raconte comment cet accident a bouleversé la vie de Raina. Mais elle ne fait pas que perdre ses dents ! Il lui arrive plein d'autres choses (elle survit aussi à un important tremblement de terre). Cette BD vous réserve plein de surprises ! C'est une de mes BD préférées, je ne m'en lasse pas et je la relis souvent.

Norma, 10 ans.

Les soeurs Dalton, Cie Les Nomadesques, Le Ranelagh

"Nous ne serons jamais les sœurs des frères Dalton !"

"Tout est toujours calme dans cette bonne vieille ville calme de Toucalmcity". Et bientôt, la vie y sera encore plus agréable car - grâce à la fortune d'un joueur veinard dont la municipalité vient d'hériter - Toucalmcity va se doter d'une école, d'un orphelinat, d'un hôpital, d'une crèche pour les parents qui travaillent (disent les femmes)... et d'un saloon (insistent les hommes).

Malheureusement, ces beaux projets sont contrariés par Pat le Borgne qui a dérobé le magot. Sans perdre un instant, les trois sœurs Dalton se lancent aux trousses de l'infâme voleur, dans une course poursuite en forme de chevauchée endiablée qui nous tiendra en haleine pendant une heure quinze.

Le spectacle revisite et détourne tous les codes du western, dans un décor drôlement bien fichu, à la fois simple et très efficace (les comédiens retournent à vue des coins pour transformer en un tourne-main
un saloon en prison).

Comme le décor, simple et efficace, c'est l'air de rien que les comédien.ne.s déploient l'étendue et la multitude de leurs talents. Il s'en donnent à cœur joie et en rajoutent juste ce qu'il faut. On dirait qu'ils s'amusent, mais en réalité ils sont superpro ! Ils chantent, dansent, jouent du banjo, multiplient les gags et les aphorismes, chorégraphient des bastons... le tout avec une bande son calibrée au millimètre.

Même si ma fille de 5 ans a eu un peu de mal à bien comprendre toute l'histoire, elle a aimé ce spectacle dont l'énergie est communicative. Ma fille de dix ans, elle, a bien rigolé. Quant à ma sœur de 55 ans m'a dit en sortant "c'est le meilleur spectacle que j'ai vu depuis longtemps". C'est donc carton plein pour les Dalton.e.s. Bravo aux Nomadesques !

Jusqu'au 30 mars 2024
Théâtre Ranelagh - Paris XVIème

Compagnie les Nomadesques
55 minutes | de 10€ à 20€

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