Daté et intemporel, lent et nostalgique, le nouveau Modiano n’a rien de nouveau, mais tout de Modiano et c’est bien là l’essentiel.
Vingt-septième roman de Patrick Modiano. Vingt-septième miniature délicate, intemporelle, évaporée qui nous entraîne dans le passé de l’auteur. Aux lisières du souvenir personnel et de la fiction effleurée, comme sans y toucher… Vingt-sept roman qui, les années passant, finissent par n’en faire plus qu’un dans le souvenir du lecteur. Car, on a beau savoir que Modiano écrit toujours la même histoire, sur le même ton, dans le même style, se contentant de bouger (très légèrement) le curseur temporel ou le contexte dans lequel évoluent ses personnages, on ne se lasse pas vraiment de son offrande nostalgique annuelle. Chaque parution est la promesse d’un moment d’apaisement, d’une bulle fragile et éphémère dans un monde en perpétuelle agitation. Un roman de Modiano, c’est un Paris des années soixante, souvent nocturne, toujours lent. Un Paris où l’on se déplace à pied sans subir les bruits de la ville, les embouteillages, la foule… Un Paris fantasmé dont toutes les scories désagréables auraient été effacées par le temps. Un Paris provincial…
A l’aune de cette « élégante recherche du temps perdu », L’herbe des nuits est un Modiano qui ne déçoit pas. On s’y ennui gentiment, mais on apprécie ce luxe devenu rare de ne pas lire « utile ». On apprécie son style élégant sans jamais être poseur ou prétentieux. On se laisse bercer par une torpeur lénifiante qui nous soulage de nos maux. Qui nous anesthésie un peu tout en nous promenant dans une capitale qui n’existe plus aujourd’hui. C’est que Modiano n’est pas avare en détails topographiques, au point que l’on fini par se demander si son ambition suprême n’est pas de répertorier précisément les changements urbanistiques intervenus à Paris ces cinquante dernières années : « Par la suite, je suis souvent passé sur le trottoir où étaient le Royal Saint-Germain et l’hôtel Taranne, mais ils n’existaient plus ni l’un ni l’autre […] » page 112, « Nous étions prêts à nous engager rue de Rennes et à la suivre jusqu’à Montparnasse. Mais au seuil de cette grande rue triste et rectiligne qui se perdait à l’horizon – la tour Montparnasse ne l’endeuillait pas encore de sa barre noirâtre […] » page 113, « Elle me regardait, stupéfaite, immobile sur le trottoir, à la hauteur de ce qui est maintenant l’entrée du Monoprix et qui était alors un jardin abandonné où se réfugiaient des dizaines et des dizaines de chats errants. » page 114…
Le reste peut même sembler prétexte à publier. Dans L’herbe des nuits, ce prétexte prend la forme, comme souvent, d’un souvenir. Celui d’une jeune femme à l’identité incertaine avec laquelle il aurait eu une vague liaison dans les années soixante. Qui était-elle vraiment ? Dans quelles affaires louches était-elle impliquée ? Qui étaient ces hommes avec lesquels elle traitait ? Pas d’emballement, toutefois. Ne vous attendez pas à un thriller à l’ambiance insoutenable. Avec Modiano, rien n’a vraiment d’importance, tout glisse, tout passe avec une sorte d’élégante indifférence. Pas de début ni de mot de la fin. Juste deux mois d’été (ou bien était-ce d’hiver, lui-même n’est sûr de rien) auprès de Dannie (ou bien était-ce Mireille ou Dominique, il ne sait pas vraiment)… Et le reste à l’avenant. Reste le plaisir de cette parenthèse dans le temps, de ce moment suspendu, de ces 177 pages en dehors du temps, qui font du bien. Demeure la seule question qui vaille désormais : à quandL’herbe des nuits en pharmacie et remboursé par la Sécurité sociale ?
176 Pages – Folio