Du soleil du Mali, voilà ce que l’on peut entendre dans ce disque! Le grand maître de la kora n’avait pas enregistré en solo depuis 20 ans. L’attente est méritée : le résultat est tout simplement prodigieux de virtuosité maîtrisée, d’inspiration et de spiritualité. A écouter d’urgence et dans le calme.
« Toumani, c’est le dieu de la kora, il est incomparable et fait ma fierté (…) Les mots me manquent pour qualifier ce qu’il fait pour l’art africain. Il n’a pas de rival dans son métier, il est né dans la kora, il sait ce qu’il en fait et c’est unique au monde. N’importe quel joueur de kora essaie d’être Toumani Diabaté, mais c’est très difficile ».
Ainsi s’exprimait Ali Farka Touré, qui enregistra avec Diabaté le très beau « In The heart Of The Moon » en 2005. Et ne croyez pas qu’il s’agit là d’une éxagération toute africaine : Ali Farka n’était pas le seul à vouer un culte à Toumani. On pourrait aussi citer la journaliste et productrice de BBC 3 Lucy Duran, qui le compare à Glenn Gould ou Rostropovitch, « un de ces musiciens comme on n’en rencontre qu’une fois ou deux dans sa vie ».
Issu de la 71e génération d’une lignée de griots joueurs de kora, musicien professionnel depuis l’âge de 13 ans, Toumani Diabaté ne s’est pas contenté de perpétrer une tradition qu’il maîtrise avec perfection. Attiré très tôt par les musiques du monde entier, il n’a cessé d’enrichir son répertoire au contact d’autres cultures. Dès 1987, il enregistre avec l’ensemble flamenco Ketana. Depuis, sa kora a accompagné Taj Mahal, Björk ou encore les rappeurs maliens Les Escrocs.
Mais, curieusement, il n’avait pas réalisé d’album en solitaire depuis 1988. Il aura suffi de quelques jours d’enregistrement à Londres pour y remédier.
C’est donc la kora, cette harpe à 21 cordes montée sur une grosse calebasse, et la kora seule, sans aucun overdub, qu’on entend ici. Un instrument qui, dans les mains de Diabaté, sonne comme un orchestre entier. On a l’impression parfois d’entendre à la fois une ligne de basse, une rythmique, une ligne mélodique et un solo. Et pourtant il ne s’agit que d’un musicien qui nous emmène pour un fabuleux voyage au long de ces huit morceaux qui eux-mêmes ne cessent d’évoluer, de muter, de varier (comme le nom de l’album l’indique) au-delà de toutes barrières musicales : musique africaine, jazz, musique classique, folk, reggae, on entend tout cela et bien plus encore. Comme tout grand interprète, Toumani sait utiliser sa virtuosité, la retenir ou l’exprimer au moment voulu, selon la direction qu’il donne à ses morceaux. On saluera également l’exceptionnelle qualité de l’enregistrement, qui permet d’entendre chaque frottement des cordes, chaque vibration de la calebasse, et même parfois la respiration du koraïste.
Une écoute confortable, si possible hors du vacarme ambiant (idéalement : au casque) est fortement recommandée pour apprécier ces variations mandingues, quelque peu exigeantes, et se laisser envoûter par ces longues ballades qui évoquent la lumière, les paysages de terre rouge, le fleuve Niger ou les orages de l’été malien. « Kaounding Cissoko », sommet de virtuosité mélodique et rythmique, sonne comme une averse avec ses accélérations et ses accalmies. « Elyne Road », nom d’une rue londonienne, revisite un standard du reggae, « Kingston Town ». « Ismael Drae », et son introduction parlée en arabe, ressemble à une prière soufie, « El Nabiyouna » évoque la musique arabo-andalouse. Et Toumani se paye même le luxe, sur le dernier titre « Cantelowes », de varier sur le thème d' »Il était une fois dans l’Ouest », avant de nous laisser pantois et songeurs.
Dans un style éloigné de l’afro-pop de ses compatriotes Amadou et Mariam ou Rokia Traoré (auteurs eux aussi de forts bons albums en 2008), Toumani signe là un des chefs d’œuvre de la musique mandingue, non seulement de cette année, mais peut-être bien de tous les temps.
World circuit – 2008