Une fable de solitude, de dernière chance, baignée de mysticisme mais aussi de réalité crue et de peur au ventre. D’épisode en épisode, un sans-abri nous livre son passé peu glorieux, jonché d’erreurs et de malchance et l’on s’attache à son malheureux destin.
Si comme moi, de prime abord vous confondez entre eux les auteurs Philip Roth et Joseph Roth, ce récap’ est pour vous : Joseph Roth est un auteur et journaliste de langue allemande, né à Brody (actuellement en Ukraine) en Autriche-Hongrie en 1894. Son père disparut quand Joseph Roth était encore enfant. Il vécut avec sa mère et quitta sa ville natale pour poursuivre des études littéraires à Vienne. Pendant la première guerre mondiale, il s’engagea mais fut affecté au service de presse de l’armée austro-hongroise. Avec ses camarades il accompagna le cortège funèbre du dernier Empereur austro-hongrois (en 1916). Il chroniqua la chute de l’Empire austro-hongrois dans son œuvre majeure La Marche de Radetzky (1932). Il fut chroniqueur, journaliste et grand reporter pour des journaux de langue allemande, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, et même en Belgique et aux Pays-Bas. Il eut l’occasion de parcourir l’Union soviétique et divers pays du continent européen pour répondre aux commandes des journaux qui l’employaient. En tant que journaliste, il est reconnu comme un fin observateur de la vie politique et sociale de son temps. Le jour où Hitler est nommé chancelier du Reich, Joseph Roth s’exile à Paris et écrit à Stéphane Zweig : « À présent il vous sera évident que nous allons vers de grandes catastrophes. Abstraction faite du privé – notre existence littéraire et matérielle est déjà anéantie – l’ensemble conduit à une nouvelle guerre. Je ne donne pas cher de notre vie. On a réussi à laisser la Barbarie prendre le pouvoir. Ne vous faites pas d’illusions. C’est l’Enfer qui prend le pouvoir. »
Même si, au sujet de sa biographie, Joseph Roth a brouillé les pistes (était-il été communiste, socialiste ou libéral ? Juif ou catholique ? Officier ou simple correspondant de presse ?), le récit La Légende du saint buveur semble s’inspirer directement des dernières années de sa vie, qu’il passe à Paris, exilé, alcoolique, presque sans ressource et malade. Il meurt à Paris en 1939, l’année de parution de La Légende du saint buveur. Il a 44 ans.
Ceci étant dit, on ne fréquente pas le Lucernaire seulement pour découvrir des auteurs (classiques et contemporains), on y va aussi pour partager une expérience de spectacle vivant. Et avec La Légende du saint buveur, on est servi. L’espace scénique est serré et sobre : un petit plateau, un rideau de fond de scène qui suggère un espace à l’arrière, et à l’avant-scène, une table, un tabouret et un fauteuil en bois, au design épuré. Habitant le plateau, vibrant de chaque cellule de son corps, un acteur mûr, que l’on connaît bien au cinéma, qui a vieilli et ne s’en cache pas. Ses traits ont changé, ses cheveux sont grisonnants, il n’est pas à son avantage avec son chapeau mou qui a trop vécu, et son pardessus miteux. Mais quelle présence ! Christophe Malavoy nous émeut puisqu’il enlace ce personnage de looser magnifique avec une tendresse touchante. Il sert son texte avec dextérité et embrasse véritablement le destin de son héros. Il nous étonne avec son choix de chansons qu’il interprète a cappella et ses intermèdes musicaux (lui-même jouant du tuba ténor ou euphonium). Ces intermèdes ponctuent et font respirer le texte mais aussi lui donnent une atmosphère de Paris d’entre-deux-guerres, nostalgique et grave.
Malgré une fin un peu abrupte, ce seul-en-scène captivant est l’occasion d’un très beau moment de théâtre.
* Ouvrages les plus connus de Joseph Roth :
Hôtel Savoy (1924)
La Marche de Radetzky (1932)
La Crypte des capucins (1938)
La Légende du saint buveur (1939)
Jusqu’au 06 novembre 2022
La légende du Saint Buveur, de Joseph Roth
Adaptation, mise en scène et interprétation Christophe Malavoy
Au Lucernaire, Paris 6ème,
Durée 1h15
de 10€ à 28€