– » Il est si beau Pippo! »
– » Beau? Mais tu plaisantes, il est monstrueux »
– » Quand il danse Pippo, il est magnifique »…
Autour de moi plusieurs italiennes conversent tantôt en français, tantôt en italien et parlent de « Pippo » et « Bobo » comme de personnages familiers, de presque proches.
Après avoir été dans le public lui-même pour de précédentes pièces (La Menzogna, Dopo la Battaglia…), nous parlant au micro, allant jusqu’à photographier les spectateurs réticents quittant le théâtre, Pippo Delbono a bel et bien requestionné la « distance juste » entre scène et parterre; et probablement à travers cette recherche, sa propre place dans le Socius, au théâtre ou dans le politique.
On aime ou on déteste son théâtre, parce qu’on ne peut pas y échapper par l’ennui, les bâillements assoupis ou la distraction; on est toujours empoigné dans ses visions, martelé par ses mots: Pippo Delbono est notre démiurge.
Il déborde ou oscille sur les limites: ne pouvant être un metteur en scène de la coulisse, il est également l’un des acteurs, l’acteur principal dont chaque membre de sa compagnie est un prolongement. Et dans cette compagnie, une association, de rencontres en rencontres, de « clochards célestes » selon Kérouac, de ceux qu’on considère hors-norme comme Bobo, acteur souffrant de micro-céphalie sorti de l’hôpital psychiatrique par Delbono après 47 ans d’enfermement…
Freak show pour certains détracteurs, il s’agirait plutôt d’une « Nef des fous » anti-régime foucalien: Pippo Delbono veut faire voir au théâtre ce que la Vérité terrible a de sublime. La mise en scène demeure, l’embellissement par la dissimulation quant à lui, est bani, tout comme la hiérarchie des hommes.
Il Sangue fait apparaître néanmoins une figure tyrannique: celle d’Oedipe aux yeux percés, qui n’est plus ni fils ni père, hors lignée; figure du Monstre, de Pippo Delbono lui-même, que tous ses personnages prolongent.
Il est passé sur Scène où il présente toujours une narration par associations libres; où il glisse des images chocs, références à l’exil, aux Brigades Rouges… et utilise cette fois un médiateur musical.
L’italien est consacré comme Langue du théâtre, Pippo Delbono « slame » son texte auprès de la chanteuse Petra Magoni (il envisageait une collaboration avec Laurie Anderson), qui plane quelque part entre Rock et chant lyrique expérimental.
Et de la musique, vient la danse. Depuis quelques pièces se produit ce moment magique où Pippo Delbono danse, les bras devenus des ailes d’oiseaux, son visage celui d’un enfant extatique; et c’est très beau, cela ne ressemble à rien d’autre.
On retiendra une autre confidence glissée dans les mailles du texte: « Lou Reed avant qu’il meure, il avait les yeux énormes comme un enfant; comme ma mère, avant qu’elle meure, elle savait rien de la mort »; Pippo Delbono évoque cet état extatique avant la fin, la joie des mourants.
Il en va ainsi du théâtre de Pippo Delbono, quelle qu’en soit la forme, informe, déformée; il est un théâtre pour faire surgir la Joie des mourants, frénésie d’être encore en vie.
du 29 mars au 2 avril 2016
au Théâtre des Bouffes du Nord
l Sangue, 30 et 31 mars, dans Adesso Voglio Musica e basta (trois spectacles de Pippo Delbono)