Quel plaisir de retourner au théâtre !
Quel plaisir de retrouver la magnifique salle du Théâtre Montansier ! Et quelle drôle de sensation que de contempler (la faute à la distanciation physique) un public éparse et étrangement uniforme (masque blanc couvrant le visage oblige). Pour un peu, l’on se croirait projeté dans une pièce de Beckett ou sur l’affiche de Réalité (le film de Quentin Dupieux).
Néanmoins, dès la lumière éteinte et une fois cette étrange atmosphère assimilée, on se plonge avec délice dans les trois micro-pièces d’Anton Tchekhov proposées par Peter Stein. On est d’autant plus concentré que, merci le Covid, plus personne n’ose tousser ; comme quoi c’était possible !
Dans « Le Chant du cygne », l’absence totale de décor (les murs sont bruts, comme aux Bouffes du Nord) et l’éclairage à la bougie soulignent le caractère crépusculaire du personnage incarné par Jacques Weber : un comédien vieillissant qu’on a littéralement oublié dans un théâtre.
Jacques Weber, volontiers tonitruant, semble avoir du mal à camper ce personnage désabusé oscillant entre désespoir et bouffonnerie : « J’ai 70 ans, c’est déjà Ding-ding, on ferme ».
C’est comme si le metteur en scène et le comédien n’avaient pas trouvé le bon rythme pour une pièce qui, bien que courte, s’étire en longueur.
Heureusement, la deuxième pièce, intitulée « Les méfaits du tabac », est bien plus réussie. Jacques Weber, seul en scène, se réveille (et du coup, les spectateurs aussi!) et nous amuse avec un exposé sur le thème du tabac dont le sujet dérive bien vite sur la femme du conférencier : « elle est toujours de mauvaise humeur (…) elle m’appelle l’épouvantail ». Ici encore la pièce est douce-amère : on s’amuse drôlement de la descente aux enfers que constitue la vie du personnage. Il faut dire que Weber a trouvé le bon tempo et qu’il est délicieux et juste,
Pour la troisième et dernière farce, l’on se dit que les deux autres comédiens vont servir de faire-valoir à la star Weber ; or c’est tout l’inverse, Jacques Weber se met au service de ses partenaires Manon Combes et de Loïc Mobihan, un formidable duo de jeunes comédiens.
Dans « Une demande en mariage », un jeune homme émotif, obséquieux et pragmatique (« Si l’on attend l’amour véritable, on ne se mariera jamais ») demande la main de la fille de son voisin et ami. Mais ses hésitations et circonlocutions vont lui faire commettre un impair qui va bientôt mettre son projet en péril. Alors que le père lui donnait au départ des petits noms tendres (ma bichette, ma mignonne…), sa relation avec sa promise s’envenime jusqu’à la crise de nerfs, crise de nerfs qui donne l’occasion à Loïc Mobihan et, surtout, à Manon Combes d’exprimer pleinement leur talent dans un numéro débridé et désopilant.
Il y a un véritable crescendo dans la mise en scène des trois pièces et, si la mort rode au départ (ce qui correspond assez bien à l’ambiance Covid), l’on ressort du théâtre tout ragaillardi et avec une pêche d’enfer ; le spectacle vivant porte ici bien son nom.