Capitalist blues
Le blues au féminin.
On tombe évidemment amoureux de Leyla McCalla en quelques notes. Voilà une jeune femme qui aime bien sauter par-dessus les barrières et les frontières. Ses parents sont haitiens. Elle grandit à New York en faisant un petit arrêt par le Ghana. Leyla McCalla n’a donc pas de limites. Elle connait le violoncelle mais elle s’amuse aussi beaucoup avec un banjo. Elle aime trainer dans tous les styles… qui viennent du sud.
Elle a donc commencé par étudier les chansons de son pays d’origine. Mais petit à petit, la chanteuse remonte le courant et s’installe petit à petit dans les bayous de la Louisiane. Ce troisième album se place au carrefour de tous les genres. C’est une tempête qui s’abat sur le monde du blues.
Sa sensibilité vient donc secouer les bases du blues et de la Nouvelle Orléans. Ce n’est pas une séance de vaudou mais il y a bel et bien de la magie dans cet album qui picore un peu partout l’inspiration la plus rustre mais aussi la plus sincère.
Elle adopte donc la chaude ambiance de La Nouvelle Orléans. Le violoncelle est un peu moins utilisé : l’artiste veut mettre en avant le bouillonnement de la ville et sa folie musicale. Ce disque est une fête où tous ont le droit de citer !
Dans ses nouvelles chansons, elle convoque les traditions et les légendes. Elle ouvre un havre de paix, où tout se passe bien entre Trinidad, Cuba, les Etats Unis et Haïti. Inutile de dire que le disque assure le dépaysement total.
Mieux encore, le folklore s’introduit dans le quotidien et la réalité. La jeune femme ne veut pas être un joli produit exotique. Les paroles sont sarcastiques et ne manque pas d’égratigner notre époque. Le commentaire social est là mais il ne s’impose pas.
Ce que l’on entend c’est de la musique colorée, cultivée, élégante et d’une richesse ensorcelante. Face au capitalisme qui la désole, elle a une recette succulente de rythmes, de refrains et de mots délicieux et finement choisis. Cet album est une fête, avec des moments calmes et des emballements bienvenus. Certes elle a le blues cette chanteuse, mais elle garde et offre un beau sourire !
Jazz village - 2019
Velvet buzzsaw
L'équipe de Nightcall se réunit à nouveau pour croquer les moeurs contemporaines. Plus décousu, Velvet Buzzsaw décoit.
Pourtant on retrouve bien tout le savoir faire de Dan Gilroy, scénariste discret mais friand de la bonne grosse série B (il a pondu le script de Kong: skull island tout de même). Des années d'écriture qui le pousse à la réalisation. NightCall restera comme l'un des polars de ce début de siècle.
Dans Velvet Buzzsaw, il y a donc cette écriture cynique et cette façon très clinique de suivre des personnages plus ou moins agaçants. NighCall est un thriller sombre et désenchanté: ce nouveau film est encore un triste constat sur quelques pantins attirés par l'argent et le pouvoir. Ils pervertissent à leur manière l'art et son marché. Une malediction va s'abattre sur eux...
Le portrait commence donc comme un film de Robert Altman, référence de plus en plus évidente en ce moment dans les productions américaines. Une multitude de personnages pour une multitude de défauts. John Malkovich et Jake Gyllenhaal donnent la main à Toni Colette et René Russo (l'épouse du réalisateur) pour une farandole de crétins bavards et prétentieux.
Ils sont doués pour ça et la farce est efficace. Mais trop grossière de la part d'un type qui a fait NightCall, beaucoup plus nuancé et plus efficace. A trop critiquer la superficialité, à la scruter, Dan Gilroy oublie trop souvent le thriller et l'aspect horrifique de son film. Le film continue l'étude du cinéaste d'un Los Angeles en trompe l'oeil. C'est ce qu'il y a de mieux. Pour le reste, on reste sur notre faim. Le monde de l'art en prend plein la tronche; nous on aurait aimé en prendre plein les mirettes!
Avec Jake Gyllenhaal, René Russo, Zawe Ashton et John Malkovich - Netflix - 2018
Edmond
C'est un réflexe: on se méfie toujours lorsqu'un auteur de théâtre décide d'adpater lui même son spectacle au cinéma. Pas assez de recul. Trop d'ego. Manque d'aisance avec le nouveau médium. Alexis Michalik, fine plus du nouveau théâtre populaire, voudrait donc être un cinéaste et offrir son plus gros succès, Edmond, au septième art!
On a le droit d'avoir peur mais Michalik a des qualités pour lui qui peuvent faire des merveilles: le sens du rythme. Le gout de la simplicité. L'humour éloquent... Quand on voit tous les nanars qui nous offrent la comédie française, l'adaptation d'Edmond semble même être une bonne et noble idée!
Pour son premier film, Michalik s'est mis sérieusement au travail. Très photo sépia. Chouettes costumes. Joli ritournelle. Belle troupe d'acteurs. Dans la forme, Edmond rassure. On apprécie le travail d'un auteur qui ne prend pas le public pour un imbécile. Populaire ne veut pas dire facile. Populaire chez lui, veut dire enthousiaste. Et là, Edmond ne se résout pas à la médiocrité.
Il y a de virtuosité et du lyrisme pour filmer le combat d'Edmond Rostand contre le temps, et l'écriture d'un chef d'oeuvre, Cyrano de Bergerac. Comme ce héros, l'art est une arme. L'art imite la vie. ou l'inverse. En tout cas, Michalik conserve la verve de sa pièce, la célébration de la création, l'envie de fêter tout cela.
Les acteurs sont excellents menés par un Olivier Gourmet roublard. Cela gomme les petites faiblesses à commencer par un style un peu vieillot, un peu réac mais que l'on veut bien oublier car c'est enlevé, frais et souvent bien fait. les quelques caricatures appuyés s'oublient dans les rires d'une écriture fluide et rapide.
Le jeune réalisateur évite les pièges d'une piéce adaptée au théâtre. La caméra s'accroche d'un personnage à l'autre avec une aisance que l'on connait peu au cinéma français. Michalik a réellement imaginé son projet pour le cinéma. Pour plaire. Pour faire vibrer. C'est rassurant. A la fin du film, ca nous touche!
Avec Thomas Soliveres, Olivier Gourmet, Mathilde Seigner et Clémentine Célarié - Gaumont - 9 janvier 2019 - 1h50
The gipsy soul of Tiwayo
Du blues made in France qui n’a pas à rougir face à ses concurrents du Delta !
Il a une trentaine d’années. Il a de beaux yeux plein de rêves et il semble les réaliser. Il se surnomme Tiwyao (The Young Old son nickname aux States) et sa voix est merveilleusement cassée. Aidée d’une guitare, elle fait réellement de l’effet.
Pas besoin d’autotune pour ce jeune talent qui regarde sans honte dans le rétro. Il a aimé passionnément Haiti et les Etats Unis. Ca le mène vers un blues tout en harmonie qui pourrait même faire les beaux jours de la fm. On est loin de la musique de vieux pour les vieux.
Il ne révolutionne rien mais prolonge cette vieille tradition d’un blues rock assez édulcoré pour plaire au plus grand nombre. On entend bien ses influences et on se demande presque si le nouveau Eric Clapton ne serait pas de Meudon la Foret.
Produit par un compagnon fidèle des Black Keys, Tiwayo déroule donc tout un échantillon de chansons viriles mais correctes. On écoute ses voyages à travers de riffs éclatants et donc une voix subtile, qui se casse sur un blues jamais laborieux ou démonstratif.
Il vagabonde donc sur des routes poussiéreuses. On n’est pas étonné par l’esprit Gipsy soul de son disque. Avec toutes ses qualités, il n’a pas peur de l’avenir. Le garçon est tellement doué qu’il signe d’ailleurs ce premier effort sur le prestigieux label Blue Note. Il a bien fait de sortir de sa forêt.
Blue note - 2019