Voilà le prix à payer pour la politique du chiffre : des flics hors de contrôle dévissent et – fort de leur sentiment d’impunité – se comportent comme des malfrats.
Depuis son déclin industriel dans les années 1970, Baltimore n’en finit pas de sombrer et détient le titre de ville la plus violente des États-Unis d’Amérique. C’est dire le niveau de criminalité qui y règne ! Pendant des décennies, on y compte annuellement des centaines de mort par arme à feu.
Bien décidés à mettre fin à cette hécatombe, les politiques locaux décident de s’inspirer de New-York City et de sa tolérance zéro pour les criminels. Une équipe spécialisée dans la traque des armes à feu non déclarées est constituée : la Gun Trace Task Force. Peu importent les méthodes de ces enquêteurs en civil, tant qu’ils font du chiffre. Voilà le crédo. Ils bénéficient d’une confiance absolue de la part des politiques et des magistrats locaux, même si la majeure partie des interpellations ne tiennent pas devant un tribunal et ne débouchent pas sur des condamnations…
Parmi ces flics d’élite, on compte Wayne Jenkins, un ancien Marine qui – bien qu’ayant obtenu un maigre C aux tests psychologiques, est recruté au motif qu’il est poli, ordonné et pugnace ! Et plus il a la main lourde, plus il est apprécié et promu, jusqu’à ce qu’il soit autorisé à recruter lui-mêmes ses hommes.
Pendant des années, Jenkins et sa bande, « un supergang de ripoux » (page 236) vont semer la terreur parmi les dealers de drogue, les arrêtant sous de faux prétextes pour mieux leur voler leur drogue et leur argent. Or comment un délinquant pourrait-il se plaindre du comportement de la police ? Qui le prendrait au sérieux?
L’impunité des flics est telle qu’ils ne sont pas sanctionnés après que la police de Baltimore a été condamnée par leur faute à verser 700 000$ à un plaignant à qui ils avaient littéralement cassé la gueule au cours de son interpellation ! Quand 46 personnes reprochent à un flic d’être violent, c’est vu comme de la calomnie pure et simple (page 149). Quand un type tombe dans le coma après avoir été interpelé, et qu’il finit par mourir, les flics écrivent dans leur rapport son arrestation s’est « effectuée sans incident » (page 106).
Ce ne sont là que quelques exemples des comportements inadaptés et des bavures décrits par l’auteur sur 480 pages !
Jenkins est vu par ses collègues et supérieurs hiérarchiques comme un superflic. Pourtant, les chiffres auraient dû parler d’eux-mêmes : « le BPD effectuait près de 44% de ses arrestations dans deux petits districts, à prédominance afro-américaine, lesquels n’abritaient que 11% de la population de la ville. (…) Un noir d’une cinquantaine d’années avait ainsi été arrêté 33 fois en moins de quatre ans – sans qu’aucune de ces arrestations débouche sur un PV ou une inculpation. » (page 267)
Les faits décrits par Justin Fenton – reporter chargé des affaires criminelles au Baltimore Sun – sont ahurissants. L’enquête est presque trop fouillée pour se lire comme un roman. D’ailleurs, on aurait préféré que cela soit de la fiction !
Paru le 16 mars 2023
chez 10/18
parution originelle chez Sonatine Éditions
480 pages / 9,20€