Quand la grandeur d’âme du bateleur se met au service de la parole des petits.
Après Discours à la nation en 2015, Ascanio Celestini revient au Théâtre du Rond-Point avec un texte inédit, Laïka. Utilisant la forme du théâtre-récit, le dramaturge italien a su reprendre le flambeau laissé par Dario Fo en s’inscrivant dans un théâtre populaire du quotidien où l’invraisemblable et l’absurde font bon ménage face aux idéologies modernes et dogmatiques, qu’elle soient capitalistes ou religieuses.
Dans Laïka, nom de la chienne envoyée dans l’espace grâce à Spoutnik 2, Ascanio Celestini met en scène un comédien, David Murgia, et un accordéoniste, Maurice Blanchy. Le comédien, narrateur, habitué du bar du coin, interprète plusieurs personnages dans un espace scénique délimité au sol par des lampes de chevet. Le récit mis en mot par un comédien aux allures christiques constitue le fil du spectacle. L’accordéoniste, Pierre, en fond de scène, assis sur des casiers à bouteilles de brasserie, écoute et met en partition le texte lancé par le comédien. Simple mais d’une redoutable efficacité.
Un clochard, une prostituée, une vieille dame, des manutentionnaires africains en grève, et un David Murgia brillant dans tous ces rôles comme narrateur critique. Il n’en faudra pas plus pour transporter le spectateur dans un théâtre d’une grande générosité. Le social humanisme du texte, scandé, slamé en musique comme une kalachnikov, percute à la fois des références chrétiennes, politiques et les connaissances scientifiques. Mémorables passages d’une grande drôlerie quand le narrateur cherche à comprendre la création du monde en confrontant le récit biblique à celui du physicien Stephen Hawking. Le monde contemporain est observé et décrit dans toute sa contradiction.
Dieu est régulièrement apostrophé, interrogé, provoqué par ces « petits », ces précaires, ces précarisés aux yeux de naïfs, qui cherchent vainement à donner un sens à leur vie dans une société capitaliste qui leur laisse peu d’échappatoires et dont les codes leur échappent. Le texte, farce politique, échappe à la caricature grâce à une mise en musique voix-accordéon de haute voltige, expressionniste. Ça court, ça file, ça rit, ça pleure, ça se contredit, ça cherche, ça rêve, ça chante, ça raisonne, ça vole, ça vit. Le récit sur ces petits autres du quotidien embarque le spectateur dans un récit sur l’altérité. Une très belle parole théâtrale dans une petite forme de grande justesse et de grande humanité.