Le pouvoir isole
Voilà un spectacle bien rodé, joué par une troupe investie, passionnée et qui emporte le spectateur dans les méandres des souvenir et les turpitudes de la vie et du règne d’un roi méconnu, trop peu mentionné et qui aura pourtant fait pour la France plus que bien d’autre.
C’est sur le modèle de la « focalisation interne » qu’on découvre un homme au soir de sa vie, courbé par le poids des années et du devoir d’un rôle auquel il n’était nullement prédisposé mais qu’il acceptera tout de même de remplir… avec un brio qui échappera à beaucoup de ses successeurs pourtant davantage présents dans les mémoires et les livres d’histoire.
– ( CQFD !? ) je pourrais me lancer dans un truc sur la partialité et le manque d’objectivité de ceux qui sont responsables des programmes et manuels scolaires, mais cela n’a sans doute pas sa place ici –
Un peu suivant les traces de Marguerite Yourcenar dans ses « mémoires d’ Adrien » , Charles VII « le victorieux, le Bien Servi » raconte – comme Adrien quelque douze siècles plus tôt – ce qui l’a mené à devenir ce qu’il était destiné à devenir : un grand monarque. Mais à quel prix ?
À la fois acteurs, spectateurs et narrateurs, Adrien et Charles VII posent tous deux un regard calme et lucide sur la période historique durant laquelle ils ont eu la charge du pouvoir.
Éclairant sur sa vision psychologique, sur la noirceur de l’âme humaine, évoquant les différents acteurs ayant participé à la création de l’empire qu’il laissera à son successeur – un empire territorialement étendu mais politiquement affaibli – on découvre comment il se résigne petit-à-petit à être seul. Le pouvoir isole plus que nul autre devoir. Adrien se livre à son scribe. Il lui raconte avoir perdu son « mignon », son amant, après neuf années de partage, d’amour et de confiance. Avec lui il avait découvert qu’à certain moments l’âme humaine peut être belle et magnifique. Dévasté par cette perte il y laissera un grande partie ce qu’il gardait comme capacité à voir le beau et à rêver.
On peut voir ici un parallèle avec ce qu’Alain Péron, l’auteur de la pièce, met en perspective au travers du décès de la Dame de Beauté, Agnès Sorel, morte en couches pour le plus grand désespoir du roi.
Passionné de lecture et de culture, Charles VII aurait sans doute préféré, s’il avait eu le choix, la vie d’un érudit à celle d’un roi guerrier au règne marqué par la guerre de cent ans et les instabilités politiques. Charles VII apportera de la cohérence à son royaume et veillera à la construction d’un pouvoir stable et ferme, souvent au détriment de ce qui lui aurait rendu la vie tolérable. Ainsi, il devra mettre de côté la sérénité, l’amour et l’amitié.
« Un roi n’a pas d’amis »
La scène s’ouvre sur un décor où le metteur en scène – Rémi Mazuel, qui est aussi acteur dans la pièce – met habilement l’accent sur le noir. Il fait le choix de l’obscurité. Peut-être pour illustrer l’état d’esprit que l’on peut avoir lorsque l’on pose un regard sobre et objectif sur quarante ans d’un règne qui aura laissé nombre de cicatrices ? mais d’où la France sortira grandie, plus épanouie. Ou plus simplement lorsque l’on décide de s’observer en conscience ; certainement ce qu’il y a de plus compliqué et douloureux quand on le fait complètement, entièrement.
C’est sans doute ce qui importait le plus à Charles VII : la France qu’il laisserait derrière lui. On se rassure comme on peut… Le reste lui demeurait inaccessible, interdit.
La fin approche, il le sait. C’est à l’émissaire envoyé par son fils, le futur roi Louis XI, qu’il raconte les épisodes les plus marquants de son règne.
On retrouvera dans les différentes portails ouverts son loyal Tanguy du Chastel (lui-même tel qu’il fut et deviendra), Jeanne (qui brûlera, abandonnée par les siens aux anglais en 1431) ou encore Agnès Sorel, son lumineux amour (c’est d’ailleurs sa robe flamboyante qui, avec la longue cape blanche irradiante de Tanguy, apporte les seules notes de couleur et de lumière sur scène). L’amour et l’amitié. (« un roi n’a pas d’ami ») lui seront enlevés. L’obscurité continue de prévaloir – Jacques Cœur le financier aux idées brillantes, Yolande d’Aragon belle-mère retorse et compliquée.
Ce qu’il y a de merveilleux, c’est que les comédiens – par l’harmonie de leur entente et leur façon d’habiter les personnages qu’ils incarnent – apportent la touche de lumière manquant volontairement au décor. Cohérence et cohésion sont les mots d’ordre au sein de cette troupe qui évolue – en symbiose et avec rythme – au travers différents tableaux brossés qui s’enchaînent parfaitement dans une pièce ou le texte, la mise en scène, l’enjeu de la compréhension de l’époque et du message sont parfaitement compris et interprétés par des acteurs qui nous font passer un délicieux moment. Enrichissante et captivante, c’est une pièce à aller voir, à faire découvrir et dont il serait bon de parler. Elle fait réfléchir, non seulement d’un point de vue historique (mais aussi et surtout sociologique et psychologique), sur la nature profonde de l’Homme et la solitude qui l’accompagne tout au long de sa vie, et ce quelle qu’en soit l’ampleur ou la magnificence.
Du plus illustre empereur au plus anonyme des êtres humains, quand vient la fin… on se retrouve seul et avec le temps va, tout s’en va… Alors vraiment…
Jusqu’au 26 juin 2022
Théâtre de la Contrescarpe
de 11 à 32€