Une Noce qui l’emporte à l’arrachée
Jean-Luc Lagarce est un des dramaturges contemporains les plus joués en France. Son succès est sans nul doute lié à la force de l’écriture. Une écriture qui cherche sans relâche à réinterroger la langue française et sa représentation théâtrale. Ses personnages sont des fantoches qu’il manipule, n’hésitant pas à les faire répéter leur texte, les faire sortir du discours pour les relancer sur d’autres mots ou d’autres phrases. Le mélange est détonnant, frise l’absurde.
On retrouve sur le plateau les 5 personnages de Noces, une pièce écrite en 1982 dans laquelle Lagarce s’amuse avec le rêve provincial fantasmé d’invitations à la Noce. Serai-je invité à la Noce dont tout le monde parle ou ne le serai-je pas ? Dès lors les personnages vont se heurter à la langue de Lagarce qui se joue d’eux-mêmes et aux événements narratifs qui viendront leur barrer la route. La Noce est fantasmée. Plus le fantasme est grand, plus la lutte pour faire partie des invités sera acharnée. Ils parviendront à entrer pour le meilleur et pour le pire.
Dans cette mise en scène de Pierre Notte, une grande liberté est laissée aux comédiens. Le plateau devient un ring dans lequel les comédiens se débattent avec la langue et parfois avec eux-mêmes. Le décor est succinct : une table pliante, quelques chaises, quelques valises, des accessoires en toc, et des bouteilles d’eau pour les plus sportifs. La musique d’ambiance digne de Psychose est là pour cadencer et martyriser les personnages qui demandent régulièrement un répit au régisseur.
Les conséquences sont sans appel : une course folle dans laquelle le texte est lancé en coups de poing du début à la fin sans crescendo, sans respiration. Paola Valentin joue une enfant-coryphée qui vise juste. Ça claque et ça fuse. Eve Herszfeld joue une dame d’une bonhommie qui allège la charge. Gregory Barco et Bertrand Degrémont un homme et un monsieur aux variations mesurées tandis qu’Amandine Sroussi, cocotte-minute ruisselante, joue une femme en sur-jeu permanent, déséquilibrant le plateau et effaçant dans l’excès tout collectif possible.
Si on comprend bien le parti pris du combat engagé qui s’opère, on comprend assez mal en définitive la nécessité de jeu en surtension permanente pour un texte réduit ici à une partition mécanique, loin de toute nuance et d’émotions possibles. On rit lorsque Lagarce pousse ses personnages dans le pillage de la Noce, lorsque l’absurde s’empare du drame au milieu de barricades. Mais on regrettera sans doute ce trop-plein de cabotinage, de précipitation, de sur-jeu inutile qui court-circuite le possible vertige du texte, la possible angoisse de personnages rejetés socialement, coincés entre l’intrigue et la langue.
Noce de Jean-Luc Lagarce, Mise en scène de Pierre Notte. Théâtre du Lucernaire – Salle Paradis. jusqu’au 11 mars 2017.