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Blackwood, Michael Farris Smith, 10/18

La scène d’ouverture est tout simplement époustouflante. L’un des meilleurs premiers chapitres qu’il m’ait été donné de lire. Une scène entre un père et son fils, Colburn, dans le Mississippi en 1956. Une scène sinistre et dure, d’une dureté de diamant. Froide et choquante. Il ne faut pas plus de quatre pages à Michael Farris Smith pour nous saisir à la gorge.

Vingt ans plus tard, Colburn reviendra dans ce bled du Mississippi où il a passé une partie de son enfance et où son destin croisera celui d’un gamin qui y a atterri par hasard. Le deuxième chapitre nous propulse en effet en 1976, avec un couple de paumés accompagnés de leur fils d’une dizaine d’années, leur fils devenu unique après qu’ils ont littéralement laissé leur bébé sur le bord de la route, sans le moindre scrupule.

Par certains côtés, Blackwood tient du polar. La noirceur y est. Le shérif aussi, un shérif aussi attachant qu’il est peu causant, et qui forme un vieux couple épatant avec sa femme. Le personnage inquiétant y est. L’ambiance y est, une ambiance très particulière, celle d’une ville noyée sous le kudzu, une plante grimpante et envahissante qui recouvre les collines et la vallée et sous laquelle disparaissent les maisons. Ajoutez à cela des souterrains oubliés et des voix intérieures, et vous comprendrez que le drame n’est pas loin d’y être, lui aussi.

On a parfois du mal à savoir s’il y a vraiment des fantômes dans le coin. En tout cas, il ne fait aucun doute que les personnages sont hantés. Hantés par leurs démons, hantés par leurs traumatismes, hantés par leurs amours impossibles.

« Il mangeait rarement. Il dormait rarement. Une créature de la vallée. Le roi de son propre royaume sous les vignes. Il était dans un état de constante exploration, se demandant s’il y avait d’autres secrets. D’autres réponses. Car c’était ce qu’il croyait avoir découvert. Sa vie jusqu’au moment où il avait commencé à entendre la voix rien qu’un grand vide de question. » (page 94)

Le style de Michael Farris Smith est sobre, une écriture à l’épure. Mais si les chapitres sont courts, le livre est d’une densité telle qu’il ne se lit pas en deux minutes ; il requiert une certaine concentration. L’auteur a un talent fou pour ramasser tout un tas d’images en à peine quelques mots. Ainsi, par exemple, lorsqu’un personnage fait le tour des fermes pour récupérer de la ferraille, Michael Farris Smith résume tout un monde en moins de dix lignes:

« Vous pouvez le prendre, mais je le regretterai un jour. Les différentes pièces et parties étaient toujours plus que simplement du métal et du fer. Plus que des surfaces couvertes de rouille et de crasse. Pour les hommes, c’était des souvenirs de jours meilleurs ou les suggestions d’un avenir possible dont ils étaient désormais certains qu’il n’arriverait pas. Il emportait leur passé et leurs espoirs, ficelés à l’arrière de la camionnette. » (page 41)

On peut dire que Michael Farris Smith a écrit un livre de taiseux !

Date de parution : 19 mai 2022
chez 10/18, collection Littérature étrangère

Fabrice Pointeau (traduit de l’anglais par)

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