Bon allez, c’est décidé, je vais vous tutoyer, ça fait trop longtemps qu’on se connait, on se parle toutes les semaines ou presque, on s’apprécie, on se renifle, on se bisoute en fin de chronique, et on continue de se vouvoyer…c’est un peu comme si on avait fait des câlins en slip pendant des années avec l’envie évidente de l’enlever mais pour cela il fallait qu’un de nous franchisse le pas, bah voilà, c’est fait.
Si je t’écris aujourd’hui, cher lecteur (au sens général du terme, je sais que tu es une fille aussi des fois), c’est pour te parler d’une série qui, je dois, l’avouer, m’a clairement embarqué loin loin les dernières semaines. Non pas parce que, du moins pas que, mon état de fatigue, du fait de week-ends un peu trop youpi tralalala c’est la chenille qui redémarre, m’a naturellement, un peu trop à mon goût, rendu un brin plus sensible qu’à l’accoutumé, mais aussi et surtout parce que tant dans son univers, que dans sa construction scénaristique, en passant par ses personnages, Stranger Things, puisqu’il s’agit de Stranger Things, sur Netflix, a quand même ce petit quelque chose, voire un grand quelque chose, que bien d’autres séries n’ont pas.
Pour pitcher court mais pitcher bien, Stranger Things se déroule au début des années 80, dans une contrée un peu paumée des Etats-Unis, à l’heure où l’Iphone n’avait pas encore effleuré l’esprit de Jobs, que Trump posait dans PlayBoy aux côtés de Playmates choucroutées capillairement façon Pamela Ewing dans Dallas, Donald, lui, avait déjà cette banane mi-Dick Rivers mi-brushing à plat, où le mur de Berlin séparait encore le même peuple germanique, où nos consoles de jeux faisaient combattre un méchant en pixel contre un gentil en pixel, que nous buvions du Tang et du Cacolac, que Le Pen faisait péniblement 5% aux Régionales, et encore seulement en Alsace, ou enfin que nous approchions de notre 10ème année à grand pas, et non pas de notre 40ème, à même grand pas, comme c’est aujourd’hui le cas. Une série so 80’s, donc.
Dès le début, on comprend vite qu’un truc louche façon Lost va venir perturber la bande de jeunes potes d’une douzaine d’années, aficionados de Donjon&Dragon, de talkie-walkie, et arpentant les ruelles d’Indiana façon BMX shopper et teddy sur les épaules, et leurs grands-frères et leurs grandes sœurs, façon fans de Fame juste-au-corps converse aux pieds, que ledit truc pourrait être un E.T soit gentil…soit méchant…autant vous le dire tout de suite, c’est la 2ème option, plus ou moins manipulé par un groupe de mecs en cravates, résidant dans une fausse centrale électrique, payés en secret par la NSA ou la CIA ou le FBI ou la YMCA, euhhh, non, pas la YMCA, y’a pas d’indiens en cravate, et les mecs, une fois révélés à l’écran ont très probablement plus une passion secrète pour la musique militaire qu’une tendance à se mettre des pantalons cuir et chanter « In The Navy » dans des backrooms le samedi soir.
Même le générique, court, musique flippante, façon « V » ou téléfilm d’une adaptation de Stephen King, incrustations rouge carmin, police de caractère très 1er PC IBM, t’embarque dans un univers un peu à part, original, follement angoissant ; les personnages, casting parfait, un peu clichés volontairement, jeu avec quelques fausses notes faites exprès, pour revenir justement à l’univers du petit écran d’il y a 30 ans, t’absorbent minute après minute, épisode après épisode, te font dire du bas de ton canapé « maisssss noonnnn, va pas dans la forêt, c’est là qu’il est le méchant, faut pas aller dans la fôreetttttt », et que le scénario, au moment où tu t’attendais à ça, t’emmène, a contrario, avec malice, vers ça.
Une sorte de labyrinthe de personnages, de monde réel, de monde parallèle, d’aujourd’hui, d’hier, de musiques de cette époque, mais qui n’ont pas franchement vieilli, d’inattendus, de vite vite vite la suite, de regards, de noirceurs, de métaphores, à décortiquer à l’envie, de sentiments mêlés, de la découverte d’une sublime petite actrice en la personne de Millie Bobby Brown qui joue « Onze », le personnage clé de l’histoire, mais aussi de Wynona Rider, clin d’œil du casting à l’univers d’Alien, où elle était, en ce temps, elle, la petite fille.
Les fissures des personnages se transposent à travers l’écran, les épisodes s’enchainent sans un seul épisode de transition comme cela est trop souvent le cas, l’histoire se tient, même si, évidemment, elle est singulièrement d’un autre monde, d’un autre temps même peut-être ; si des « Narcos », des « Bureau des légendes », des « House of Cards » ont sublimé récemment le genre des séries basées sur du réel, Stranger Things se distinguent sans pareil dans le genre de celles qui appartiennent à l’imaginaire.
Tu vois, t’as bien fait de me lire jusqu’au bout, t’as plus qu’à appeler le monsieur de chez Netflix pour t’abonner et plonger dans l’univers de Stranger Things…
Je t’embrasse,