Pour les vacances, on visite le Monde en musique avec quelques disques à mettre dans les bagages. Aujourd’hui la Jamaïque! Injustement créditée au seul Jimmy Cliff, la bande son du film de Perry Henzell fut un des premiers ambassadeurs de la culture rasta en Europe et en Amérique, avant l’explosion de Bob Marley.
« Ce film a beaucoup fait pour la musique et pour moi aussi. J’ai rencontré Perry Henzell dans un studio d’enregistrement (…), et il m’a dit qu’il voulait que j’écrive la musique pour le film. Il m’a demandé si je pouvais écrire de la musique de film et j’ai dit « Yeah, man, of course I can, je peux écrire tout ce que tu veux !! ».
C’était comme de se retrouver chez le marchand de glaces Kong il y a toutes ces années – faut savoir reconnaître la chance quand elle se présente. Six mois plus tard, Chris Blackwell (Jamaïquain blanc et patron du légendaire label Island) me donne le scénario et me dit que le même type veut de moi comme premier rôle. Je lui réponds que je croyais qu’il voulait juste que je fasse la musique, maintenant il veut que je joue la comédie et j’ai jamais fait ça de ma vie – mais je l’ai pris quand même et je l’ai lu. J’ai aimé, je pouvais m’identifier avec les deux côtés parce que je connaissais l’histoire de Rhygin (brigand des années 1940 et source d’inspiration du personnage principal), je comprenais cet aspect de la vie en Jamaïque, et que je connaissais aussi le milieu de la musique ici puisque je suis dedans depuis mes 14 ans. Ca ne ressemblait à rien que ne puisse pas faire, alors j’ai accepté le rôle. Bon, j’allais tout de même pas dire non, hein ? »
Voilà en gros, selon ses propres mots (extraits de Bass Culture, livre de Lloyd Bradley déjà chroniqué sur ce site), comment Jimmy Cliff mit le pied dans le projet qui allait changer sa vie de star jamaïcaine, et surtout, grâce à la phénoménale bande-son, lancer en Angleterre et aux Etats-Unis le grand boom du roots reggae. Le film raconte l’histoire d’un garçon de la campagne monté à la capitale pour se faire chanteur mais qui, plus par concours de circonstances que par pure méchanceté, finit ennemi public n°1 de la police de Kingston.
Le film (que je n’ai pas vu depuis une nuit de la musique sur Antenne 2 en 1982 avec « I Fought The Law », à l’époque très lointaine où du vrai rock passait sur la télé publique), est décrit par Bradley comme « d’une telle intensité qu’on pouvait sentir l’odeur des ordures dans la rue et la chaleur du soleil« . Il méritait une musique à la hauteur.
C’est Perry Henzel qui, autour des deux titres (grandioses) écrits par Jimmy Cliff, à savoir « The Harder They Come » et « You Can Get It If You Really Want« , enfilera 8 perles du reggae des années 1967-72. On y retrouve deux précédents succès de Cliff, le très soul Many Rivers To Cross et le paisible Sitting In Limbo, et puis les autres artistes, non crédités d’ailleurs sur la pochette, au son moins léché et plus roots que les productions matinées de soul et de pop de Jimmy Cliff.
Les Maytals de Toots Hibbert apportent deux de leurs meilleurs titres, « Pressure Drop » et le sautillant et tropical « Sweet and Dandy » au rythme calypso, les Melodians chantent la savoureuse V.O. de « Rivers of Babylon« . Scotty se paie un « toast » (impro à la rasta) avec « Draw Your Brakes« , dans un style proche de celui des Wailers, et les Slickers, avec « Johnny Too Bad » résument totalement le sujet du film, sur une musique pourtant plutôt cool.
Jusqu’à la sortie en 1984 de la compilation « Legend » de Marley, « The Harder They Come » fut la première vente d’albums de reggae de tous les temps. D’un point de vue historique, on peut dire que ce disque, d’avantage que le « Catch A Fire » du même Marley, au son plus policé, fut le point de départ du raz-de-marée rasta qui allait envahir l’Angleterre, les Etats-Unis, puis l’Europe et le monde entier.
Mango – 1972