Poétesse, essayiste, traductrice et éditrice américaine, Lyn Hejinian est née à San Francisco en 1941.
En 1987 elle publie My Life.
Ma vie, My Life, poétise, essayse, théorise, la vie de Lyn Hejinian : 45 chapitres de 45 phrases pour une vie comprenant alors 45 années.
Nous naviguons en sa compagnie dans l’archipel de sa mémoire, à bord d’une machine de précision qui subtilement se dérègle. Machine mathématique, poétique, mémorielle, expérimentale.
Dans un même stylo, sur une même page, tiennent des phrases en accéléré, des phrases déchaînées, dans le sens premier du terme, des phrases sans relation les unes les autres, comme si chacune n’avait qu’un seul but : faire oublier la précédente, se soulevant à mesure que le récit progresse, soulevant les strates de la mémoire, des perceptions, tissant ainsi une toile de vie, serrée, éclatante.
Une histoire orale mais écrite, à la va-comme-je-te-parle, des tête-à-queue syntaxique, des tourbillons phonétiques. Devant nos yeux, à l’oreille aussi, s’érige un récit qu’on dirait épars, qu’on croirait fugace, mais qui est pleinement celui d’une vie : enfance adolescence, engagements, art, amour, sexe.
Répétitions corrélations apparitions réapparitions, la langue est surprise, la vie aussi. La mémoire rassemble puis éparpille et ainsi la phrase grignote la page, avec ombres et reliefs, le soudain des transitions lorsqu’il arrive le soudain, sa soudaineté, le soudain soudainement nous bascule dans une autre phrase un autre chapitre une autre année.
Il y a des mots terriblement loin que l’artiste/la poète/la femme remonte contre la marée de la langue, des floraisons de mots où nos propres souvenirs prennent précisément place, du principal et du détail, mais tout cela si structuré, si joueur, selon un plan que Perec aurait adoré parcourir, que nous empruntons ce chemin de narration tous sens dehors.
Ici le langage est agité, le désordre d’une vie organisé selon une partition musicale expérimentale. En cadence.
Les mots se répètent, et d’un chapitre à l’autre, d’une année à l’autre, se nouent des associations des repères des équilibres, la ponctuation déponctue, laisse sa liberté au flux au sang et coulent les hypothèses s’écoulent les accumulations.
Ma vie, une philosophie combinatoire construite bout à bout par fragments isolés mis en observation et saisis dans l’amplitude du geste poétique.
Ma vie, de Lyn Hejinian Les presses du réel
Paru en septembre 2016 (édition française)
176 pages
17.00 €