Livres

Les Aventures de China Iron, Gabriela Cabezon Camara, 10/18

Martin Fierro est un grand classique de la littérature argentine ; un poème épique écrit par José Hernandez (1834-1886) et paru en 1872.

Là comme ça, je fais le malin, mais en réalité je n’avais jamais entendu parler de Martin Fierro avant de lire la quatrième de couverture des Aventures de China Iron, un roman signé Gabriela Cabezòn Camara, qui vient de paraître en poche chez 10/18 et qui revisite le mythe de façon farouchement féministe.

China, une orpheline indienne, est recueillie par un couple de noirs. Un soir, elle est donnée en paiement d’une dette de jeu par le mari à Martin Fierro (le fameux, donc).

« Ce vieux fils de pute m’a jouée au truco, Fierro a gagné et à eux deux ils m’ont emmenée par les cheveux à l’église, deux chevaux ont galopé jusqu’à l’exténuation, et ils m’ont mariée. J’ai cessé de parler. Je ne pouvais rien y faire. » (page 92)


La voici, à quatorze ans à peine, mère de deux enfants. Par chance, la conscription passe par là et la libère de son mari. S’étant délestée de ses enfants, mais pas de son chien nommé Estreya, China part sur les routes où elle rencontre Elizabeth, une anglaise au port aristocratique qui l’accueille dans une charrette digne du sac de Mary Poppins.

« Quelques jours de charrette, de poussière et d’histoires auront suffit à faire de nous une famille. » (page 42)

China est ignorante et Liz lui permet de s’émanciper. Elle lui donne un nom, lui ouvre les frontières du monde et lui offre un horizon, un idéal même.

« Chaque chose que je touchais, ou presque, connaissait davantage le monde que moi et était nouvelle pour moi.  » (page 68)

Le récit est servi par une langue riche et complexe, l’autrice alterne des phrases longues – si longues qu’il faut parfois les relire pour les bien comprendre – avec des rafales de phrases courtes et percutantes. Elle mêle également sans vergogne les langues anglaise et espagnole.

 » Soudain, tout se calmait, les herbages suspendaient leur va-et-vient – dans les pampa, l’herbage se berce comme les flots -, le silence tombait pesamment sur chaque chose, un nuage noir qui semblait lointain nous couvrait en quelques instants avec ses volutes de gris presque obscur et de gris clair brouillées et gonflées d’imminence, malgré la douce texture qu’elles montraient à nos yeux, nous qui marchions sur la terre, et en peu de temps, celui qu’il nous fallait pour ranger la future viande séchée dans la charrette, elles s’effondraient violemment sur nous, elles éclataient avec véhémence en grillant les arbres et parfois les animaux. » (page 65)

Gabriela Cabezòn Camara est sans conteste une écrivaine d’une grande exigence et d’un certain talent (y compris pour les scènes de sexe qui sont assez réussies). Les Aventures de China Iron n’est pas un de ces romans vite écrit et aussitôt oublié. D’ailleurs, l’autrice finit son récit dans une extase exotique, blasphématoire et poétique, à grand renfort de vocabulaire botanique et entomologique (parfois aussi assez indigeste).

« C’est ainsi qu’on a un brugmansia au goût de narã et de mûre, les arbres fruitiers poussent comme des mauvaises herbes à Y pa’û, un thé qui commence par t’aveugler et te plonge aussitôt au plus profond de ton âme, un thé qui t’emmène au centre de l’éclair divin et qui de là te laisse voir que le monde entier est un seul animal, nous et les feuilles d’ypya et les surubis et les kamichis et les girafes et les mantes mamboretà et la passiflore mburucuyà et le jaguar et les dragons et l’opossum micuré et la guêpe camuati et les montagnes et les éléphants et le Paranà et même les chemins de fer anglais et les prairies gigantesques que les Argentins ravagent. » (page 205)

Dans ce roman qui tient autant de l’épopée féministes que du western, Gabriela Cabezòn Camara s’attaque joyeusement aux formes classiques de la domination (machisme, colonisation, destruction de l’environnement, genre, tabous sexuels…) et laisse entrevoir qu’un autre monde aurait été possible, eut-il été confié aux femmes.

Je comprends bien le plaisir qu’il peut y a avoir à déconstruire le mythe, que j’imagine volontiers machiste, de Martin Fierro ; mais… Mais quitte à écrire un roman féministe, je ne comprends pas pourquoi Gabriela Cabezòn Camara s’est appuyé sur une histoire ancienne. Pourquoi faire une relecture de Martin Fierro à la sauce LGBTQ+ ? J’aurais préféré que l’autrice raconte, tout simplement, le monde d’aujourd’hui sans ces références que je n’ai pas !

Évidemment, je suis un homme, blanc de surcroit, et c’est donc plein de scrupules et avec un sentiment coupable que je rechigne à aimer cette ode à la diversité. Reste que c’est une drôle d’idée, à mon avis, que de s’appuyer sur une autre œuvre pour écrire un roman.

En tout cas, j’ai hâte de lire un livre 100% Gabriela Cabezòn Camara !

Traduit de l’espagnol (Argentine) par Guillaume Contré,
Édition L’Ogre et 10/18 pour l’édition en poche

Paru le 7 avril 2022 chez 10/18
216 pages / 7,60€

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