Quand Shalini était petite, sa mère – une femme peu commode à l’humour corrosif, « qui passait de la joie à la méchanceté d’une minute à l’autre (page 169) – ne faisait aucun effort pour se lier aux autres. Seul trouvait grâce à ses yeux Bashir Ahmed, un vendeur ambulant cachemiri, un brin flagorneur et à qui elle n’achetait jamais rien, malgré ses visites rituelles et régulières.
« Je voyais qu’il parlait, et qu’elle lui répondait comme elle ne répondait à personne d’autre. Je voyais qu’une lumière et une joie grandissaient en elle quand il était dans la pièce, et s’éteignaient quand il repartait. Et pour moi, c’était suffisant pour commencer à l’aimer. » (page 142)
Shalini n’a qu’une vingtaine d’années lorsque meurt sa mère. Elle décide alors sur un coup de tête de quitter Bangalore pour partir à la recherche de Bashir Ahmed, le cachemiri qu’elle n’a pas revu depuis six ans. Peut-être sera-t-il capable de lui donner quelques clefs pour mieux comprendre sa mère ? Et peut-être trouvera-t-elle auprès de lui un peu de réconfort ?
Vous l’aurez compris, Le temps de l’indulgence est un roman initiatique. La narratrice – en héroïne à la Françoise Sagan – est une jeune femme privilégiée qui ne sait pas trop où elle en est. Elle va se chercher (et se trouver?) en quittant son cocon pour partir à la découverte de son propre pays.
L’autrice passe assez vite sur le voyage en lui-même, pour mieux se concentrer sur les points de départ et d’arrivée, sur le contraste qui existe entre Bangalore et le Cachemire indien. A Bangalore, grande ville hindouiste, Shalini traine son spleen et vit à l’occidentale. Au Cachemire, elle découvre la vie pauvre et rude des paysans des montagnes de l’Himalaya, dont elle ne partage ni la langue ni la religion. Elle aborde les personnes qu’elle rencontre assez naturellement, sans préjugés, et comprend peu à peu combien l’armée joue un rôle trouble dans leur vie.
A l’image de son héroïne un peu naïve, la jeune autrice indienne Madhuri Vijay aborde des sujets graves sans avoir l’air d’y toucher. En évoquant la vie quotidienne des cachemiris, elle met le doigt sur la situation générale dans la région – située au croisement de l’Inde, du Pakistan et de la Chine – où l’armée indienne fait disparaitre des musulmans pour des broutilles, sans que le reste du pays ne s’en émeuve.
Sans prétendre donner de clefs de compréhension, Madhuri Vijay ramène une problématique géopolitique à l’échelle de l’individu, à taille humaine. Elle décrit des situations choquantes qui interpellent et nous donne subtilement envie de nous renseigner sur la situation de cette région.
Si le voyage est parfois éprouvant, c’est un réel plaisir de partir à l’aventure en compagnie de Shalini !
Paru le 18 août 2022
en poche chez 10-18 (éditeur originel: Faubourg Marigny)
552 pages / 9,60€
Traduction Typhaine Ducellier (anglais)