Art-scène, Spectacle comique, Théâtre

J’habite ici – Jean-Michel RIBES – Théâtre du Rond-Point

Rire de tout pour ne pas en pleurer !

Deux façades d’immeubles mobiles qui pivotent pour dévoiler un balcon et structurer l’espace, tantôt côté cour, tantôt côté jardin. Des costumes aux couleurs franches. Des scènes de la vie quotidienne en format court. Des comédiens charismatiques pour des personnages hauts en couleur. Des répliques taillées à la serpe glissant sur les montagnes russes de l’humour. Une mise en scène rythmée. Des éclairages qui mettent en relief une scénographie tonique. Et vous retrouvez un Jean-Michel Ribes décapant, qui se joue des bien-pensants et du conformisme ennuyeux ambiant.

Les « talibans de la morale » et de la pensée propre n’ont qu’à bien se tenir. Au travers d’un texte qui s’en prend directement aux extrémistes et aux hygiénistes de la pensée, les vegans sectaires, les écolos de tout bord, les « vieux cons » racistes, la grande bourgeoisie déconnectée du réel, les bureaucrates ambitieux, les critiques de théâtre ampoulés, en auront pour leur grade ! Les amateurs de Ribes retrouveront une plume irrévérencieuse à l’égard de l’aristocratie de surface et des précieuses ridicules contemporaines. Une satire en bonne et due forme de notre temps.

D’une drôlerie remarquable, Olivier Broche joue un André Martineau bureaucrate prêt aux pires perversions pour évoluer au sein des ministères dans une absurde histoire d’obéissance hiérarchique tandis que Marie-Christine Ory interprète une caricaturale critique de théâtre – une Proprineau satire d’une Madame Salino du quotidien Le Monde ? – qui ne voit le théâtre que par l’alexandrin au risque de ne plus toucher terre… et de se faire tirer à la carabine par un comédien vengeur.

On rit de ces personnages loufoques, étroits d’esprit, méchants et dangereux. Choquant Pierre Magnan dans un rôle de « vieux con » extrémiste enchaînant les pires stéréotypes racistes. Décalé Romain Cottard, amoureux de la civilisation urbaine, tueur de mésanges, tronçonneur des lilas, militant contre la végétalisation de la ville. Attendrissant Stéphane Soo Mango incarnant un policier homosexuel amoureux du jeune gauchiste manifestant, Jean Joudé. Magistrale Mano Chircen jouant les grandes bourgeoises de droite, si fière désormais que son fils tombe amoureux d’un policier. Horribles Alice de Lencquesaing et Charly Fournier, membres d’un quatuor déambulant d’aristocrates extravagants prêts à brûler un SDF joyeux nommé Napoléon. Le tout orchestré par une chantante Annie Grégorio, concierge et ange-gardienne de l’immeuble à ses heures, prête à agresser le premier plombier venu. Un orchestre déjanté.

J’habite ici dépeint les portraits d’habitants individualistes, marginaux, prêts à aller au bout de leur propre bêtise dans un pays, une ville, un immeuble qui laisse à chacun le loisir d’être ce qu’il est, au risque d’en devenir ridicule. L’hypocrisie du voisin méconnu est ici mise à nue. L’apparent lâcher-prise du texte vient percuter la conscience du spectateur et l’interroge. Aurait-on perdu la liberté de rire de tout ? Jusqu’où sommes-nous capables de rire ? Le rire du spectateur, miroir de nous-même, agit ici comme un principe républicain salvateur et cathartique. Une reprise de pouvoir sur le conformisme individualiste au profit du commun. J’habite ici est un trait d’union, un plaidoyer pour la liberté, un combat satirique pour pouvoir encore rire de tout à défaut d’en pleurer, une résistance nécessaire pour dérouiller et démasquer les zygomatiques !

Courteligne

https://www.theatredurondpoint.fr/index.htm

Du 3 au 17 octobre 2021 à Paris
1er et 2 avril 2022 à Antibes
5 au 8 avril 2022 à Lyon
13 au 16 avril 2022 à Bordeaux
21 avril 2022 à Monaco

De janvier à mars 2023

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