Des orangers aux Nymphéas, de Monet au Novo Pilota.
Sortant de l’exposition Modigliani Soutine à la Pinacothèque et du choc ressenti par les toiles de Soutine, je me dirige vers le Musée de l’Orangerie, connu pour ses Nymphéas qui ont consacré le lieu depuis leur arrivée au lendemain de la première guerre mondiale. Monet en fait cadeau à la France au nom de la paix. Lui qui cherche un lieu où reproduire le vécu de ses jardins de Giverny, le voilà servi. Les nymphéas sont emmurés en plein Paris et exposés dès 1927 avec l’idée d’en faire un monument à la gloire de la paix.
Ce ne sont pas les Nymphéas qui m’intéressent, contrairement aux touristes qui s’y amassent dans un bruit incessant bien éloigné de l’idée originelle. C’est la collection de Paul Guillaume évoquée à la Pinacothèque, et surtout les Soutine. Lesquels sont exposés ? Vais-je autant vibrer qu’à la Pinacothèque avec l’homme au chapeau, la folle, la petite fille à la robe rose ou les grands arbres bleus ? Je descends directement l’escalier menant à la collection.
Magnifique surprise. Paul Guillaume était un fin collectionneur-marchand. L’entrée se fait par des Sisley, des Renoir et quelques Cézanne. Renoir m’ennuie. Les scènes de bourgeoisie douceâtres me rappellent le classicisme d’une vie Chamallow, du rose ouaté de blanc et de jaune. Du suranné. Le visiteur doit admirer le bien-être d’enfants qui n’ont rien d’enfantins. Oh bien sûr il y a le style. Le style. La propreté des joues roses de l’enfant poli aux cheveux bien coiffés. Le sourire luisant de l’enfant apprenant correctement sa leçon de piano. Le rire de la maman fière de son enfant. On n’est pas dans le Rireflamboyant de Maljavine exposé dans le palais Ca Pesaro de Venise… Le portrait du fils de Cézanne bleuté, malgré une raie bien à gauche vient casser l’ambiance. Merci Cézanne.
Heureusement, on bascule rapidement chez Modigliani et Rousseau. Superbe, Le Jeune Apprenti de Modigliani vous accueille, pensif, mélancolique, la pupille bleutée. Les gris bleutés viennent se heurter aux oranges de la peau. Rien de plus réussi que ce contraste. Plus étonnant, le portrait en profondeur de Paul Guillaume rebaptisé Novo Pilota par Modigliani, offre un personnage proche du mafioso. Un portrait aiguisé. Le marchand a l’œil noir mais juste.
Je passe sur les Marie Laurencin dont je ne parviens pas à saisir les vibrations, sourit devant les couleurs du Douanier en imaginant la tête des héritiers esthétiques du classicisme devant tant de raideur et de couleur. Des statues de couleur entoilées.
La salle Picasso/Matisse offre des Picasso antiques dans la droite ligne historique du « retour à l’ordre ». Les sujets féminins ont des formes d’odalisques pour Matisse qui les voit comme esclaves, modèles ou sujets érotiques, dans une tranquillité apaisante. Picasso amuse avec ses femmes à la fontaine. Une moderne antiquité. Les femmes massives s’imposent dans toute leur nudité.
Derain intrigue. Terrassé par ses visites au Louvre, le voilà prendre conscience que les Modernes ne résistent pas devant les toiles des grands maîtres. Il entreprend de revenir à des portraits classiques. Où est passé le Derain fondateur du Fauvisme ? Où sont passées les couleurs ? Etonnant retournement devant l’évidence historique de la modernité.
Puis vient Utrillo, mal-aimé. Lui qui peint rarement des personnages dans l’univers de Montmartre et de Paris offre une toile pleine d’humour. Des femmes caricaturales, gros culs tournés vers l’œil du spectateur descendent une rue pavée dans un quartier populaire. Les couleurs lépreuses des immeubles parisiens s’effacent devant une soudaine gaieté, La Maison Bernot.
Puis le plaisir. La salle des Soutine. Une vingtaine de tableaux. Du bonheur. Tout en énergie, les paysages, les portraits, natures mortes et sujets animaliers sont là, cruels, énergiques, vivants et massifs. Même tourmente et mouvement qu’à la Pinacothèque. Les Maisons telles des fantômes ondulent et marchent, les arbres couchés font tourner le monde et les paysages. La richesse de la matière résonne avec la rapidité d’exécution. La jeune anglaise rappelle les yeux de la folle. Les animaux morts sont réanimés par des valses de bleus aquatiques, violents – le dindon. Une tempête de matière et de projections qui culmine dans la matière de la soutane de l’Enfant de chœur. Le petit pâtissier vu par Barnes chez Paul Guillaume est présent. La fiancée ne laisse aucune ambigüité perdue dans sa tenue, les mains posées sur une chaise et la mine déconfite. Un rappel de La jeune femme aux apparences de vieille asymétrique délavée exposée à la Pinacothèque. Un régal de technique, de vie et d’audace. Soutine est trop méconnu. Il y a déjà la torture de la chair de Bacon et la violence des projections de matière de Rebeyrolle. Qu’attend-on pour lui dédier un musée ?
Le retour par les Nymphéas se fait rapidement entre une gardienne qui rappelle le silence toutes les deux minutes et des touristes qui bavardent assis devant des nymphéas qui pleurent leur maître et leur jardin. Monet n’est plus qu’un Magnet.
Le Musée de l’Orangerie est à voir et revoir, la collection de Paul Guillaume est tout simplement incontournable. Orsay prévoit une exposition à l’automne sur Soutine. Allez-y.
http://www.musee-orangerie.fr/
Sébastien Mounié © Etat-critique.com – 20/04/2012