Une fois levé l’immense drap blanc qui recouvre la scène, c’est un univers insolite presque irréel et un brin décadent qui se dévoile. De l’étagère à la table, en passant par les fauteuils et le sol, tout est baigné ou éclaboussé de cire, cette substance qui dissimule, fige et retient le passage du temps dans ses moindres sillages. Quel lieu plus épatant pour accueillir une soirée de mariage? et, dans ce cas, pourquoi ne pas inviter pour l’animation un orchestre de musique anglaise du XVIIè siècle? Sur les étagères, au milieu du service à thé (coulé dans la cire bien sûr), des ballons de baudruche et des guirlandes. Sur le côté droit de la scène, aux côtés des comédiennes au langage pourtant résolument contemporain, des joueurs de théorbe, de viole, d’orgue et de virginal. Arrivé là, on comprend que rien de tout à fait normal ne peut subvenir, impossible de dire où l’on est ni à quelle époque, la téléportation est totale, jusque là bravo. Côté jeu, les comédiennes Sarah le Picard et Margot Alexandre interprètent haut la main les soeurs que tout oppose sauf, on ne tarde pas à s’en rendre compte, un bon gros grain de folie. Margot Alexandre, surtout, est hilarante dans un savant mélange d’autoritarisme et de bonhomie. Sarah Le Picard, dans le rôle de la mariée névrosée s’enlisant dans les turpitudes de son coeur, parvient habilement à rendre comique ses noires visions et sa mélancolie suicidaire. Leur mère, Lucile Richardot alterne le jeu et le chant lyrique. D’un côté neurasthénique, de l’autre d’une puissance qui semble infaillible. Et c’est ce contraste, entre des personnages à bout de nerfs et un accompagnement musical que rien ne semble pouvoir troubler, qui laisse confus. Le théâtre contemporain et la musique anglaise du XVIIè siècle se croisent plus qu’ils ne se rencontrent et la pièce, pourtant magnifiquement drôle et extravagante, reste un mystère insondable.
Songs
Jusqu’au 20 janvier
Au théâtre des Bouffes du Nord
Mise en scène de Samuel Achache
Direction musicale et orgue de Sébastien Daucé