Quand Modiano fait du Modiano… Un (léger) sentiment de pastiche se dégage de ce roman de Patrick Modiano, qui n’est peut-être pas son meilleur. Bah oui, ca existe les déceptions même avec un prix Nobel.
Mais un roman de Modiano moyen vaut déjà mieux que beaucoup de ses contemporains au meilleur de leur forme. Ne boudons donc pas notre plaisir.
Après la parution de son superbe Un pedigree, dans une veine autobiographique, les lecteurs de Modiano se demandaient ce qu’il allait pouvoir écrire, tant ce livre semblait conclure un cycle et éclairer d’une lumière nouvelle tous ses romans écrits jusqu’alors. Bonne nouvelle pour les fans : son nouveau roman ressemble aux précédents.
L’histoire tourne autour d’un café de la rive gauche, à Paris : le Condé. Le temps du récit ? Le passé recomposé, ce temps qui semble avoir été inventé par l’auteur. L’histoire ? Une enquête sur le personnage de Louki, des clients qui se souviennent… Pas de doute, on est chez Modiano : “L’un des membres du groupe, Bowing, celui que nous appelions “le Capitaine”, s’était lancé dans une entreprise que les autres avaient approuvée. Il notait depuis bientôt trois ans les noms des clients du Condé, au fur et à mesure de leur arrivée, avec, chaque fois, la date et l’heure exacte.” (page 18)
Une phrase illustre bien ce style si particulier à l’auteur : “Le brun à veste de daim s’est perdu pour toujours dans les rues de Paris, et Bowing n’a pu que fixer son ombre quelques secondes.” (page 22)
La géographie des lieux fait toujours l’objet de toute l’attention de Patrick Modiano. Par contraste, ses personnages semblent errer à regret : “Dans cette vie qui vous apparaît quelquefois comme un grand terrain vague sans poteau indicateur, au milieu de toutes les lignes de fuite et les horizons perdus, on aimerait trouver des points de repère, dresser une sorte de cadastre pour n’avoir plus l’impression de naviguer au hasard.” (page 50)
Alors, un Modiano comme les autres ? Pas tout à fait. Le trait y est sensiblement plus appuyé que dans tous ses romans antérieurs, et il finit par être trop appuyé. D’où l’impression de pastiche évoquée plus haut. C’est comme si, là où naguère il aurait cité deux ou trois noms de lieu, il en citait dix pour bien enfoncer le clou. Veut-il nous prouver que sa reconstitution historique tient la route ?
Même l’histoire aboutit à une chute bien lourde, bien nette, sans ambiguïté sur le destin de Louki, tandis que le charme habituel des romans de Modiano est précisément de se perdre sans s’achever complètement, dans des incertitudes grises, des peut-être qui laissent toute sa place au songe.
Le titre annonce déjà la surcharge. Comparez Dans le café de la jeunesse perdue à Villa triste, Dimanches d’août ou La place de l’étoile… Le trait est nettement plus gras : Oyez, oyez ! Amoureux de la nostalgie, des bitter-sweet symphonies, je vais vous mettre le vague à l’âme. Bref, on a l’impression que l’équilibre si subtil de l’œuvre de Modiano est ici rompu. Momentanément, espérons-le.