C’est curieux la vie, oui, curieux, ces entrechoquements de fictions et de réels, quand en 24h, dans un même écran de salon, se rejoignent, s’embrasseraient presque du bout des lèvres avec le venin lipstick de la destinée, des faits narrés dans une série made in US, « American Crime » (saison 2), forte, glaçante, imprégnée évidemment de vies sombres quotidiennes noyées dans le fait divers autour d’un personnage de 17 ans nommé Taylor, et la claque violente de voir aux infos, tard dans la nuit, l’histoire de Julie, une jeune femme, ado, à la vie il n’y a pas si longtemps paisible comme celle que l’on peut vivre à 15 ans dans ma Normandie natale, qui bascule, avec pour source des faits analogues ou presque.
Aux détours d’un zapping sur les séries US importées quasi en temps réel par Canal+, j’ai récemment dévoré de mes yeux la saison 2 d’American Crime. Un peu à l’image d’un The Shield ou encore d’un True Detective, American Crime transpire avec justesse les destins dramatiques de braves âmes américaines, loin des images clichés à base de god bless you, de NBA, de Superbowl ou de ce taré de Trump, et dépeint sans concessions l’Amérique en son cœur à base de lutte des classes encore prégnante, où se côtoient, dans une même ville, ici Indianapolis, les réussites superbes de familles parties de rien, comme le quotidien pourri ce celles dont les mères de famille, célibataires, enchainent deux trois boulots pour essayer de survivre, et se saignent jour après jour dans leur banlieue dark en espérant, secrètement, que leurs progénitures auront une existence moins grise que la leur.
Dans cette nouvelle saison, l’histoire raconte la spirale infernale du jeune Taylor, 17 ans, dont la mère, simple serveuse dans un resto de routier de périphérie, a tout fait pour qu’il intègre le lycée haut de gamme du patelin, mais qui, une fois entré, et cachant à tous son évidente homosexualité, va se retrouver, à l’occasion d’une soirée de petits bourgeois dépravés, violé, drogué et humilié, le tout allégrement diffusé sur les réseaux sociaux en direct live ou presque, et, après des semaines de lutte, va sombrer dans une révolte proche d’un Colombine bis, et venir confirmer les fissures irréparables de son destin.
Monde moderne, puissance de la rumeur et pouvoir incontrôlable du qu’en dira-t-on 3.0, la violence de l’image, des vies bousillées en 2 tweets, en 1 photo sur Facebook, en 1 post de 10 secondes sur Snapchat, American Crime, au-delà de pointer du doigt les inégalités patentes et persistantes, de cette belle Amérique made in Obama, pourtant, vous la met en pleine gueule, vous, spectateur, père-mère de famille d’ados du même âge ou presque. Violent.
Une descente aux enfers, après être devenu en un clic la risée, que dis-je, la proie, souvent dénudée par mégarde, en 5 minutes « d’absence » un soir de cuite, de centaines, que dis-je, de milliers, d’anciens « amis » likers tendance mais aussi et surtout d’anonymes assoiffés de destins à lyncher en commentaires digitaux, tellement facile bien planqué derrière son écran, c’est l’histoire de Julie ; jeune lexovienne de 15 ans qui, après s’être rendue coupable, à son insu, d’avoir déviée de la ligne droite un soir de fête, s’est retrouvée prise dans la horde numérique précédemment citée.
Les jours sont passés, l’acharnement s’est amplifié, la violence s’est décuplée, la petitesse de l’esprit humain, si vénal, si venimeux, d’ados, d’adultes, de pervers, de fumiers, de vies étroites dégueulasses quand il s’agit de cracher baver fusiller une nana frêle dans sa tronche, s’est multipliée ; Julie n’a rien dit à sa mère ; Julie n’a rien dit à ses amis ; Julie en a pris plein la gueule ; Julie en a pris plein son corps ; Julie a dû passer des nuits à se demander si tout ça allait s’arrêter ; Julie a dû penser que ça ne s’arrêterait jamais ; alors Julie n’a pas voulu, à la différence de Taylor, se venger, pas la force, pas la haine, plus assez de rages, trop fissurée dans sa chair et dans sa tronche ; alors Julie, le 3 mars dernier, s’est jetée sous un TER normand, pour que tout cela s’arrête, et ça s’est arrêté, de fait, sous ce train ; mais sûr que bien planqués certains connards à l’origine de ce drame la traite encore de petite salope ; pauvres cons.
Forcément, quand la fiction et le réel, oui, s’entrechoquent, te brutalisent, t’ouvrent les yeux, t’alertent, te prennent, te secouent, te violentent, que par symétrie, tu penses à ta fille, ton fils, ton neveu, ta nièce, ceux des autres ; pour expurger, pour évacuer, pour appuyer un peu, beaucoup, sur les tempes de quelques lecteurs ou suiveurs, pour jeter quelques balises, au milieu du bordel digitalo-mégalo-numérique…t’écris.
Voilà qui est chose faite, je t’embrasse, bien fort, Julie.