Dans le cadre de la Collection Ma nuit au musée, l’autrice Lola Lafon a passé une nuit dans la maison d’Anne Franck et a tiré de cette expérience un livre intime, poétique et bouleversant.
Comme beaucoup d’entre nous, j’ai lu au collège le Journal d’Anne Franck, « que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment » (page10) J’en ai d’ailleurs gardé un souvenir mitigé car, jeune ado mâle, j’étais plutôt agacé par la jeune fille en qui je reconnaissais certaines camarades de classe (je n’étais moi-même pas bien malin…).
Devenu père d’une belle demoiselle qui entrera bientôt dans l’adolescence, je suis désormais bouleversé par Anne Franck, mais aussi par l’histoire de son père, cet homme dont tout ce qu’il reste de sa famille c’est le journal écrit par sa cadette et un rectangle de papier peint sur lequel il marquait chaque mois la taille de ses filles (« en deux ans, Margot a pris un centimètre et Anne, treize ») et qu’il « décollera précautionneusement » à son retour des camps de la mort (page 83).
Grâce à Lola Lafon, j’ai découvert chez Anne Franck une véritable autrice, qui retravaillait son texte et prenait très au sérieux le fait d’écrire. Quand on y pense, c’est vrai qu’il y a dû y en avoir quelques uns des journaux intimes de jeunes juives, et si celui-ci a connu la postérité, c’est aussi sans doute dû à ses qualités littéraires.
Mais que je ne vous induise pas en erreur, Quand tu écouteras cette chanson n’est pas une étude stylistique ou historique de Journal d’Anne Franck., même s’il relate des faits marquants et comporte quelques citations qui soulignent la maturité de la jeune fille.
« On ne me fera pas croire pas croire que la guerre n’est provoquée que par les grands hommes, les gouvernants et les capitalistes, oh non, les petites gens aiment la faire au moins autant, sinon les peuples se seraient révoltés contre elle depuis longtemps ! Il y a tout simplement chez les hommes un besoin de ravager, un besoin de frapper à mort, d’assassiner et de s’enivrer de violence » (page 123)
Quand tu écouteras cette chanson est un livre personnel et intime constitué de courts chapitres d’une densité rare et d’une puissance folle, ce qui le rend d’autant plus émouvant. Il suffit à Lola Lafon de quelques mots pour nous faire ressentir ce que signifie être descendant de rescapés de l’indicible, de vivre avec un cortège de morts qui vous suivra jusqu’à la vôtre.
Car l’histoire d’Anne Franck touche de près l’autrice, cette grande blonde au nom de famille bien français qui a refoulé l’histoire d’une partie sa famille. Lola Lafon est issue par sa mère d’une famille de juifs d’Europe de l’est.
« L’histoire des juifs d’Europe centrale, je m’en suis écartée à l’adolescence. J’ai tourné le dos à l’abîme. Je ne voulais pas entendre, pas savoir. Leurs cauchemars ne seraient pas les miens. Ce que je souhaitais, c’était faire partie d’une famille normale. Qui ne soit le sujet d’aucun livre d’histoire, qui ne suscite ni pitié, ni haine » (page 45)
Les survivants directs de l’holocauste ont fait comme ils ont pu : « Lexomil et Temesta, compagnons de route de mes grands-parents, comme de tout leur entourage, ces immigrés juifs russes, polonais, roumains » (page 155)
Comment vivre quand on appartient aux générations suivantes ? Celles dont l’arbre généalogique a été taillé à la hache et réduit en cendres.
Comme le démontre Lola Lafon dans une prose délicate et percutante, cacher le traumatisme sous le tapis est illusoire : « Le ravage, dans ma famille, s’est transmis comme ailleurs la couleur des yeux » (page 44), « les fantômes, au contraire du mythe qui voudrait qu’ils nous hantent sans pitié, se tiennent sages » (page 53)
Paru le 17 août 2022
Éditions Stock, Collection Ma nuit au musée (dirigée par Alina Gurdiel)
180 pages | 19,50€