Lisez Le dîner avant d’inviter des amis, vous aurez toujours une pensée pour Anna Davis.
Le dîner d’Anna Davis est structuré comme une pièce de théâtre classique : unité de temps, de lieu et d’action. L’originalité du roman se situe dans ce qui pourrait en être la limite : tout se passe lors d’une soirée donnée par Alex et Tilda. Ceux-ci ont invité Brian, un collègue de travail d’Alex, dans l’espoir d’une association lucrative. Le dîner est un prétexte pour pouvoir parler d’affaires dans un cadre décontracté.
Or le cadre est tout sauf décontracté. D’abord, Clarrie la belle-sœur d’Alex fait son apparition. Elle habite Newcastle, mais est venue rendre visite à sa famille londonienne, personne ne sait pourquoi. Clarrie est une personne à part, elle voit des choses que les gens ne voient pas, elle donne des surnoms aux gens. Elle apparaît manifestement décalée. Les deux autres couples qu’Alex et Tilda ont invités ont tous des problèmes bien bourgeois : ils dissimulent, ils mentent. Ils ne vous regardent pas en face et vous racontent des histoires.
Anna Davis, une surdouée de 27 ans, n’a pas son pareil pour nous tenir en haleine, sur un sujet ténu. Plus le dîner se passe de manière catastrophique, plus nous découvrons les secrets des uns et des autres, plus nous jubilons. L’auteur écrit en moraliste. Ces couples qui vivent sur le mensonge, sur l’illusion, sur la rancœur, nous en connaissons et nous en fréquentons. Après tout, dire la vérité sur sa vie sexuelle et sur ses ambitions amènerait certainement à ne pas être compris. Clarrie en est l’exemple. Elle, elle dit tout haut ce qui lui vient à l’esprit. Résultat : tout le monde la prend pour une folle.
Aux deux-tiers du roman, une révélation apparaît, qui modifie le sens de ce que nous venons de lire. La satire y gagne une livre de chair, un poids de vérité qui nous étreint. Après tout, l’humanité dépeinte est peut-être ridicule, mais elle n’est pas exempte de souffrance et de culpabilité.
Anna Davis, dont c’est le premier roman publié en France, est un nom à retenir. Elle sait nous prendre par la main, nous émouvoir et nous effrayer. Elle écrit au scalpel, tranchant dans le lard, et à la plume, nous chatouillant tellement qu’elle nous donne envie de rire.
J’ajouterais que ce livre a été chroniqué dans Le masque et la plume, sur France Inter par quatre critiques. Un seul a avoué ne pas l’avoir lu. Les trois autres l’ont descendu en flammes, traitant ce roman comme une sombre merde et se moquant de lui. Selon moi, il était patent que ces trois critiques n’avaient pas lu, ou en diagonale, ce roman. Ils ont voulu ironiser et se payer de bons mots. Cela dit, aucun des auditeurs du masque n’a dû avoir envie de l’acheter.