C’est pour moi toujours un plaisir d’aller au Petit Palais, véritable havre de paix au milieu du tumulte des Champs Élysées. Les collections permanentes sont belles (et gratuites !) et les expositions temporaires sont intéressantes et relativement délaissées par la foule. Cette fois-ci, je m’y suis rendu pour visiter l’exposition Théodore Rousseau, La Voix de la forêt.
Théodore Rousseau (1812 – 1867) était un peintre singulier. Un peintre dont l’ambition était de peindre la nature, la nature pour elle-même et non comme un simple décor à des scènes mythologiques. Son ambition était telle qu’il a renoncé pour elle à une certaine carrière, lui qui fut refusé au Salon de Paris et qui choisit de peindre à Barbizon des paysages français (et non italiens comme l’académisme l’aurait voulu).
Théodore Rousseau peint la nature comme il la voit, et non comme il serait de bon ton de la peindre. Pour mieux faire le « portrait » d’un arbre, il n’hésite pas à placer sa toile à la verticale. De la même façon, il mixte les techniques pour mieux restituer la matière qu’il voit. Comme il lui arrive également de présenter des ébauches, on lui reproche, à l’époque, de ne pas « finir » ses toiles.
D’ailleurs, en parlant d’ébauches et de toiles non académiques, il me semble que Théodore Rousseau ouvre la voie aux Impressionnistes (qui viendront juste après lui), même si son œuvre est moins accessible, moins plaisante à nos yeux que les leurs. Car il y a une certaine exigence – voire une intransigeance, une rigueur – dans l’œuvre de ce peintre. Ses paysages de forêt ne sont pas (com)plaisants. Ils sont touffus, extraordinairement détaillés et presque oppressants par moments, notamment lorsqu’ils représentent un magma de feuilles et de mousse et que le ciel est absent de la composition. J’ai été impressionné par le niveau de détail de ces « portraits » en gros plan d’arbres ou de sous-bois ; chaque feuille, chaque mousse, chaque brindille ou brin de fougère est restitué dans sa complexité. L’aspect technique force alors mon respect, mais sans vraiment m’émouvoir.
Je préfère lorsque Théodore Rousseau prend du recul, lorsqu’il fait entrer la lumière du ciel dans la composition, même si ses toiles sont alors moins singulières. Ses ciels gris sont magnifiques, comme dans Le lac de Maubuisson, une ravissante petite huile d’une modernité folle, tout en dégradés de gris. On sent l’influence des peintres paysagistes néerlandais du XVIIème, et l’on fait le parallèle avec Le Chêne de Flagey peint par Gustave Courbet en 1864.
J’ai aussi aimé ses tableaux représentant des grandes pâtures boisées avec des mares, ces paysages qui n’existent plus, remplacés par ces champs modernes aux labours profonds laissé à perte de vue par une agriculture mécanisée qui prétend entretenir le paysage alors qu’elle le démolit consciencieusement.
Nul doute que nos campagnes actuelles, trop souvent défigurées, attristeraient Théodore Rousseau qui fut écologiste avant l’heure, lui qui fit du lobbying afin que certains arbres soient sanctuarisés (les « séries artistiques ») pour leur beauté et pour la source d’inspiration qu’ils représentent pour les artistes.
C’est sûr, je penserai avec respect à Théodore Rousseau lors de mes balades en forêt, à condition bien sûr que nos amis chasseurs me laissent passer !
Jusqu’au 07 juillet 2024
au Petit Palais
Plein tarif : 12 € TP | 10€ TR | Gratuit – 18 ans