32 ans après le mythique album de Lob et Rochette, le Transperceneige, le train aux mille et un wagons est remis sur les rails par un nouveau tandem composé de Rochette qui donne la cohérence graphique à cette suite et Olivier Bocquet qui lui apporte une suite tout à fait brillante sachant se détacher de l’original, tout en respectant l’esprit.
Le Transperceneige aura eu jusqu’à maintenant 4 vies. La première correspond à celle que lui ont insufflé Lob et Rochette, en 1984 dans les pages du magazine « A suivre ». « A suivre », c’est le magazine des prépublications des albums Casterman. Casterman est alors l’éditeur novateur dans la BD publiant des albums hors normes. Et ce n’est pas simple à cette époque de publier un album en noir et blanc et de plus d’une centaine de pages!
A la manoeuvre un Jacques Lob qui s’est illustré avec succès dans des genres aussi différents que SuperDupont aux côtés de Gotlib et Solé ou Délirius avec Philippe Druillet. A ses côtés, Rochette qui a l’époque s’est fait connaitre avec Edmond le cochon, BD animalière qui ne laissera pas un souvenir impérissable. Rochette remplace Alexis (brillant auteur de « Time is money » avec Fred ou de Cinémastock avec M.Gotlib) qui vient de décéder.
L’année 1984, (année de la sortie de l’album) est marquée par la résurgence du livre d’Orwell; c’est encore la Guerre Froide (Land of confusion de Genesis sort en 1986, pour donner un repér). Le livre que nous proposent Lob et Rochette est emprunt de cette période encore marquée par les idéologies. Si le Transperceneige est un train qui s’est constitué après une catastrophe climatique plongeant l’humanité dans un hiver sans fin, le propos des auteurs n’est pas tant écologique que politique.
Le nom du héros Proloff est significatif…L’album racontera la remontée du héros depuis les wagons de queue dans lesquels se trouve le prolétariat du convoi; jusque dans les wagons de l’élite qui domine et régule cet univers.
Lob meurt 6 ans plus tard, laissant orphelin le Transperceneige, ses passagers et ses lecteurs. Il faudra attendre 1999 et 2000 pour que réssucite cet univers désenchanté. Le huis-clos sur rails reprend du service avec Legrand au scénario. Si le dessin connait une brillante évolution, les 2 histoires ne sont pas du meilleur cru. En effet, Legrand s’est révélé bien meilleur aux côté de Rochette dans « Le requiem blanc » ou « l’or et l’esprit – Le tribut »(ce dernier n’a pas malheureusement connu de fin…).
S’en suit une période d’oubli. Les amateurs de BD égrenent pourtant cet album parmi les monuments du 9ème Art. Et puis quand on parle d’une adaptation du Transperceneige par Bong Joon Ho, c’est à nouveau l’effervescence! Et à la différence de nombreux autres projets d’adaptation de BD, celui-ci arrive à son terme en 2013. Chris Evans (Captain
America) endosse le costume de Proloff.
Si l’adaptation est assez personnelle elle conserve tout l’esprit de la BD. Le coréen a fait montre d’une belle audace pour un film de bonne tenue. Ce qui diffère de la BD de 1984, c’est que le cinéma y apporte une fin! On peut donc penser que tout est dit et qu’il n’est plus nécessaire d’y revenir.
Et pourtant en fin d’année 2015, grâce au second souffle apporté par le film, Rochette reprend ses crayons pour redonner vie au Transperceneige! On peut alors craindre une simple opération commerciale de l’éditeur (ce ne serait pas la première fois, ni la dernière certainement…) Et bien non, ou en tout cas, ce n’est pas que cela. Olivier Bocquet nous replonge dans l’univers de ce train infernal tout en y apportant sa touche. Le train est au bout du rouleau, il faut trouver un endroit où s’arrêter. Cet endroit existe-t-il? Les arpenteurs sont là pour explorer la terre et le trouver.
Ce sera bientôt chose faite! Il existe bel et bien un eldorado capable d’accueillir les nauffragés du rail. On découvre à cette occasion que le Transperceneige n’est que l’un des multiples trains qui servaient de refuges lors de la grande catastrophe. La société s’est reconstruite dans cet oasis. Les règles sont strictes et l’ambiance pesante pour les nouveaux arrivants.
Entre 1984 et 2015, nous avons connu la chute des idéologies, les catastrophes nucléaires de Tchernobyl et de Fukushima, le terrorisme et tant d’autres événements qui se ressentent dans cette nouvelle histoire. Voilà bien l’intelligence de Bocquet qui sait, comme Lob en son temps s’imprégner de son époque pour dépeindre un univers d’anticipation. Le projet est donc réussi.
Je ne vous livrerais pas les multiples rebondissements que compte Terminus. Cet opus est aussi riche que l’album original et comme son grand frère, il se termine en offrant encore de nombreux possibles laissant au lecteur sa vision du monde pour parachever l’histoire.Terminus n’est donc pas une fin…
Casterman – 232 pages