Jean Bellorini nous emporte à travers l’œuvre éternelle de Dostoeiveski: Les Frères Karamazov.
Comme dans “Paroles Gelées”, “Liliom”, “Un fils de notre temps” ou encore “Tempête sous un crane”, Jean Bellorini sait choisir les mots les plus puissants, leur associer de magnifiques ombres et lumières, orchestrer savamment le tout, et ainsi nous atteindre et nous captiver.
Jean Bellorini fait entrer dans l’intimité des personnages grâce à une scénographie particulièrement ingénieuse, faite de cases en verre parfaitement transparentes et de plateaux roulants, qui tels des prismes sensoriels, donnent à voir tout l’éloignement capable de subsister dans une proximité.
Aucun centimètre carré de la scène n’est oublié. Celle-ci est sans cesse renouvelée réinventée et l’on découvre une profondeur inattendue, un angle nouveau. Aucun instant non plus n’est négligé comme si s’imposait une obligation vis à vis du spectateur, de ne jamais le lasser, le décourager, toujours l’émerveiller. Et, chaque seconde témoigne d’une quête inépuisable de beauté et de sensibilité. Une démonstration que ces celles-ci sont partout pour celui qui sait les trouver, les chercher.
Plus qu’un spectacle, “Karamazov” c’est une épopée en huis-clos, l’espace d’une demi-journée (4h20 au total divisées en 4 sous-parties) dans les profondeurs de l’âme, de nos vies, leur poésie et leur beauté. Car on se sent à l’abri dans le théâtre de Bellorini (ici son propre théâtre, le Théâtre Gérard Philippe de Saint Denis) et on se sent aimés. Là tout semble possible, accessible, comme une oeuvre telle que les Frères Karamazov qui aurait pourtant pu nous impressionner par sa taille, sa complexité, mais à laquelle on est surpris d’adhérer aussi rapidement, aussi facilement, tellement l’écriture et la mise en scène se rejoignent dans leur atteinte de la vérité, par principe incontestable.
Qui mieux que les fabuleux comédiens-chanteurs-musiciens de la compagnie Air de lune, tellement beaux dans leur simplicité, leur naturel et leur contemporanéité pour incarner les personnages « Dostoievskiens » ? Tout dans leur jeu jusqu’aux cris, larmes et scènes de folies sonne parfaitement juste et crédible. Ici, pas de recherche de perfection plastique ou de dictions pompeuse, au contraire chacun semble poussé, encouragé, à être lui-même et à se donner entièrement et totalement jusqu’à épuisement physique et moral. Quelle meilleure garantie de toucher le vrai? Les comédiens et musiciens apparaissent tellement proches et accessibles qu’on se surprend à envisager de les rejoindre. Car il ne fait plus de doute qu’on a tous une place sur cette scène, qui n’est autre que le grand théâtre de la vie. Leur jouissance à laisser éclater leur amour, leur rage, leur folie dans un texte aussi puissant, tout en disposant de l’insolente liberté de l’entrecouper d’un petit air d’Adamo, est manifeste, jalousée.
Plus qu’une pièce de théâtre, Karamazov devient un chant international et populaire, où l’humain aussi faible qu’il puisse parfois s’avérer, est fidèlement écouté, pardonné, célébré. A l’image des trois frères Karamazov, de leur père ou des femmes qu’ils ont aimées, on a devant les yeux les infinis facettes de notre espèce, si changeante et si touchante, capable du pire comme du meilleur, s’accommodant tant bien que mal de son besoin de croire et de trouver du sens.
On ressort de Karamazov touchés, presque apaisés, que nos souffrances et nos questionnements soient si largement partagés. On en ressort également élevés, renforcés par cette piqûre de rappel que des oeuvres aussi puissantes soient à notre disposition et puissent encore être si magnifiquement adaptées ; heureux de se dire que des théâtres comme celui de Jean Bellorini existent et ne se découragent pas à offrir encore et toujours des moments de communion et de beauté.
Du 5 au 29 janvier 2017
Au Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis
Lundi, jeudi et vendredi à 19h, samedi à 18h – Dimanche à 15h
Durée 1ère partie: 2h20 / entracte: 15min / 2è partie: 2h
D’après Les Frères Karamazov de Fédor Dostoïevski
Traduction André Markowicz
Adaptation Jean Bellorini et Camille de la Guillonnière
Mise en scène Jean Bellorini