Armé uniquement de son ambition, Robert Lepage propose un voyage initiatique à travers l’histoire du Canada et on le suit, en pirogue même parfois, dans la découverte des hommes et des territoires, des montagnes Rocheuses à la rue Hastings de Vancouver, en passant par le musée des Beaux Arts du Canada (l’occasion de nous en présenter plusieurs chefs-d’œuvre), un centre social, un poste de police, un appartement ou une porcherie de campagne.
Par une orchestration magistrale des comédiens, une multiplication de décors superbement pensés, des changements de scène permanents mais d’une efficacité redoutable, et l’interposition d’écrans et de vidéos, Robert Lepage donne le ton : par le théâtre, on peut tout représenter, tout exprimer et notre capacité créatrice est illimitée. Derrière le soin de représenter la pluralité d’identités, de situations, de points de vue, se dessine le souci de sincérité du metteur en scène. Tel un réalisateur n’ayant de cesse d’élargir le champ, de multiplier les plans et les angles de vues, Robert Lepage use de tous les moyens possibles pour donner à voir et à penser le maximum de l’histoire qu’il dépeint. De leur côté, les 32 (!) comédiens du Théâtre du Soleil démontrent non seulement leur talent à jouer l’autre qu’il soit restaurateur de musée, peintre, comédien, drogué, danseur ou criminel – peu importe pourvu que l’on s’attache à l’observer et à le comprendre – mais aussi leur dévouement total au spectacle en contribuant à chaque fois que l’œuvre en exprime le besoin, notamment lors des changements de scène.
Il faut donc voir Kanata pour ce qu’elle est, et ce qu’elle est au sens le plus majestueux du terme: du Théâtre. Qui veut comprendre ce qu’est la liberté de création, une mise en scène, une scénographie ou une « troupe de comédiens » au sens d’Ariane Mnouchkine, en ressortira éclairé et certainement ébahi. Car dans une œuvre telle que Kanata, c’est avant tout la puissance créatrice et libératrice du théâtre qui est célébrée. Si l’histoire contée inspire tristesse et amertume, c’est qu’elle est celle de crimes récents et de souffrances encore vives. Dans le même temps, devant l’originalité dont fait preuve Robert Lepage dans sa représentation, son soin à multiplier les prismes, sa recherche approfondie des tréfonds des êtres de ses personnages, son art de faire voyager le spectateur et, même dans les situations les plus extrêmes, de créer du beau, bref, devant un telle conjugaison de talents, on rêve que les souffrances cessent et que la réconciliation soit.
Jusqu’au 17 février 2019
Katana, Episode 1 – La Controverse
Au Théâtre du Soleil
Avec le Festival d’Automne à Paris
Mise en scène de Robert Lepage
Avec les comédiens du Théâtre du Soleil