En revoyant un soir de printemps, tard, très tard, dans une boucle de chaînes infos, celles devant lesquelles on finit par s’endormir devant, les images d’une place ukrainienne plus que jamais à feu, et à sang, cela va de soit, je me remémorai Bucarest.
Souvenez-vous, un Noël 89 où, préparant le réveillon de Noël, nous suivions tant bien que mal les épisodes d’une révolution roumaine, terrifiante de rugissements d’un peuple. L’ère du satellite n’étant pas encore arrivée ou pointait à peine, LCI n’existait pas encore, CNN
ne se transportait pas en Europe, I-TV et BFM ne naitront que 15 ans plus tard… alors, l’info en continu, c’était un TF1 ou un Antenne 2 qui interrompait ses programmes pour y aller de flashs spéciaux, c’étaient des images faites à la vidéo amateur ou quasiment en super 8 éclairée à la bougie, c’était un Patrick Bougrat qui traversait la foule, qui voyait les balles lui frôler la nuque. C’étaient la stupéfaction de l’apparition effroyable d’un charnier de Timisoara, au final monté scandaleusement de toute pièce, présenté en lancement de journal par un Guillaume Durand, sur une 5 encore vivante.
Des premières images chocs, qui ne feront que lancer les encore perturbantes séquences, pour le petit garçon que j’étais, de l’exécution en quasi live des tyranniques époux Ceausescu, un matin de lendemain de Noël, d’un 13h animé par Rachid Arab…
Des années plus tard, à l’heure où plus rien ne pourra nous foudroyer plus que le 11 septembre 2001, comme vaccinés à jamais, à l’heure où l’accumulation d’images, de news, de breaking news, d’éditions spéciales, d’infos du matin, d’infos de newsroom, d’infos du soir, de débats stériles, d’images trashs venues du
web, de Barbie et Ken enchainant les plateaux, de témoignages sur place d’un pauvre bougre chopé au hasard et qui apparaît sur Skype dans une lucarne à droite, juste au dessus de l’évolution du Cac40, flèche rouge, flèche verte, à l’heure où la Syrie viole de façon ignoble sa population mais qui, par souci d’info qui en chasse une autre, devient un fait commun, à tel point que le refus des Verts de participer au gouvernement l’écrase sans vergogne dans 15 minutes d’infos, à l’heure où Haïti ne se reconstruit pas, dans l’ignorance totale et froide, à l’heure où tous les regards semblent plus s’inquiéter de l’évolution de l’état de santé d’un ancien pilote de Formule 1 que d’une révolution de millions d’êtres, à l’heure où nous pleurons l’élimination du PSG en ¼ de finale face à Chelsea plus que tout autre…en Crimée ou en banlieue de Kiev, à l’Est, très loin là-bas, très très loin même, il se passe un truc qui, curieusement, semble oui, vraiment très très loin.
En voyant en ce soir de printemps, tard, vraiment très tard, sûrement trop tard, dans une dernière boucle de chaînes infos, les images d’une place ukrainienne en feu et des visages finalement en sang, juste je me remémorai…ce que nous étions finalement devenus, et je m’endormais devant.
Romestebanr.