Du 24 au 29 mars, le Théâtre de la Ville invite le plasticien allemand Va Wölfl et sa compagnie Neuer Tanz pour cette nouvelle création. Absolument bouleversante.
Le parcours et le travail de Va Wölfl sont tout à fait uniques et saisissants. Après avoir commencé ses recherches plastiques en tant que peintre (élève d’Oskar Kokoschka) et être ensuite passé à la photo, l’artiste base aujourd’hui ses créations sur la mise en scène de danseurs, sur des scénographies à la fois froides et accueillantes, sur une alternance maîtrisée et impressionnante de sons doux et violents, sur une forte théâtralité qui travaille la scène dans ses trois dimensions.
Dans cette dernière chorégraphie présentée pour la première fois au Théâtre de la Ville, Va Wölfl réfléchit sur la violence du quotidien dans un espace semi vide dans lequel les danseurs, en habits d’employés, chantent, bougent, effectuent des mouvements de danse classique… et gardent toujours dans leurs mains des pistolets. La violence commence là, par cet objet omniprésent, qui plonge les spectateurs dans un état de trouble permanent. Les actions de danseurs surprennent tout au long de la création bien que tout geste soit travaillé dans la durée et la répétition. Une réflexion – explicitée également par les paroles d’un des danseurs – sur l’agression envers les spectateurs et sur l’ennui, ainsi que sur l’attente d’un aboutissement qui n’arrive jamais. Va Wölfl interroge ainsi le sens à donner à un spectacle – et le sens d’aller le voir. Toute référence, tout point d’appui est mis à mal.
Le spectateur se retrouve désorienté dès le début : dans son impatience avant que le spectacle ne commence, dans son attente que les gestes des danseurs acquièrent un sens ou qu’ils évoluent, dans le choc des lumières et des sons, dans une conclusion qui n’en est pas une. Le spectateur ne cesse jamais d’être conscient de sa place… de cette place bien bizarre dans une salle où entre les fauteuils ont été disposés des arbres qui empêchent une vue dégagée de la scène et qui créent une relation tout à fait particulière avec elle.
« Ich sah » se révèle une création à la fois gênante et enthousiasmante grâce à sa capacité de remettre en question tous les automatismes de protections et de compréhension des habitués des spectacles, et plus en général des passionnés d’art. Où placer le plaisir de la fréquentation de l’art ? Jusqu’où accepter d’être bouleversé, de ne pas comprendre le sens de ce qui se passe sur scène, de perdre tout repère en tant que spectateur ?
Va Wölfl met à l’épreuve son public avec humour et brutalité et réussit tout à fait dans son but.
http://www.theatredelaville-paris.com/
Gloria Morano
© Etat-critique.com – 31/03/2011