Songs, Samuel Achache, Bouffes du Nord

 

Une fois levé l'immense drap blanc qui recouvre la scène, c'est un univers insolite presque irréel et un brin décadent qui se dévoile. De l'étagère à la table, en passant par les fauteuils et le sol, tout est baigné ou éclaboussé de cire, cette substance qui dissimule, fige et retient le passage du temps dans ses moindres sillages. Quel lieu plus épatant pour accueillir une soirée de mariage? et, dans ce cas, pourquoi ne pas inviter pour l'animation un orchestre de musique anglaise du XVIIè siècle? Sur les étagères, au milieu du service à thé (coulé dans la cire bien sûr), des ballons de baudruche et des guirlandes. Sur le côté droit de la scène, aux côtés des comédiennes au langage pourtant résolument contemporain, des joueurs de théorbe, de viole, d'orgue et de virginal. Arrivé là, on comprend que rien de tout à fait normal ne peut subvenir, impossible de dire où l'on est ni à quelle époque, la téléportation est totale, jusque là bravo. Côté jeu, les comédiennes Sarah le Picard et Margot Alexandre interprètent haut la main les soeurs que tout oppose sauf, on ne tarde pas à s'en rendre compte, un bon gros grain de folie. Margot Alexandre, surtout, est hilarante dans un savant mélange d'autoritarisme et de bonhomie. Sarah Le Picard, dans le rôle de la mariée névrosée s'enlisant dans les turpitudes de son coeur, parvient habilement à rendre comique ses noires visions et sa mélancolie suicidaire. Leur mère, Lucile Richardot alterne le jeu et le chant lyrique. D'un côté neurasthénique, de l'autre d'une puissance qui semble infaillible. Et c'est ce contraste, entre des personnages à bout de nerfs et un accompagnement musical que rien ne semble pouvoir troubler, qui laisse confus. Le théâtre contemporain et la musique anglaise du XVIIè siècle se croisent plus qu'ils ne se rencontrent et la pièce, pourtant magnifiquement drôle et extravagante, reste un mystère insondable.

 

Songs
Jusqu'au 20 janvier
Au théâtre des Bouffes du Nord
Mise en scène de Samuel Achache
Direction musicale et orgue de Sébastien Daucé

Thomas Fersen: les papillons

Press rewind

Si le demon du rock, le diable du fameux crossroads, prend des vacances, vous pourrez le trouver du coté de Saint Etienne. Bonne nouvelle!

Bah oui, pendant que certains veulent construire des murs à toutes les frontières, d'autres s'en affranchissent avec un plaisir évident. C'est le cas de Devil Jo, chanteuse à la voix chaude de St Etienne qui a décidé de se prendre pour un héros du rock du sud des Etats Unis.

Quand on écoute sa musique, on entend Lynyrd Skynyrd, les Black Crowes ou autres chevelus amateurs d'orgue hammond, de substances prohibées et de grosses guitares qui groovent. De la grosse musique de Working Class Hero dont la jeune femme célèbre les vertus. On se croirait effectivement de l'autre coté de l'Atlantique.

Et c'est authentique. La voix soul conjuguée à des musiciens plus rock dresse les poils. C'est du bon vieux rock qui vise l'estomac et pas du tout les cordes sensibles. C'est bien fait. Les compositions sont solides. La base est un peu poussiéreuse mais Devil Jo souffle sur les braises. Le résultat est ardent!

En neuf chansons, on a entendu ce joyeux mélange que peut être le blues, le rock, la soul, la funk ou le boogie! On ne s'ennuie pas une minute même si le groupe ne fait pas dans la franche nouveauté. Mais bon, tout de même, quand ca vient de St Etienne, on a le droit d'être surpris. Agréablement surpris!

Inouie Distribution - 2018

Thomas Fersen: Le bal des oiseaux

L’heure de la sortie

Depuis le Village des damnés, on le sait : il faut se méfier des enfants. Un réalisateur français a retenu cette leçon pour un joli film de genre comme on en fait rarement chez nous.

C’est la bonne nouvelle de L’Heure de la sortie. Voilà une œuvre qui n’a pas peur de se frotter aux genres. De la science fiction. De l’épouvante. En tout cas, Sébastien Marnier, repéré avec Irréprochable, se fait un malin plaisir à nous baigner dans les eaux troubles du malaise et du doute. Il extrapole sur notre époque. L'écologie et la paranoïa deviennent des sources d'un récit plus que lucide!

Du cinéma donc ! Un professeur, un poil aigri, enseigne dans une institution bourgeoise après le suicide d’un collègue. Il dirige une classe de troisième où les enfants sont surdoués. Six d’entre eux se comportent de manière étrange…

C’est parti pour une lente descente aux enfers où notre brave fonctionnaire va se retrouver face à des actes illisibles ou carrément dangereux. On n’en dit pas plus : Sébastien Marnier fait monter la sauce avec beaucoup de délicatesse.

Il a le sens de l’image et du détail. Les gamins lorgnent vers un nihilisme. Ils se comportent comme une secte et à une époque où chacun justifie sa vérité, avec violence: ce point est d’une lourde et effrayante actualité.

Mais ce n’est pas une œuvre démonstrative. C’est la seconde bonne nouvelle du film. Le cinéaste dépeint le corps enseignant avec cet art de la suggestion. Tout comme les enfants. Les seconds rôles ont alors de l’importance. La musique aussi. Le décor aussi. Très vite, L’heure de la sortie ressemble à une franche réussite.

On n’est peut-être un peu déçu par une fin trop cinglante mais on est bluffé par l’interprétation menée par un Laurent Lafitte simplement exceptionnel. Lui-même finit par nous inquiéter. Ce sont tous les non-dits du film qui fabriquent une tension quasi cataclysmique. Le film questionne le spectateur et ne lui laisse aucun répit. Maitrisé, le film sonne peut être le retour du film de genre à la française !

Avec Laurent Lafitte, Emmanuelle Bercot, Pascal Greggory et Grégory Montel - Haut et court - 9 Janvier 2019 - 1h40

Animal World

C'est peut être pour cela que l'on aime la plateforme Netflix. On y trouve des choses plus ou moins avouables. Il y a de vieilles séries B, des produits de consommations ratés, des chefs d'oeuvres et surtout des films venus d'ailleurs.

Animal World est un grand succès chinois. Il s'agit d'une adaptation d'un manga japonais. C'est surtout une oeuvre qui base tout sur le... chifoumi. Oui le fameux Pierre feuille ciseaux! He bien, nos amis chinois, avec ça, ils vous font un film d'action qui ferait passer Michael Bay pour le Eric Rhomer d'Hollywood.

Là vous avez une rencontre improbable, entre Matrix et Hunger Games. Un film d'une absurdité assez grandiose et qui vous emporte aux limites du supportable. Le réalisateur Han Yan a constamment l'envie d'illustrer le schéma de penser du héros.

Parce qu'il y a un héros. Il est spécial. C'est un looser dépressif qui a un monde imaginaire bien fourni et un traumatisme lié à son enfance qui le pousse à se retrancher dans un monde foufou peuplé de créatures à décapiter. Là, on est dans un univers qui rappelle un peu les Wachowski et leur flamboyance ambivalente.

Mais les neurons vont chauffer un peu plus lorsque le jeune homme se retrouve dans un bateau perdu dans les eaux internationales pour jouer de force à... Chifoumiii! Là, on se rend compte qu'il ne faut rigoler avec ce jeu. Surtout s'il vous est proposé par un type diabolique qui a la tronche de Michael Douglas.

Parenthèse: le marché chinois ouvre ses portes à Hollywood. Tout le monde s'y engouffre. Maintenant les vieilles gloires se refont une santé financière là bas. Et vous voyez de plus en plus de blockbusters produits par des compagnies chinoises. fin de la parenthèse.

Ce type là ne rigole pas. Il vous fait disparaitre si vous ratez votre partie de Chifoumiii! Mais notre petit looser est surtout un grand malin, comme les héros d'Un homme d'exception ou Imitation Game. Sa différence fera sa force.

Il botte les fesses à des types patibulaires et fera la leçon au vilain. Tout cela dans un déluge d'images et un montage ultra charcuté qui vous brulera le cerveau et les rétines. On ne comprend rien aux régles du fourbe Douglas comme on ne pige pas grand chose à la logique perturbée du héros. Il faut dire que le réalisateur fait tout pour nous secouer. Comme ca, on avale tout cru ce drôle de truc trop bizarroïde mais assez exotique pour être vu comme un effet hallucinant ou hallucinatoire de la mondialisation.

Avec Li Yifeng, Michael Douglas, Zou Dongyu et David Rayden - Netflix - 2018

Creed 2

Alors attention les copains, il y a de la testostérone dans Creed 2. Pour rappel Rocky n'est qu'un entraineur sympathique, qui porte comme il peut son passé glorieux et ses échecs personnels. Maintenant place à la jeunesse et à l'énergique Michael B Jordan, montagne de muscles assez talentueuse qui joue le fils caché d'Apollo Creed, vieux copain de Rocky, tué par le Russe Ivan Drago.

Qui revient lui aussi dans ce deuxième opus. Lui aussi, il n'a pas eu de chance. Depuis sa baston légendaire dans Rocky 4 (le plus mégalo de la saga), le Russe est banni en Ukraine où il éduque son fils à délivrer des coups ravageurs. C'est une belle bête au regard cruel mais qui fait le chiot dès qu'il voit sa maman (effrayante apparition de la blonde Brigitte Nielsen, ex épouse de Stallone). Le concept est donc simple:

Creed contre Drago, la revanche!

Avec des vieux autour. Dolph Lundgren est toujours épatant avec sa tronche rectangulaire. Et Stallone continue de jouer avec son alter ego boxeur, Rocky, grand tendre et sportif admiré des classes populaires. L'acteur a aussi la place de scénariste et producteur.

Il continue donc de refleter ses angoisses à travers le personnage de Rocky Balboa. Creed 2 est évidemment bourré de défauts mais il parle beaucoup de solitude. Tous les personnages se noient dans leur ego et leurs problèmes. Rocky saura faire le lien mais la difficulté de communiquer, même au sein d'une même famille, semble obséder les auteurs, et particulièrement Stallone.

Mais bon ce n'est pas du Bergman non plus. C'est du mélo avec des sueurs, du sang et des larmes. Les gros musculeux ont un petit coeur tendre. Le style est totalement mélancolique. Les jeunes boxeurs n'ont pas plus de chance que les anciens. Le film se verrait bien noble comme l'art qui le représente. Hélas, le réalisateur n'est pas toujours à la hauteur de l'ambition. Excité dans les combats, il s'endort sur les scènes de ménage. Mais bon, il ne faut pas bouder son plaisir coupable. La nostalgie est une valeur refuge chez Stallone. Ici, elle n'est pas du tout désagréable.

Avec Michael B Jordan, Sylvester Stallone, Tessa Thompson et Dolph Lundgren - Warner Bros - 09 janvier 2019 - 2h10

Thomas fersen: Hyacinthe

Pen Insular 2 (the bridge)

Un anglais en Bretagne... cela donne un disque passionnant et exotique!

Robin Foster n'a pas attendu le Brexit pour aimer et s'échapper en France. Le musicien britannique s'est découvert une passion pour la Bretagne, cette région rude et chaleureuse, un bout du Monde qu'il n'en finit pas de l'inspirer à travers sa musique très exigeante et souvent sensible.

Entre post rock et trip hop, Robin Foster n'est pas un tendre. C'est un aventurier. Cela fait vingt ans qu'il s'est installé dans le Finistère. Son amour pour la région est récompensé. Pen Insular 2 (the bridge) est la bande sonore d'un documentaire sur la Presqu'île de Crozon. Il donne tout: la musique est effectivement un voyage pour ce cinquième album solo.

Il bidouille sur les synthés. Il invite des instruments plus classiques pour montrer l'aspect minéral et fascinant de la région. Il nous entraine dans des coins perdus de la musique où les styles cohabitent idéalement. Une fois de plus il prouve qu'il est un grand spécialiste de l'ambiance cinématique. Il y a là, l'atmosphère de la Bretagne mais surtout des beats, des voix, des boucles, et des refrains qui nous embarquent pour un voyage inédit, curieux (car fait de curiosités) et qui évite l'écueil des vieilles traditions.

C'est sûrement le plus bel hommage que l'on peut faire à cette fière Bretagne et cet ancestral Finistère. Le Breton d'adoption multiplie les idées et les envies avec une gourmandise non feinte. Du rock, de l'ambient, de la trip hop... On savait qu'il y avait des sorciers a Broceliande; visiblement l'un d'entre eux a déménagé pour s'installer au bord de la mer

My dear - 2018

Le copain de la semain: Thomas Fersen

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