Les esprits chagrins (et il y en a, je le sais…) diront que j’arrive après la bataille...
C’est pas faux si l’on considère que l’album dont je vais parler date de 2014; et c’est pas vrai si l’on considère le fait que l’histoire se déroule en 1814, donc un an avant Waterloo…Je vous accorde que j’ai loupé le coche à l’époque. En effet, j’ai d’abord sauté sur l’album quand j’ai vu qu’il était scénarisé par Wilfrid Lupano!
Puis je l’ai bêtement reposé un peu rebuté par le dessin de Jérémie Moreau. Il est des BD comme ça. Vous savez que vous avez un chef-d’oeuvre entre les mains et en même temps l’effort nécessaire pour y accéder vous rebute. Alors par manque de facilité, vous laissez tomber.
Et aujourd’hui, je remercie 1 000 fois ma libraire préférée de m’avoir remis sur cet album. Je veux parler du « Singe de Hartlepool » car c’est bien de lui dont il s’agit. Cette BD aurait pu être écrite par Jean Teulé. Pour paraphraser ce dernier, l’album de Lupano et Moreau aurait pu s’appeler « Pendez le si vous voulez ». On retrouve des similitudes dans ces 2 histoires, issues toutes 2 de faits tristement historiques.
D’un côté (chez Teulé) un jeune homme qui se rend à la foire annuelle du bourg et finit dépecé voire mangé par certains de ces agresseurs; de l’autre (chez Lupano et Moreau), un singe en uniforme français qui suite au naufrage du bateau qui le transporte se retrouve jugé par les habitants du village de Hartlepool en plein conflit napoléonien. Le singe finira par être pendu par les habitants du bourg au motif qu’il est français…
La BD dépeint bien la bêtise ordinaire, le racisme, les préjugés et surtout l’ignorance qui engendrent haine et violence. A la lecture de cet album, on ne peut s’empêcher de penser à cette phrase dont l’auteur ne me revient pas : »Le nationalisme, c’est la haine des autres, le patriotisme, c’est l’amour des siens ».
Il y a tout cela dans la BD de Lupano et Moreau. Toute cette absurdité qui nous fait dire avec nos yeux d’hommes du XXI ème siècle que nous avons bien évolué depuis lors (ce qui reste à démontrer, vous en conviendrez).
Le livre est d’autant plus intelligent qu’y figure un cahier historique qui explique la perception que l’on pouvait avoir du singe voilà 2 siècles maintenant. C’est édifiant et permet d’éviter trop d’anachronismes.
Alors si vous avez manqué cet album, n’hésitez plus une seconde, d’autant que le rebondissement final est à la hauteur de l’ensemble de l’album. Une fois de plus Lupano frappe fort. Et ce monsieur sait s’entourer de dessinateurs capables de donner du relief à ses histoires. C’est encore le cas avec Moreau qu’il veuille bien excuser ma première réaction…
92 pages – Delcourt