Présenter du Flamenco sur une scène de l’envergure du théâtre de la Ville est une gageure.
Cette musique, cette danse sont d’ordinaire réservés aux bastringues tout comme le Rebetiko grec, ce qui permet dans ce confinement infiltré d’ivresse d’observer une montée en puissance du spectacle et son public, jusqu’à la transe.
Israel Galván est pourtant un expert en la matière. Justement, ce coup-de-Maître-là dérange…
Ouvrant la pièce en tablier, c’est bien un cuisinier du style flamenco qui ironise devant nous.
Mélangeant tout dans son chaudron, mots, pied en plâtre, coups de talons, de hanches et autres claquements de doigts, Israel Galván sidère son public qui, décontenancé, réagit en public de cirque et multiplie les applaudissements inopportuns.
A force de morceaux de bravoure face à ses complices musiciens merveilleux mais semblant suivre sans bien comprendre, la monstration continue: danse dans le noir, bruits de l’intérieur du corps, variation des sols et effets de résonances, jeux de percussions… Et toujours, la vitesse harassante des pieds du génie qui inventa le solo flamenco masculin.
On retient quelques fulgurances: un tableau de silence en clair-obscur (interrompu par le public), une séquence très gitane de pas sur un tapis de piécettes, le poème chanté hommage aux toreros, une de ses belles obsessions…
Mais, celui que Georges Didi Huberman a nommé Danseur des solitudes a été plus poétique, plus narratif aussi.
Peut-être est-ce comparable à l’évolution d’un mathématicien de haut vol; de plus en plus abstrait, il en perd un peu le sens, les liens et aussi la douceur des métaphores.
Ces exercices de style trop littéraux le révèlent en tant qu’il est d’avantage dans FLA-CO-MEN musicien expérimental; alors que la nostalgie pour le danseur tout en retenue laisse une ombre sur scène.
Ce qui existe de plus remarquable chez Galván se traduit dans les manifestations les plus simples: la façon dont il casse son poignet à angle droit sur des doigts fermés, corps de profil; les postures que lui seul a inventé et qui ont ouvert des ponts imaginaires infinis.
Exégète de l’histoire des danses, sa silhouette raconte tout ce qu’il a intégré: torero aux profils d’égyptien, guerrier ninja toujours en noir, surréaliste qui met les objets sans queue ni tête…
Il est si puissant de constater combien sa danse a creusé l’enveloppe de son corps; ayant perdu beaucoup de poids il y a quelques années, il ne lui reste plus que son instrument de travail, au plus nu. On distingue, lors de la pantomime du salut final, les bandes de contention sur ses mollets et cuisses; Galvan au corps rendu machine…
On pourra penser à Joseph Nadj face à cette tentative de dialogue ultra contemporain entre corporéité dans la danse, musique et espace scénique. Nadj y réussit beaucoup mieux, mais Joseph Nadj a depuis longtemps renoncé à être un danseur.
Souhaitons qu’Israel Galvan ne perde jamais sa danse, et qu’il nous emmène encore longtemps à travers solitudes, sonorités et silences.
Du 3 au 11 Février 2016
Théâtre de la Ville