Donald Trump est de retour et veut être la voix unique de l’Amérique. Bizarrement, à l’annonce de la victoire du Républicain, sur ma platine s’est installé naturellement le son de Pearl Jam. Et oui, il m’a fallu une musique sincère qui rappelle que l’Amérique, ce ne sont pas que des beaufs ratatinés par le soleil, la bière et les barbecues. Non, ils ne sont pas tous racistes, religieux, et crétins. Oui, à cela, la musique de Springsteen, Dylan ou Petty rappellent par exemple les valeurs plus humanistes de ce pays divisé.
Mais il y a chez Pearl Jam, cette rage qui a fait de leur premier disque, Ten, un sacré disque de rock. A Seattle, au début des années 80, les groupes furieux se défoulent sur toutes les scènes de la ville. Alice In Chains, Soundgarden, Nirvana…
Eddie Vedder et son groupe déboulent avec une musique personnelle où les guitares suivent comme elles peuvent les paroles torturées du chanteur. Il grogne toute la violence et les angoisses de la jeunesse américaine. Moins radical que Nirvana (ils se feront une guéguerre à la Oasis vs Blur), Pearl Jam transcende une énergie qui fonctionne encore. Ten est un disque de teenagers qui se voient grandir et qui refusent la misère, la médiocrité ou la petitesse.
Ecouter Ten en 2024, c’est observer une intelligence en marche (spectacle peu vu aux US ces dernières années). Les morceaux sont d’une habileté remarquable et les chansons se suivent avec une finesse rare pour du rock, influencé par du gros heavy. Pearl Jam dépouille le genre et en trouve l’essence et l’espérance. Avec deux guitaristes de génie et une osmose incroyable.
A la différence des groupes de cette période, Pearl Jam a dû vieillir. L’innocence du début est vite passée et Eddie Vedder a compris qu’il serait une rock star et rien d’autre. Mais le chanteur a des valeurs et ne lâche rien au star system.
Le groupe ira même s’attaquer au géant Ticketmaster. La fidélité de Pearl Jam rappelle celle qu’ont les fans de Bruce Springsteen. Pearl Jam a peut-être raté des disques mais ne se ménage pas pour produire des titres avec du sens et surtout de l’émotion. Leurs concerts sont légendaires et toujours complets : le groupe a toujours été authentique même lorsque cela n’allait pas entre les membres qui ont finalement peu changés. La batterie a connu des cogneurs différents mais ça a été vite réglé avec l’arrivée de Matt Cameron, ancien de Soundgarden.
En attendant, le groupe est devenu un groupe gonflé aux décibels mais tourné vers les autres. Au fil des années, le groupe a compris qu’il ne pourrait pas être un énorme barnum fait d’excès et le groupe a eu l’intelligence de se remettre en question plusieurs fois. Ça ne change rien à son envie de rage électrique. Ce sont les albums live les plus intéressants.
C’est bien là leur cœur de métier et surtout la générosité qui doit faire horreur à un type aigri comme Donald Trump. Eddie Vedder a de quoi faire peur aux Républicains car il connaît la nuance.
Sur scène, les efforts sont monstrueux (ce que démontre le mieux Live on two Legs en 1998) mais il y a de constantes respirations et une liberté qui s’affiche de façon sauvage. Cela s’enchaîne sans temps mort mais il y a toujours de belles virées vers quelque chose de plus transcendantale. Pas étonnant que Neil Young voulait réaliser un disque avec eux. Le mur de son chez eux n’est pas une prison, bien au contraire.
Ainsi Eddie Vedder est devenu une icône libre surveillant les injustices et récitant les vertus cachés d’un rock engagé. Il a le don d’agacer par son aspect parfois sentencieux mais il a réussi à se faire passer pour un héritier intrigant de Kerouac, Dylan et tous les autres artistes qui rêvent au bord des routes.
D’ailleurs il est bon de réévaluer sa bande son pour le film de son ami Sean Penn, Into the Wild. L’adaptation du livre de Jon Krakauer a connu un vrai succès grâce à sa musique et les titres du leader de Pearl Jam.
Là encore, on entend l’Amérique qui ne plait pas vraiment à Donald Trump. Celle des désaxés, des marginaux, des véritables amoureux de la liberté. Le disque est un dialogue avec le film. Vedder admire Neil Young au plus haut point mais il n’a jamais sa radicalité (la bo de Dead Man de Jim Jarmusch). Au contraire, on (re)découvre un type apaisé et trouvant les joies d’une certaine douceur lyrique.
Donc dans les quatre prochaines années, la bêtise aura le pouvoir mais mes oreilles (et peut être les vôtres) trouveront du réconfort du coté de Seattle et ses héros survivants à tout…