Après Le Metope del Partenone présenté à la Villette pour le Festival d’Automne dans une synchronicité terrifiante post-attentats parisiens, Castellucci a décidé de ne présenter au T2G que le premier tableau de son projet ETHICA inspiré de l’Ethique de Spinoza.
» J’ai senti que trop de spectacles ont été montrés, représentés, et que la quantité en était accablante. Je pense que le public parisien a vu suffisamment de mes spectacles. […] »
Il est en effet important de réfléchir à inscrire le travail de Castellucci, entamé depuis la fin des années 1980, dans une perspective historique, dans l’évolution d’une société post-moderne accidentée par l’effacement du Sacré.
« Revenir à la Tragédie » était l’objet du Portrait que lui a consacré sur deux années le Festival d’Automne. Revenir au Sacré, à la pensée du Religieux, pourrait être une autre manière de retracer le fil des projets de Castellucci.
Artiste résistant à la catégorisation – plasticien au théâtre, performer, philosophe..- ce qu’il offre de façon unique, exigeante et géniale est la projection sur le dispositif théâtral de tous ces divers champs sémantiques.
Aussi son travail ne peut-il que dérouter, tout comme le Nouveau Roman stupéfia ses premiers lecteurs.
Si Castellucci propose un laboratoire de la Chose Tragique, il reste au plus près de l’esprit des Tragiques antiques: la recherche de la catharsis, la purgation des passions et l’élévation de l’âme.
On sort toujours d’une de ses pièces avec le ressenti des effets d’une tache intellectuelle importante, il ne s’agit pas là d’un théâtre vain.
Natura e Origine della Mente est une variation sur le livre 2 de Spinoza » De la nature et de l’origine de l’âme ». Quand le livre 1 traitait De Dieu, il est question dans cette partie de l’Ethique, de l’intrication humaine de l’esprit et du corps; sa conclusion traite de l’intellect et la volonté.
Castellucci projette ce questionnement sur le lieu du Théâtre.
Il y a la Lumière, interprétée par une femme suspendue par un doigt à un câble, qui se distend et se tend à mesure qu’elle s’approche du sol avant de remonter et disparaître à nouveau dans les hauteurs; la Caméra incarnée par un chien qui miaule et parle; et l’Esprit, personnage protéiforme.
Ces trois entités, se substituant peut-être aux catégories Spinozistes de la perception, l’imagination et la connaissance débattent de l’intérêt de chacune, de l’Être et de l’Avoir, de leur interdépendance tragique finalement.
Le spectateur a laissé derrière lui le confort des fauteuils, a traversé la frontière de la scène et est entré dans un espace autre. Sorte de redite du mythe de la Caverne, les spectateurs observent par un orifice ouvert vers un ailleurs qu’on ne peut qu’entrevoir, un étrange défilé de créatures, incarnations de la voix de l’Esprit.
De cette ouverture en forme de silhouette féminine, au centre du périmètre blanc (métaphore de la Tabula Rasa ou lieu en négatif) où déambulent les spectateurs encombrés de leur corps, sortira la sombre résolution au morcèlement des trois personnages.
Il est toujours question dans les mises en scène de Castellucci de redéfinition lucide de la topographie du théâtre: voiles, vitres, rideaux, fumées, circonscrivent cette limite dedans-dehors, scène/hors-scène que Castellucci franchit toujours…
A la fin du livre 2, Spinoza confronte Vérité et Erreur; on découvre en miroir le questionnement de Romeo Castellucci au sujet du Vrai et du Faux du Théâtre.
Qu’en est-il lorsqu’on distille cette question dans un espace performatif minimal, où ne reste qu’un cadre physique, de la lumière et du son; que reste-t-il de la représentation quand la lumière déserte l’image et que les mots ne rencontrent nulle surface d’inscription..?
Car en effet la matière même du texte est si inaccessible, proche de la langue du rêve, qu’elle s’efface de la mémoire aussi tôt dite.
On percevait cette même désertification du langage dans le Metope del Partenone, accentuée par le temps de traduction nécessaire de l’italien au français, qui fait que l’on sort de ces pièces un peu vide de mots, imprégné plutôt de ressentis ambigus.
Si l’on peut regretter que ce tableau d’ETHICA soit un peu elliptique, abscons, allégorique, il poursuit la recherche passionnante que Castellucci nous invite à partager: pourquoi le Théâtre dans la Réalité, qu’allons-nous y voir que la plupart du temps on ne veut pas voir ailleurs..?
Ses œuvres lèvent peu à peu notre aveuglement, tout comme, doucement, on réveillerait un somnambule.
Du 7 au 13 Mars 2016
Durée : 1h environ
spectacle en italien surtitré en français