Art-scène, Théâtre

La Magie lente, Denis Lachaud, Benoit Giros, Pierre Notte, Théâtre de la Reine Blanche

Situé dans une rue calme proche de la place de la Chapelle, le Théâtre de la Reine Blanche mérite en soi le déplacement: scène des arts et des sciences, sa programmation théâtre met à disposition de tous les publics (jeune, moins jeune, scientifique ou néophyte), des propositions originales autour de sujets de science et de société. Egalement lieu vivant de quartier, le Théâtre organise des événements réguliers: « Des savants sur les planches », « En chair et en textes », « Cinéma et cuisine du monde »…

De quoi se régaler et échanger avec des chercheurs (des sciences et du langage).

Pour la première fois, ce lieu s’intéresse à la psychanalyse et invite l’auteur Denis Lachaud (qui creusait déjà ce sillon avec « Mon mal en patience »).

Au départ, l’auteur souhaite développer le cas de l’erreur de diagnostic en psychanalyse. Il imagine un psychanalyste relatant un tel cas à une assemblée de pairs. C’est le cas Louvier. M. Louvier, 40 ans, marié, deux enfants, ingénieur en informatique, a été diagnostiqué schizophrène par un premier psychiatre, dix ans plus tôt. Il consulte un second psychiatre quand la relation avec le premier se dégrade. Or le second psychiatre – qui relate le cas à ses confrères – a presque immédiatement l’intuition que M. Louvier n’est pas schizophrène. Les « voix » qu’il entend dans le métro bondé aux heures de pointe, qui le menacent (je cite) de l’ « enculer », ne sont pas des hallucinations, mais des pensées repoussantes, surgies de son inconscient malade. La maladie, les symptômes, constituent un langage que le patient et le second psychiatre vont parler, vont traduire à la conscience. Mais si Louvier n’est pas schizophrène, alors qu’il se définit comme tel depuis 10 ans: qui est-il? C’est cette énigme que la relation de soin va chercher à éclaircir. C’est une révélation et une mue qu’on accompagne.

On peut dire qu’il y a une double énigme ou enquête: celle du passé, qu’il faut reconstituer à partir d’indices, reconnaître, raconter alors qu’il est oublié. Et il y a l’énigme de l’identité en chantier. Dans le cas de la première énigme, les mots, leur polysémie et l’équivoque, sont un outil primordial. Comment, pourquoi le thérapeute rebondit sur tel mot, telle expression utilisée par le patient? Est-ce un hasard (parfois le thérapeute ne sait pas ce qu’il fait ni où il va) ou une extrême attention à une première occurrence d’un lieu ou d’une personne (la Normandie, l’oncle et la tante)? Dans le cas de la seconde énigme ou enquête, celle de l’identité en chantier, la mémoire retrouvée est une aide précieuse certes, mais l’expression des désirs, l’expérience tentée ou réitérée, et l’écoute de son ressenti sont des outils aussi puissants que les mots. Ainsi, à l’écoute de son inconscient, M. Louvier tout entier se rebelle, fait des infidélités à sa vie d’avant, malade mais tranquille. Il court le risque de se connaître.

LA MAGIE LENTE est une expression de Freud pour définir la psychanalyse. Ayant tous deux le langage comme outil, on voit bien le rapport entre la psychanalyse et le théâtre. La scène comme le cabinet de consultation, peuvent être le lieu d’une révélation et d’une catharsis. C’est donc doublement émouvant (comme expérience de spectateur) d’accueillir, comme un miroir vivant, les confidences, les coups de gueule, l’humour, l’éveil et la mue d’un personnage, jusqu’à la libération. Ce sont des échantillons d’une psychanalyse qui nous sont livrées, qui tiennent en un texte ciselé, implacable, et un spectacle d’un peu plus d’une heure.
L’espace intimiste de la Reine Blanche convient bien à notre échange pudique (qui rend possible le partage de la violence du sujet). L’acteur Benoit Giros est prodigieusement seul en scène. Il circonscrit le gouffre du traumatisme, saute dedans à pieds joints, nous le restitue. Il passe d’un personnage à l’autre sans perdre le fil de l’émotion (du personnage du psychiatre en situation de conférencier, à Louvier en consultation, au psychiatre en consultation, aux personnages de l’enfance de Louvier: l’oncle, la tante, le père, la mère…).

C’est l’harmonie de ce moment qui nous semble bel et bien magique.

Ne craignez pas les sortilèges, LA MAGIE LENTE lève l’envoûtement!

A voir (très vite) au Théâtre de la Reine Blanche, 2 bis passage Ruelle, 75018 Paris, jusqu’au 23 décembre 2018. Tournée à surveiller…

La Magie lente

de Denis Lachaud, avec Benoit Giros, dans une mise en scène de Pierre Notte, au Théâtre de la Reine Blanche à Paris jusqu’au 23 décembre 2018 (mercredi, vendredi et dimanche à 19h).
www.reineblanche.com et reservation@reineblanche.com 

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