Pigeons volent toujours, Chris & Rich Robinson
Toujours adeptes d'un cirque électrique et tourbillonnant, les frères Robinson reviennent pour un dixième album réussi et euphorisant. On avait besoin de cela!
Si le rock est mort dans nos contrées, il subsiste de l'autre coté de l'océan et plusieurs groupes continuent de se la jouer roots et rebelles. L'attitude, on la connaît mais on la devine moins chez nous : on s'intéresse plus aux tiktok des rappeurs ou des robes de nouvelles Madonna. Le rock est bien mort, médiatiquement !
Mais on accorde ici une place pour deux frangins qui ont fracassé le rock sudiste dans les années 90. Chris & Rich Robinson ont défendu un rock qui cravache et perd son haleine sur un son électrique, spectaculaire et venimeux.
Pour l'histoire, les frangins se sont ensuite battus. Le groupe a explosé mille fois. Les excès ont mis à sac leurs projets. Mais les Black Crowes, trente ans plus tard, sont bien là avec un son désuet mais qui rend heureux. Les deux corbeaux ont viré toute leur ancienne équipe. Ils forment un duo qui s'est remplumé après une très longue tournée pour célébrer leur premier effort, Shake your money Maker.
Et l'inspiration est revenue ! Happiness Bastards porte assez bien son nom et donne le ton de ces vieux routards qui continuent de faire la grimace et proposer du rock'n'roll avec orgue Hammond, chœurs soul et autre harmonica. La voix de Chris Robinson est devenue roublarde mais décroche quelques frissons et la guitare de Rich offre des riffs inattendus. C'est un album vraiment réjouissant parce qu'il défend des valeurs avec un héroïsme qu'on ne soupçonnait pas. Après Kula Shaker, les papys font de la résistance avec un aplomb incroyable!
D'ailleurs profitons de la sortie du dixième opus des Black Crowes pour rappeler qu'il y a deux pépites dans leur discographie à redécouvrir. Pour fêter l'an 2000, les Black Crowes s'étaient associés à Jimmy Page pour célébrer Led Zep et quelques standards du blues.
La ferveur du groupe pour le guitar hero provoque un show pétaradant. Il y a de la hargne et de la grâce dans chaque morceau. Page, en vieux sage, parvient à faire de la fratrie endiablée, des petits démons du rock qui ne singent plus Led Zep mais ils le réinterprètent avec leur style sudiste et spontané.
Plus discret est leur troisième album, Amorica. Avec sa pochette provocatrice, les oiseaux noirs sont des clowns tristes, secoués comme des pantins ivres par le succès de leurs deux précédents disques.
Ici on entend un rock sombre et trouble. Le blues est boueux mais l'énergie est affolante. Pas de hit dans cet album mais on entend constamment un rock qui ressemble à une gueule de bois sans fin.
Les morceaux évoquent un lendemain de fête douloureux mais les Robinson semblent toujours vouloir faire les guignols. Moins propre que les deux premiers disques, Amorica dessèche le genre et nous fait plonger dans des limbes furieux et jamais polis. C'est une œuvre au noir: on est content de les retrouver plus sages mais toujours heureux de défendre leur genre de prédilection...
Juste un souvenir, Gérard Vantaggioli, Poche Montparnasse
Myriam Boyer a un parcours peu commun pour une comédienne : d’abord dactylo, cette jeune ouvrière bijoutière lyonnaise se blesse gravement et s’intéresse alors au théâtre. Figurante au départ, elle prend ensuite des cours et intéresse Agnès Varda puis Jacques Demy. C’est dire son talent dès le début.
Et la voici remarquée au cinéma par Alain Corneau dans « Série noire », dans lequel elle interprète la femme de Patrick Dewaere. Elle y reçoit un César pour ce second rôle.
Les rôles au cinéma comme au théâtre s’enchaînent, ainsi que les récompenses, dont un premier Molière.
Et en 2008, c’est la consécration avec un deuxième Molière, pour « La Vie devant soi » d’Emile Ajar, une pièce à laquelle j’ai eu la chance d'assister au théâtre Marigny.
Je l’ai revue au théâtre Hébertot en 2018, dans Misery, où elle interprétait de façon magistrale Kathy Bates, l’héroïne absolument effrayante de Stephen King.
Il y aurait tant de choses à écrire sur cette femme, cette artiste atypique et discrète.
Car oui, au cinéma comme au théâtre, Myriam Boyer est à part. Et ses rôles aussi.
Dans « Juste un souvenir », elle nous emporte cette fois dans un autre univers, fait d’un long monologue accompagné de pas mesurés ou plus rapides ou encore, assise sur une chaise, un sac à la main. La voix est parfois précise, le visage souriant et soudain, le ton se fait triste, nostalgique. Un phrasé qui rappelle l’avant, du temps des premières radios et du music-hall.
Charles Cachant (« Où sont tous mes amants »), Raymond Queneau (« Si tu t’imagines »), et Charles Trenet, Lucienne Boyer ou encore le sublime « Est-ce ainsi que les hommes vivent » d’Aragon... Que de beaux textes ! Sans oublier sa façon impayable d’interpréter « La dame de Monte-Carlo, » de Cocteau, sur laquelle elle virevolte, bouge, sourit, et ses gestes, ses expressions, font entrevoir d’une autre façon ces chansons dites réalistes et parfois un peu amères.
Bien sûr, ces mots qu’elle dit avec douceur et cœur appartiennent d’abord aux auteurs. Mais pour qui aime cette époque, impossible d’oublier leurs interprètes, de Fréhel à Mouloudji, de Patachou à Charles Trenet… Et c’est cette grande comédienne qui nous apporte aujourd’hui sur un plateau ces histoires d’amour déçu, de femmes blessées et de gaieté parfois. Le public la suit, écoutant ces chansons du temps d’avant en retenant son souffle.
Théâtre de Poche Montparnasse
Tous les dimanches à 15 H
Durée : 1H 10
de 10€ à 28 €
Souriez, Raina Telgemeier, Éditions Akileos
Facile de se reconnaitre dans cette autobiographie : vie du collège jusqu’au lycée, frère et sœur, amies pas toujours très sympa... Et quand on se casse les deux dents de devant, c’est encore plus compliqué.
Tout ce passa comme ça : Raina rentrait d’une réunion d’éclaireuses quand une de ses amies déclara : "la première arrivée au porche a gagné", Raina dit "Attendez-moi" (en s’accrochant à la capuche d’une de ses amies ), et elle tombe.
Peu de temps après, elle se rend compte qu’elle a perdu deux dents. Mais ils n’en retrouvent qu’une. Où peut bien être l’autre ?
Si vous voulez le savoir, il faut lire le livre ; franchement, vous ne le regretterez pas !
La BD raconte comment cet accident a bouleversé la vie de Raina. Mais elle ne fait pas que perdre ses dents ! Il lui arrive plein d'autres choses (elle survit aussi à un important tremblement de terre). Cette BD vous réserve plein de surprises ! C'est une de mes BD préférées, je ne m'en lasse pas et je la relis souvent.
Norma, 10 ans.
Les soeurs Dalton, Cie Les Nomadesques, Le Ranelagh
"Nous ne serons jamais les sœurs des frères Dalton !"
"Tout est toujours calme dans cette bonne vieille ville calme de Toucalmcity". Et bientôt, la vie y sera encore plus agréable car - grâce à la fortune d'un joueur veinard dont la municipalité vient d'hériter - Toucalmcity va se doter d'une école, d'un orphelinat, d'un hôpital, d'une crèche pour les parents qui travaillent (disent les femmes)... et d'un saloon (insistent les hommes).
Malheureusement, ces beaux projets sont contrariés par Pat le Borgne qui a dérobé le magot. Sans perdre un instant, les trois sœurs Dalton se lancent aux trousses de l'infâme voleur, dans une course poursuite en forme de chevauchée endiablée qui nous tiendra en haleine pendant une heure quinze.
Le spectacle revisite et détourne tous les codes du western, dans un décor drôlement bien fichu, à la fois simple et très efficace (les comédiens retournent à vue des coins pour transformer en un tourne-main
un saloon en prison).
Comme le décor, simple et efficace, c'est l'air de rien que les comédien.ne.s déploient l'étendue et la multitude de leurs talents. Il s'en donnent à cœur joie et en rajoutent juste ce qu'il faut. On dirait qu'ils s'amusent, mais en réalité ils sont superpro ! Ils chantent, dansent, jouent du banjo, multiplient les gags et les aphorismes, chorégraphient des bastons... le tout avec une bande son calibrée au millimètre.
Même si ma fille de 5 ans a eu un peu de mal à bien comprendre toute l'histoire, elle a aimé ce spectacle dont l'énergie est communicative. Ma fille de dix ans, elle, a bien rigolé. Quant à ma sœur de 55 ans m'a dit en sortant "c'est le meilleur spectacle que j'ai vu depuis longtemps". C'est donc carton plein pour les Dalton.e.s. Bravo aux Nomadesques !
Jusqu'au 30 mars 2024
Théâtre Ranelagh - Paris XVIème
Compagnie les Nomadesques
55 minutes | de 10€ à 20€
En travers de sa gorge, Marc Lainé, Théâtre du Rond-point
Avec un beau décor, une scénographie impressionnante et avec, cerise sur le gâteau, Bertrand Belin au casting, cette pièce était pleine de promesses. Malheureusement, l'indigeste "En travers de sa gorge" m'est resté sur l'estomac !
Deux heures quinze durant, une narratrice (Julie Rompsault, Jessica Fanhan) nous conte - à grand renfort de passé simple et de formules ampoulées par-fai-te-ment ar-ti-cu-lées - l'histoire de Marianne Leidgens (Marie-Sophie Ferdane), une cinéaste dont le mari revient d'entre les morts.
Un an après sa disparition soudaine et inexpliquée, son mari (Lucas Malaurie, Bertrand Belin) vient lui rendre visite... mais dans la peau d'un autre ! L'esprit de Lucas prend en effet possession, de façon intermittente, de Mehdi Lamrani (Yanis Skouta), un spirite dont la spécialité est de finir les œuvres laissées inachevées par feus leurs auteurs.
Comme la personnage principale est cinéaste, Marc Lainé (auteur-metteur en scène et scénographe) a eu la subtile idée de projeter le film de la pièce (réalisé en direct) sur un grand écran situé au dessus de la scène. Manifestement, Marc Lainé est très fier de ce dispositif qui lui permet de montrer le fantôme du mari sur scène, mais pas à l'écran.
Évidemment, Marianne finit par faire l'amour avec le médium, dans l'idée de ne former à travers lui qu'un seul corps avec son défunt mari (vous suivez ?!). Sauf que l'époux se fâche, au motif qu'il est cocu (par lui-même pour ainsi dire !). Se superposent alors à l'écran les visages du médium et celui du fantôme, pour bien souligner l’ambiguïté de la situation. C'est fin comme du gros sel, comme disait ma grand-mère.
Si la mise-en-scène est lourdingue, le texte, verbeux à souhait, n'est pas en reste. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les comédiens n'arrivent pas à jouer ? Ou sont-ils gênés par la sonorisation qui nous donne l'impression de regarder un film mal doublé ? (J'ai horreur des micros au théâtre !)
C'est à un point tel qu'on est parfois embarrassés pour les comédien.ne.s.
A moins qu'il ne s'agisse d'un parti-pris de mise en scène et de direction d'acteurs ?
Ce doit certainement être le cas, sinon comment expliquer que strictement aucun.e comédien.ne ne soit juste ? Leurs énervements sonnent creux, à la limite du ridicule. Et que dire des roulements d'yeux du médium lorsqu'il a ses crises ?! C'est injuste car l'apprentissage du texte a dû leur demander un effort considérable.
Même si je rêvais de mettre fin à mon calvaire façon Yannick (de Quentin Dupieux), je dois reconnaitre que tout n'est pas à jeter dans cette pièce. Les moyens mis en œuvre sont importants : cinq comédiens sur scène, des décors réussis et qui changent à vue (c'est beau !), des moyens de prise de vue (rampe de travelling comprise), un soin apporté au son (avec, par exemple, des bruits de fonds différents quand deux personnages se parlent au téléphone).
C'est toujours intéressant d'aller au théâtre, même quand c'est mauvais. Et c'est réjouissant une salle de théâtre comble (je m'ennuyais, donc j'ai regardé le public...). Et puis à la sortie, on discutait joyeusement, ébahis d'avoir vu un spectacle qui, en plus d'être une pièce exécrable (je la mets dans le Top 50 des pires pièces que j'ai vues !), réussit l'exploit d'être aussi un mauvais film.
du 6 au 16 mars 2024
Théâtre du Rond-point - Paris VIII
Texte, mise en scène et scénographie Marc Lainé
Avec Bertrand Belin, Jessica Fanhan, Marie-Sophie Ferdane, Adeline Guillot en alternance avec Clémentine Verdier, Yanis Skouta
avec la participation de Dan Artus, Tünde Deak, Thomas Gonzalez et de Laurie Sanquer, David Hanse, Farid Laroussi
Journal d’un vide, Emi Yagi, 10/18
Comment échapper au travail lorsqu'on s'y ennuie terriblement et qu'on a l'impression d'y gâcher les premières années de sa vie d'adulte ? Mme Shibata, trentenaire japonaise, trouve une solution en simulant une grossesse.
A travers cette chronique d'une grossesse imaginaire, ce Journal d'un vide, l'autrice Emi Yagi décrit de façon implacable l'ennui au travail.
"Tous les employés restaient de longues heures au bureau. Chaque réunion était le prétexte à rassembler l'ensemble du personnel dans une salle pour y écouter les supérieurs répéter inlassablement les mêmes discours, idées et griefs, plusieurs fois par jour ; la moindre dépense devait être justifiée en détail auprès du chef de section, puis reformulée à l'intention du directeur de département, avant d'être finalement présentée sous la forme d'une épaisse liasse qu'il fallait distribuer, Dieu sait pourquoi, à chaque membre de l'équipe. Nous n'avions ni le temps ni l'énergie de réfléchir au sens de nos actions, encore moins de poser des questions." (page 58)
Emi Yagi adopte un ton clinique, détaché et assez plat (lorsqu'il n'est pas indigeste !). Cette voix monocorde sert un propos consistant à démontrer la monotonie et l'ineptie du travail de bureau, surtout lorsqu'en tant que femme, on se voit confier l'intégralité des tâches ingrates ou peu valorisées (préparer le café, vider les corbeilles...).
Cette dénonciation du machisme au travail (qui n'est certes pas l'apanage des japonais...) est agrémentée de considérations assez convenues sur la vie, le couple, l'amitié.
"Je me sens seule. (...) Peut-être est-ce bizarre, car c'est notre lot à tous depuis notre naissance, mais je n'y suis toujours pas habituée. Je n'arrive pas à me faire à l'idée que, dans la vie, c'est chacun pour soi." (page 191)
Il m'a semblé que l'intérêt de ce livre (vite lu) ne dépassait pas vraiment l'idée de départ. Journal d'un bide, en ce qui me concerne.
Paru en poche le 1er février 2024
chez 10/18 Littérature étrangère
traduit par Mathilde Tamae-Bouhon (japonais)
216 pages | 8,60€
Émerveillez-vous ! Caleb Arredondo, Vincent Segall & Ballaké Sissoko, Aziza Brahim
Il semblerait que la sinistrose nous guette. Plus rien ne fonctionne en ce bas Monde. Le mauvais temps nous ronge les sentiments et les nerfs (hé, il ne fait plus nuit le matin quand on emmène les enfants à l'école et quand on vient les rechercher). Les soucis se renversent sur les tracas. Les emmerdes sont plus boueux que jamais. On rivalise de pessimisme pour ne pas dire que demain ça sera mieux !
Bienvenue au mois de mars ! Ce moment aussi où on a le droit, mais on l'a oublié, de s'émerveiller. La morte saison va laisser sa place à quelques bourgeons d'espoir, des rires imprévisibles et du courage insoupçonnable.
Il faut s'émerveiller. Partir d'un petit rien qui révèle une beauté cachée. La musique est un puissant marqueur de beauté et d'espérance. Ça m'est arrivé hier soir. Pour m'endormir, j'essaie le dernier disque de Caleb Arredondo. Un type et son saxophone.
Un homme qui a confiance en son instrument et son art. Car il va nous faire naviguer dans les tourments des nuances. Et on ne va pas s'ennuyer car le musicien fascine et nous fait rentrer dans nos propres zones troubles. Avec une bienveillance infinie. Les notes roulent sur elles-mêmes et finissent par nous enrouler. D'une chaleur surprenante. Qui console et nous éloigne de tout, sauf de nous-mêmes. Les échos du saxophone sont du cœur et de la raison. Une belle expérience.
Et la musique doit nous aider à nous émerveiller. Prendre les choses simplement pour y trouver de la confiance. Le duo violoncelle kora nous faisait déjà planer très haut dans la plénitude, mais le duo devient un quatuor roublard quand ils nomment leur œuvre : Les Égarés.
Vincent Segall et Ballaké Sissoko invitent donc un accordéoniste et un saxophoniste à leur table. Les mets sont succulents et raffinés. Une fois de plus, ce sont les valeurs du duo qui ouvrent les portes à de belles improvisations. Ils se perdent mais nous renforcent dans cette idée d'un disque généreux qui se monte au fil des expériences partagées. Les petites mélodies deviennent de beaux trips musicaux. Ils ont confiance en eux et rapidement on les écoute les yeux fermés. Sûr d'être face à un éclat précieux du jazz d'aujourd'hui.
Et puis la musique peut nous amener de l'intensité aussi. C'est pas mal au mois de mars de trouver de l'ampleur et du courage pour être ce que l'on veut être. C'est ce qui se trouve exactement dans Mawja, le dernier disque de la chanteuse Aziza Brahim.
La vie de cette chanteuse est un roman fait d'exil et de douleur. Il en sort un nouveau disque lumineux, d'une force qui ne demande qu'à être transmise à l'auditeur. Les mélodies sont glissantes et servent une voix magnifique.
Le style de la chanteuse s'arme d'origines dans le Nord de l'Afrique et d'une existence espagnole. Les musiques nous bercent sans nous endormir : on découvre du blues africain, donc fait de combats, de rudesse mais aussi d'amour. Elle semble nous dire de vivre intensément. On veut bien la croire. Et en finir avec la giboulée de sinistrose qui veut toujours nous arroser !
Echo sax - Caleb Arredondo
Les Egarés - Sissoka Segall Parisien et Peirani
Aziza Brahim - Mawja
Carnaval en tenue 70’s ! Dirty Honey, Dirty Sound Magnet, Kula Shaker
C’était mardi gras il y a peu et débute maintenant la saison des carnavals ! On a l’occasion de se déguiser, et beaucoup de musiciens ressortent les vieilles fringues, les grosses perruques et les guitares rutilantes. En 2024, la mode serait aux pattes d’eph' et aux cris féroces en guise de refrain.
On avait déjà remarqué que c’était le style de Dirty Honey, quatuor musclé de Los Angeles. Les jeunes admirent leurs aînés de Guns'n Roses et avouent tout faire comme eux. En attendant le botox et les engueulades, Mark LaBelle et John Notto retrouvent toute l’efficacité des compositions bien heavy.
Et rapidement on entend aussi la large et imposante influence de Led Zeppelin. Les ambitions sont sacrément hautes et cela fonctionne plus que bien. On est clairement dans les compositions épiques. Dirty Honey essaient d’être des sales gosses du rock’n’roll mais finalement leur écriture est assez fine… en matière de hard rock. Les chansons sont souvent ramassées mais elles sont amples.
Dans le monde des ersatz de Led Zep ou Black Sabbath, Dirty Honey fait clairement la différence. Ils ont tout ce qu’il faut pour ferrailler avec d’autres groupes chevelus, adeptes de la guitare hurlante et du chant intense !
Le son de Dirty Sound Magnet est beaucoup moins percutant. Néanmoins, il nous emmène lui aussi sur les terres éthérées d’un rock très électrique et chevaleresque. La première chanson de leur nouvel album est une petite pépite qui cache bien son jeu : c’est calme et pourtant, c’est d’un lyrisme impressionnant.
Les Suisses triturent leurs envies de rock avec des effets rétro, des échos et des pédales que ne pourrait pas renier le Grateful Dead. Ce qui est franchement sympa avec ce groupe, c’est la simplicité d’exécution. Une volonté de dépouiller le rock psychédélique, c’est ce que l’on entend. Cela donne une vraie originalité à leur style.
Eux, n’ont pas changé de style du tout. Kula Shaker, dinosaure de la Britpop continue de marcher avec sa bonhomie légendaire. Héros d’une époque révolue, le groupe anglais continue de croire en ses valeurs. Et ca fonctionne.
De mieux en mieux. Sans mélancolie, l’écriture de Kula Shaker ressemble à un chemin oscillant entre rock, pop, world music et beaucoup de musique indienne. Plus que les autres efforts du groupe, celui ci semble provenir de Goa au milieu des années 70. C’est très réjouissant.
Car le farfelu chanteur (et aussi réalisateur) Crispian Mills s’autorise à raconter l’époque actuelle avec une vitalité folle. Le précédent disque était pétaradant de culot et d’enthousiasme. Ici, on reste sur un style plus standard (13 chansons bien découpées, avec quelques balades) mais le quatuor semble être dans une symbiose renversante. On redécouvre le goût pour le psychédélisme mâtiné de sons indiens. La guitare est incroyablement ciselée. Et la voix de Mills prend de l’ampleur avec le temps. Cela donne un disque bouillant et remuant. Parfait en période de Carnaval!
Dirty Honey - Can’t find the brakes
Dirty Sound Magnet - Dreamin’ in distopya
Kula Shaker - Natural High
L’affaire Emmett Till, Jean-Marie Pottier, 10/18 Society
A la fin de l'été 1955 est retrouvé dans la Tallahatchie River le corps d'un gamin de 14 ans, un jeune noir de Chicago qui passait ses vacances "dans cette région d'un Mississippi qui reste, un siècle après l'abolition de l'esclavage, l’État le plus ségrégationniste des États-Unis" (page 19).
Le jeune homme a été enlevé puis assassiné par des blancs pour avoir osé siffler une femme blanche.
Sa mère l'avait pourtant prévenu. " (La) ségrégation, Mamie veut que son fils en respecte les règles pour ne pas se mettre en danger, surtout dans ses interactions avec les femmes blanches. Si Emmett en voit une, conjure-t-elle, qu'il baisse la tête pour éviter de croiser son regard, ou qu'il change de trottoir. Il ne doit pas parler aux blancs, sauf s'il y est invité " (page 32)
Certes, il y aura un et même plusieurs procès, mais que peuvent espérer des noirs d'une justice blanche ? "L'affaire était perdue dès le départ. Un jury aurait rendu sa liberté à n'importe quel homme qui aurait tué un noir pour avoir insulté une femme blanche." (page 111)
Mais c'est sans compter sur la mère d'Emmett, qui va s'opposer de toutes ses forces à la volonté des autorités d'enterrer précipitamment son fils en même temps que l'affaire. Elle fera rapatrier la dépouille d'Emmett à Chicago où elle présentera son visage martyrisé au public, donnant à cette mort injuste un écho qui résonnera pendant plusieurs décennies et qui marquera la lutte pour les droits civiques.
"Elle disait toujours que c'était son destin, qu'il devait mourir pour que le monde puisse saisir les injustices et les lynchages qui se déroulaient depuis des générations." (page 205)
Comme c'est toujours le cas avec l'excellente collection True crime de 10/18 Society, Jean-Marie Pottier signe une enquête fouillée et documentée qui se lit aussi facilement qu'un roman. J'ai juste un peu regretté que le récit ne parvienne pas vraiment à restituer le souffle que cette affaire a donné à la lutte pour les droits civiques.
Paru le 1er février 2024
10/18 Society True Crime
240 pages | 8€
CANDELA – Keroué / (RPM productions 2023)
KEROUÉ aka K.E.R, notre cher rappeur qui nous vient tout droit de Quimper - ancien membre du groupe Fixpen Sill, 5 Majeur et Fixpen singe - sort un nouvel EP, CANDELA, le 10 mars 2023, après un retour en solo avec l’EP ECKMÜHL, sorti en juillet 2022.
KEROUÉ décide de suivre son instinct et ses envies artistiques, de partager son univers unique et personnel en solitaire. Ces deux derniers projets sont le reflet de son âme et nous prouvent l'étendue de ses talents d'écrivain, de rappeur et même de graphiste : il a réalisé les covers !
CANDELA, qui (nous) vient du latin (qui) et signifie “Chandelle”, est un 8 titres à la fois lumineux par ses rimes riches et techniques mais aussi plus obscur avec son écriture profonde. Niveau featurings on lésine pas sur le talent, on retrouve NeS et Limsa d’Aulnay. Niveau producteurs on retrouve ce bon Vidji fidèle au poste, Dehlo, Lil Chick et notre cher Jeanjass. Un casting de qualité pour un EP au top.
Dans ce projet Keroué est fidèle à lui-même, croyez-moi sur parole : sa plume est bien aiguisée; il est d’une technicité hors pair et sait jouer entre mélancolie, ego trip et tourments intimes. On ressent le jeu entre lumière et obscurité, la lutte contre cette noirceur en lui et la flamme qu'il maintient pour éclairer son âme; le morceau “Cette Shit” offre un combat entre tristesse et joie qui le représente particulièrement. Concernant l’ego trip, le titre “Lumen”, qui signifie lumière en latin, met justement en lumière son talent : flow précis et concis, texte incisif. Pas de refrain ici, Keroué crache le feu tout du long “des étincelles quand j’tousse” ; il nous prouve qu’il est en place “ enfin fini de jouer la comédie”. C’est un concurrent sérieux à ne pas de mettre de côté.
Comment ne pas parler des featurings ? Keroué a un oeil sur la “Next Gen” et propose le titre “OSEF” avec NeS ; l’alchimie est très bonne, ce titre est un subtil mélange entre de l'ego trip avec des punchs lines provocatrices telles que “Plus personne te respecte comme une fliquette” et un goût de revanche contre la négligence subie : “J'ai bien vu dans leurs yeux qu’ils me voyaient comme un zéro” .
N'oublions pas notre chère Limsa d’Aulnay, LOGIQUE, sur le titre “Taxi 2”. Nos deux rappeurs performent ensemble sur deux prods de JeanJass, un switch d’instru qu’il maîtrise parfaitement, ce qui donne encore plus de matière au morceau en mettant en valeur l’aisance de Limsa et Keroué. On sent une réelle proximité entre les deux rappeurs, ils nous montrent ici l'étendue de leur talent certain pendant l'intégralité du morceau. Les couplets sont complémentaires, on sent ici qu’ils maîtrisent leur art. Keroué entre sur le son avec la punch “J'ai même pas besoin de dire que j't'aime pas, C'est écrit sur mon visage”, et nous donne clairement la couleur : il est meilleur, tout simplement . Quant à lui, Limsa envoie comme à son habitude des phases de qualité :
“Pour eux, j'suis qu'un sale rebeu, si tu t'agites, tu parles au phone
Tu périras par le feu, Et gros sac, c'est pour ça qu'on parle peu !”
Taxi 2 c’est 3 min 24 de rap comme on l’aime tant, on se fait happer par les rimes de Limsa et Keroué, et chaque nouvelle écoute nous surprend par la pertinence du texte. Un des meilleurs sons de L’EP.
Derrière chaque flamme d’une chandelle, se cache l’obscurité. Dans les morceaux “J’y vais tout seul”, “Rien de grave” et “Gymnopédies” : “C’est très difficile de revenir à l’innocence Je pense que l’innocence une fois qu’elle est brisée elle est brisée…” - on touche du doigt les pensées tourmentées de Keroué. Ici il se met à nu, il danse sur la prod, on sent un besoin viscéral de renouveau; la fatigue et l'épuisement mental le poussent à tout changer et à voyager vers un autre hémisphère, le forcent à aller plus loin, seul s'il le faut. Rien de grave, y arriver à son rythme. En rythme...
Note perso de XiaaoX :
"Je me suis mangé Keroué fort depuis son retour en solo, j’ai été un grand fan de 5 Majeur et Fixpen Sill , ses différentes apparitions dans les GRUNTS, tout le parcours de cet homme a permis d’accumuler énormément d’expériences pour pouvoir nous pondre des EP de qualité comme Candela, qui nous raconte le chemin parcouru, les haut et les bas. Keroué n’a pas encore le succès qu’il mérite, son talent n’est que trop peu reconnu par les “grands média rap” mais sa base d’auditeurs fans ne cesse d’augmenter. On attend un album prochainement. Hâte de voir la suite de ses projets. J’ai eu la chance de le voir au FGO Barbara performer. C'était magique. Une prestance sur scène. Ca kick fort et en rythme. Toute la salle qui se brise la nuque sur ses phases, qui rappe avec lui. Un vrai régal pour les oreilles. Hâte d’une nouvelle date.*