Immersion au cœur d’un monde dans lequel rôde le loup. Entre peur et fascination, les hommes se confient. Rires, émotions et traditions ancestrales.
« Des êtres de Pagnol dans le monde réel avec des répliques d’Audiard » lance à l’avant-première du film le réalisateur. En deux ans de tournage au cœur des coins de France où se divisent les hommes au sujet du loup, Jérôme Ségur a côtoyé des personnages aux caractères bien affirmés.
La gueule du loup rassemble à l’écran des personnes qui ne peuvent pas se voir et encore moins s’écouter. D’une scène à l’autre, la caméra les suit avec finesse. Réunis seulement à l’écran par ce documentaire, on n’est loin du terrain d’entente ou de l’argumentaire préfabriqué. Le réalisateur est parti à leur rencontre en vérité avec une petite équipe pour délier les langues.
Derrière des paysages d’une grande sérénité, les tensions montent. Dans les valons, les flancs de montagne, ces lieux de pâturage des troupeaux de brebis et de chèvres cohabitent difficilement les animaux domestiqués, les animaux sauvages et les hommes.
Sauvage, mystérieux, fascinant, diabolique pour certains, le loup clive les hommes. Il cristallise les peurs, sème la discorde entre éleveurs, paysans, citadins, politiques. Entre celui qui élève ses bêtes toute l’année et assène « je ne nourris pas la faune sauvage», et celui qui veut défendre la place du loup sur terre. Mais bien plus largement les tensions entre le monde de la tradition ancestrale du pastoralisme en proie au danger de prédation du loup et le monde déconnecté du rapport à la terre.
La force du film est d’interroger sans asséner de vérités. Qu’est-ce qui fascine chez cet animal ? Qu’est ce qui provoque son rejet ? Comment être sûrs des dégâts qu’il cause? Peut-on s’en prémunir? Quel rapport entretient l’homme à la nature sauvage en général et à sa propre nature en particulier?
En ne prenant pas parti, le réalisateur évite habilement la polémique en filmant les hommes, leurs émotions, leurs coups de sang. Avec humour et sensibilité, leurs mots font mouche. Vivianne et Jean Loup : un couple à la Pagnol, lui avec son franc parler et son authenticité, elle d’une beauté à la Manon des sources. Manoël, défenseur du loup à en avoir la corde au cou reconnaît : « Le loup, c’est ni Dieu ni maître. Il ne se soumet jamais. Je crois que je lui ressemble un peu. »
Le documentaire laisse le temps de penser. Penser à ce monde en perpétuelle évolution. Penser au lien éleveurs-consommateurs. Penser à ceux qui vivent l’écologie et ceux qui la légifèrent.
En sortant de ce film, vous n’emploierez plus ces expressions au hasard : L’homme est un loup pour l’homme, se jeter dans la gueule du loup, avoir une faim de loup, Quand on parle du loup…
Zed – 09 mars 2016 – 1h20