Arthur H, Nicolas Repac et Eros, le trio dionysiaque
L’Or Noir proposait de retrouver les auteurs de la négritude dans un volume musical envoûtant, L’Or d’Eros présente avec audace la poésie sexuelle du XXe siècle. L’exercice pourrait être déplacé : comment passer de la lecture intime et personnelle à la lecture musicale? Comment ne pas passer à côté du texte et de l’essence des mots assemblés par l’auteur ? Comment ne pas lasser ou heurter l’oreille ?
Dans une variation musicale cinématographique de 47 minutes, Arthur H et Nicolas Repac relèvent très adroitement le défi des mots et des images. Que le langage soit poétique au cru. Le choix des auteurs est judicieux. On est très heureux de retrouver Pierre Louÿs, Apollinaire ou George Bataille, chantres d’un érotisme si sulfureux qu’il leur a valu d’entrer dans le célèbre Enfer de la Bibliothèque Nationale de France, cet « endroit fermé d’une bibliothèque où l’on tient les livres dont on pense que la lecture est dangereuse »…
Parmi les réussites, l’adaptation des textes du poète roumain Ghérasim Lucas, trop méconnu. Prendre corps est juste sublime. Un pur bonheur. La voix de H et la musique de Nicolas Repac ouvrent une nouvelle dimension. Quant à la narration de Roman d’amour, elle offre à l’auditeur la possibilité de voyager et de penser au rythme des mots. Une mélodieuse cadence, sensuelle, au bord de la folie, obsessionnelle, savamment orchestrée. Une chute horizontale animale prolongée par le poème de Joyce, Lettre à Nora, 2 décembre 1909, qui bascule soudainement dans la pornographie.
Plus rose que rouge, le duo avec Lou Doillon apporte une fraîcheur décadente et gainsbourgienne à l’ensemble. Décomposé en deux parties, le poème de Breton et d’Eluard, Amour, prend des accents de kamasoutra poétique humoristique, entre coquinerie et inventaire à la Prévert. On plane sur les sanglots de sirènes en contre-chant du joli Lou mon étoile du mal-aimé Apollinaire, poème adressé à son amoureuse Louise de Coligny Châtillon. Il est question de sexe bien sûr mais aussi d’amour.
Car sous l’apparence cruauté des textes, sous la beauté céleste des phrases et cet inexorable besoin de chahuter les mots, se cache l’amour extrême d’hommes pour des femmes qu’ils voient comme des muses fantasmées, transcendées. Les circonvolutions musicales de Nicolas Repac élèvent les couleurs de pensées cachées et intimes. L’objectif de cet opus démoniaque est atteint. Émotion et plaisir littéraire sont au rendez-vous. A écouter, seul, à deux ou plus ?
Sébastien Mounié