Dans la Lousiane des années 40, un braquage minable d’une épicerie tourne mal : quelques morts et un gamin qui se retrouve condamné pour avoir été présent sur les lieux du crime. Etait-il simple spectateur ou participant actif à la rapine ? Toujours est-il que ce jeune homme, un (sale) nègre pour les uns, un frère pour les autres, sera investi par son peuple de la mission de montrer aux blancs qu’il est bien un Homme.
Car son avocat (blanc, faut-il le préciser ?) ne trouvera rien d’autre à dire que :
« Soyez cléments, messieurs. (…) Quelle justice y aurait-il à prendre sa vie ? Quelle justice, messieurs, autant placer un porc sur la chaise électrique ».
Ce n’est bien sûr pas la clémence qui sera au rendez-vous pour Jefferson, mais la peine capitale (le jury est blanc) ; or, la comparaison utilisée par l’avocat n’aura de cesse de hanter non seulement le jeune homme mais surtout sa tante, qui l’a élevé et qui n’accepte pas que son « fils » soit à ce point rabaissé. Elle se mettra donc en tête de faire de lui un Homme par l’intermédiaire du pasteur (chargé de son âme) et de Grant Wiggins l’instituteur (chargé de son éducation).
Cet instituteur – le narrateur du roman – n’accepte sa mission que de mauvaise grâce, pour faire plaisir à sa tante et surtout à la femme de sa vie. Il rechigne et traîne les pieds car il ressent une contradiction à prétendre faire de quelqu’un un homme quand il ne se considère lui-même que comme un lâche, un semi-esclave.
Il faut dire que la condition des noirs n’a pas évolué depuis leur affranchissement : les blancs – par le biais de brimades et d’attitudes dédaigneuses répétées – leur montrent quotidiennement qu’ils se sentent supérieurs à eux.
Wiggins parviendra-t-il à faire mieux avec Jefferson qu’avec ses élèves pour qui il ne peut pas grand-chose, confronté qu’il est à une année scolaire réduite en raison des travaux aux champs (3 mois de moins que pour les blancs), à une classe surchargée et à des moyens cruellement insuffisants ?
« Je confiais à trois de mes grands élèves la tâche d’enseigner aux petits du cours préparatoire et du cours élémentaire, et je me chargeais du cours moyen. C’était la seule façon de faire la classe à tous les enfants tous les jours. Je consacrais les deux dernières heures de l’après-midi aux deux classes supérieures ».
Wiggins est tiraillé entre son envie de fuir, de partir loin de cet héritage funeste, de sa condition servile, et son désir de changer les choses, de lutter. Il a peur d’agir, peur de l’échec qu’on lui destine depuis qu’il est tout petit.
« C’était lui, Matthew Antoine, l’instituteur de l’époque, qui (…) nous avait prédit alors que la plupart d’entre nous mourraient de mort violente, et que les autres seraient ramenés au niveau de bêtes ».
Ce livre simple et touchant nous montrera ce combat de Wiggins contre lui-même, son instituteur, l’avocat ou encore le shérif et finalement contre un Jefferson qui a fini par croire qu’il ne vaut pas mieux qu’un cochon.