Un spectacle en japonais surtitré en français, interprété par la troupe du Théâtre de Shizuoka, mis en scène par Claude Régy, en ce moment et jusqu’au 27 septembre à la Maison de la Culture du Japon à Paris.
Un soir, quelque part à la campagne, à une époque indéterminée, un groupe de personnes approche une maison éclairée de l’intérieur. Ils sont porteurs d’une triste, d’une effroyable nouvelle: on vient de retrouver une des jeunes filles de la maison, morte, noyée. Ils approchent et hésitent sur le pas de la porte: ils ont peur de le dire. Mais ce qui les retient aussi, c’est la curiosité de cet étrange moment: eux qui savent, les « conscients » du drame, observent longuement la vie innocente, « inconsciente » du père, de la mère, du jeune enfant qui dort, et des deux autres jeunes filles de la maison.
« Les deux sœurs ont tressailli (…) j’ai vu leurs cheveux trembler (…) La mère regarde dans le vide (…) Ils ont levé les yeux et cependant ils ne peuvent rien voir (…) » Est-ce-que ceux qui ont un temps d’avance transposent leur effroi sur ceux qui sont observés? Ou est-ce que, quand on est à l’intérieur, on a l’intuition des événements importants qui agitent l’extérieur? Quand on tourne son regard vers l’intérieur (comme dans la méditation par l’exemple) on sent d’une manière subtile les choses (les événements, les émotions d’autrui…). De même, à l’intérieur d’une cellule familiale, on transmet ses émotions sans les exprimer. Il y a comme une porosité entre soi et les autres, entre soi et le monde, entre l’intérieur et l’extérieur, entre le conscient et l’inconscient. « On ne sait pas jusqu’où s’étend l’âme des hommes. »
Comme on le voit, cette pièce de théâtre « symboliste » de 1894 (antérieure à Freud) offre de nombreux niveaux de lecture.
Ici, le texte a été épuré à l’extrême et les surtitres français ne traduisent que l’essentiel de cette épure. Il n’y ni décor, ni accessoire, ni aucun élément de contexte qui nous raccrocherait à du « connu ». La frontière entre l’intérieur de la maison et l’extérieur est dessinée par la lumière: une lumière généralement diffuse, parfois bleutée dans le fond de scène (où est située la maison) et rose à l’avant-scène (où se situe le jardin), parfois plus franche d’un côté ou de l’autre de cette frontière impalpable.
Il faut ajouter que seuls les personnages extérieurs parlent; ceux à l’intérieur se contentent de déambuler dans la maison avec une lenteur – une grâce – extrême.
Au sol, du sable blanc. Ajoutez à cela une diction exagérément ralentie et chantante.
Nous, spectateurs, vivons une expérience unique: nous observons des personnages observer d’autres personnages, dans un monde inconnu. Seul le cœur du drame nous est intelligible – et reste cependant incommunicable.
Un spectacle, une expérience étonnante, qu’il faut saluer comme une belle œuvre conjointe de Claude Régy et des comédiens de la troupe du Théâtre de Shizuoka.
Jusqu’au 27 septembre 2014
Maison de la Culture du Japon à Paris
Texte : Maurice Maeterlinck
Mise en scène : Claude Régy
Production : Shizuoka Performing Arts Center ; Les Ateliers Contemporains