Palermo Palermo, être vivant entier, partout, à Palerme, ailleurs. Palermo Palermo, flamme éternelle, souffle créateur.
Créé à Wuppertal en décembre 1989, présenté en juin 1991 au Théâtre de la Ville, de nouveau en ce lieu, devant la salle comble, comblée. Les créations de Pina Bausch sont chefs-d’œuvre, littéraires, chorégraphiques, théâtraux. Les danseurs du Tanztheater Wuppertal, d’une torsion la grâce et la pesanteur, d’un mot la dérision et la raison, d’un élan le rire et le frisson. L’invention jouée sur toutes les gammes, conjuguée à tous les temps.
Un mur occupe la scène. Dressé devant nous, massif, silencieux. Quelques secondes, souffle retenu, puis l’écroulement, le fracas de bruit et de poussière. Le mur tombé, les frontières renversées, la vie commence.
Les scènes se répètent, s’échappent, se percutent. Les corps se répètent, s’échappent, se percutent. Corps bandés, corps couchés, corps fragiles qu’on regonfle, bouche à bouche. Des corps palpés, exhibés. Déformer le corps à coups de prothèses, de vêtements mal placés. Perturber.
Le minuscule met en branle une déferlante de poésie. Les danseurs se succèdent, mains en coupe, pour recueillir l’eau qui coule entre leurs mains. C’est beau. C’est vital.
L’un salue sans avoir rien fait, il salue profondément, magnifiquement. Pour être apparu, tenant dans ses bras un bouquet de bois mort.
Chaque image est idée. Chaque mouvement est histoire. Chaque geste est origine.
Le mur à terre devient obstacle à enjamber, à contourner. Surface où s’assoir, où manger. Relief à explorer, à bouger. Sur ce plan un danseur dispose un nappe, une assiette blanche, un verre, des couverts : la table est dressé pour le chien affamé qui déguste et repart.
En une démarche, exprimer. Une femme en talons haut, l’autre pieds nus, la première promène la seconde, l’histoire circule.
Des lèvres humectées, du sucre collé, un baiser, une pièce jetée, une fontaine de pièces, un fer à repasser, une robe lissée, un bras plâtré, un pâtre escamoté, un mollet dénudé, une entrée, un départ, un ballet, un surréalisme, un expressionnisme, un rêve.
Nous sommes au creux d’un rêve.
Avaler sa bague de mariée d’une gorgée de café. Du fond de la scène un couple en blanc, d’autres sur les côtés, des apparitions multiples, une musique qui dézingue, des corps ressorts, qu’on pose, dépose, compose, distend, renverse, retourne, déplace. Des murs où l’on grimpe à un, puis deux, puis trois, puis dix. Multiplication des membres, des essais, des jetés, des figures, des portés, des aller-retour, des allées-venues. Une femme allongée sur la pointe des pieds de six hommes cérémonieusement déplacée. Et notre sourire qui n’en finit pas de grandir.
Tout est danse. Une torsion du poignet, une chevelure rejetée, une bouche rouge.
Pendant qu’un couple parade-amoureuse, un homme empile des téléviseurs et regarde neige et images en cascades avant de disparaître dans un vestiaire métallique, pour en ressortir un peu plus tard, dans un autre espace-temps, dans une autre image-mouvement, avec un jupon de dentelle à poser sur le dossier de sa chaise.
Qu’est-ce qui nous apparait et qu’est-ce qui nous échappe ?
Il y a du Sud des femmes en noir des hommes en costumes des musiques chaudes des disputes des soumissions des veuves, du sacré, des défis. Des femmes furieuses, des amoureuses, qui tout le long appellent un homme, ce qu’elles demandent, ce qu’elles refusent, ce qu’elles implorent, ce qu’elles rejettent. Contredisent. Ordonnent. Frappent. Sont frappées. Questionnent. Souffrent. Séduisent.
Un homme en peignoir rouge découpe finement sa chair avant de la cuire sur un fer à repasser et de s’en régaler. De la natation dans un filet d’eau s’échappant d’une bouteille en plastique. Des journaux qui flambent, des marionnettes qui sont des corps, des hommes en charcuterie, des semailles de déchets.
De la sincérité. Mille sortilèges. Mille inventions. Des instants. Des éternités. Des sous-entendus. Douze filles poiriers. Une entreprise de séduction tête en bas. L’abondance. Les références. Une femme aux seins en pommes rouges croquées puis jonglées. L’homme du vestiaire devenue femme nue maquillée s’éventant avec deux éventails de plume. Quatre éventails. Six éventails. Des contrepoints d’exubérance, des hystéries, des rythmes. De femme fatale il devient Statue de la Liberté puis Adam et Eve. A lui tout seul.
Nous sommes multiples. Changeants. Imprévisibles.
Le mur au sol se démonte, l’un après l’autre les danseurs se remplacent, tout est de plus en plus étrangement instable.
Transe générale.
Musiques de toutes origines comme les danseurs comme le langage comme la joie. C’est une phrase qui n’en finit pas, un rêve dont on ne sort pas, une puissance sans cesse déferlante, une création perpétuelle. A tous les endroits. A chaque instant. Dans chaque parcelle de notre corps. A chaque angle de vue. Pour l’éternité.
Jusqu’au 5 juillet 2014