Carton plein ! ⭐⭐⭐⭐⭐
Le fond et la forme choisis étaient pourtant risqués : passer d’un théâtre de tréteaux à un théâtre d’écriteaux et de carton. Le principe paraît d’une simplicité exemplaire : éclairage dans la salle, deux physionomies : un gros, un maigre, un plateau surélevé. Le gros, Olivier Martin-Salvan, est assis, quasiment immobile durant tout le spectacle en centre scène et joue un voyageur américain en costume trois pièces traversant le monde. Son langage : l’onomatopée anglophone, ses expressions. Le maigre, Pierre Guillois, interprète, est le préposé à la mise en décor du récit de l’américain. Son langage : un corps en mouvement sur l’ensemble du plateau, et des mots écrits en noir sur des cartons de toute taille qu’il brandit, manipule, lance, expose, déplace, déchire. Une matière texte à volonté. Les décors sont des mots.
La partition visuelle s’écrit alors dans la tête du spectateur en liant les expressions du visage, les tonalités des onomatopées de l’américain avec les mots clefs présentés et interprétés par un Pierre Guillois débordant d’énergie, extraordinaire. A coup sûr, il est le héros de ce cabaret rocambolesque qui joue avec inventivité sur tous les ressorts d’un théâtre comique, clownesque relevant parfois du « cartoon ». Naît ainsi un théâtre où tout devient interdépendant.
Ce cabaret de carton n’en a que le nom. L’ensemble de cette épopée est d’une très haute technicité, comme l’était leur précédent spectacle Bigre. La technique est irréprochable, fondée sur une grande maîtrise du contexte et de la temporalité, du rythme de la représentation. La fameuse mécanique plaquée sur du vivant de Bergson, génère rires sans fin chez le spectateur qui découvre deux comédiens dans un apparent lâcher-prise créatif. Tout semble possible avec ce duo et cette forme théâtrale. Surréaliste. Les tableaux se succèdent comme par enchantement. Carton après carton. Une folie.
Guillois et Martin-Salvan démontrent magistralement qu’il est possible, par un jeu d’équilibre et de déséquilibre permanent entre leurs différents langages de projeter le spectateur dans leur l’imaginaire grâce à de simples mots théâtralisés. Une pensée onirique du Hashtag qui fait mouche. La seule présentation décalée de phrases en prose sur des cartons suffit à faire prendre conscience avec humour de l’ennui créé par une syntaxe inadaptée à la forme théâtrale choisie. Le théâtre n’appartient pas qu’à la littérature nous rappelle brillamment ce duo. L’efficacité de ce cabaret, de ces mots en action le prouvent une fois de plus et on s’en réjouit. Le rire fuse.
Mieux. Le langage dramatique révèle des pépites visuelles nées des contraintes de jeu : écritures typographiques successives grossies ou réduites pour exprimer une intensité, telles des phylactères, ou l’éloignement d’un paysage en fond de scène, jeux de mots à la Boby Lapointe, messages politiques à demi-mots sur les migrants lorsque l’américain traverse la Manche. Les effets scéniques sont redoutables. Défilent ainsi une sirène, une espagnole, une bretonne, un ours, un écossais, un véliplanchiste fantasque… et bien d’autres. La création mentale du spectateur est perpétuellement en éveil. Un défi au temps et à l’espace.
Ici, il ne s’agit que d’agir et de produire du rire. Une curiosité théâtrale du vivant à ne surtout pas manquer.
https://www.theatredurondpoint.fr/spectacle/les-gros-patinent-bien-cabaret-de-carton/
Dates de la tournée :
25 — 29 JANVIER 2022 THÉÂTRE SORANO / TOULOUSE (31)
À PARTIR DU 3 FÉVRIER 2022 THÉÂTRE TRISTAN BERNARD / PARIS (75)
3 ET 4 MAI 2022 THÉÂTRE L’AIRE LIBRE / SAINT-JACQUES-DE-LA-LANDE (35)
7 — 9 MAI 2022 TRANSVERSALES, SCÈNE CONVENTIONNÉE CIRQUE / VERDUN (55)
12 — 14 MAI 2022 THÉÂTRE FORUM / MEYRIN (SUISSE)
18 ET 19 MAI 2022 L’AZIMUT / ANTONY / CHATENAY-MALABRY (92)
21 ET 22 MAI 2022 SCÈNE NATIONALE 61 / ALENÇON (61)
27 — 29 MAI 2022 LA PASSERELLE; SCÈNE NATIONALE DE GAP (05)
10 — 12 JUIN 2022 (OPTION) THÉÂTRE DE POCHE / HEDE-BAZOUGES (35)
19 ET 20 JUIN 2022 THÉÂTRE DE LORIENT, CENTRE DRAMATIQUE NATIONAL (56)